Trumpisme
La Première ministre italienne Giorgia Meloni reçue le 17 avril par Donald Trump: le cheval de Troie du trumpisme en Europe? © GETTY

Où sont les germes les plus féconds du trumpisme en Europe?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Beaucoup de Français adhèrent aux idées fondatrices du trumpisme, révèle une étude. La droite, plus que l’extrême droite, pourrait en tirer les dividendes.

Par sa gestion de la guerre en Ukraine et l’orientation qu’il a donnée aux relations commerciales transatlantiques, Donald Trump s’est forgé de nouveaux ennemis en Europe depuis l’entame de son nouveau mandat. Mais le trumpisme, lui, pourrait-il essaimer au sein de l’Union européenne?

Le Centre de recherches politiques de Science Po (Cevipof), à Paris, et l’université libre internationale des études sociales Guido Carli (Luiss), à Rome, ont soumis quelques lignes directrices du programme politique de la nouvelle administration américaine à l’appréciation d’échantillons de citoyens en France, en Italie, en Allemagne et aux Pays-Bas entre la mi-janvier et le début de février, dans le cadre de la vague 16 du Baromètre de la confiance politique. Le rejet du personnel politique, la désamour avec la démocratie, la demande de plus d’autorité, la défiance envers la justice, l’expansion du libéralisme économique, le refus de l’emprise publique sur la vie privée ont été testés. En vertu des résultats des enquêtes d’opinion, on peut établir qu’il existe en Europe un terreau pour le développement du trumpisme.

«Le trumpisme est un libéralisme autoritaire […] porté par une oligarchie.»

Crise de la démocratie

Pour Luc Rouban, directeur de recherches au CNRS, membre du Cevipof et auteur de la note «Le Trumpisme à la française» (1), synthèse des enseignements de l’enquête d’opinion, c’est la France qui, des quatre Etats objets de l’étude, est la plus perméable aux idées du trumpisme. «C’est dans ce pays qu’on observe les convergences les plus fortes. Bien sûr, il y a des différences entre la France et les Etats-Unis, notamment parce que les seconds sont un pays fédéral. Mais les idées de souveraineté, de volontarisme national, et d’un Etat fort… ont toujours été répandues en France, y compris à gauche. Il ne faut pas l’oublier», analyse Luc Rouban. Trois marqueurs du trumpisme soumis aux sondés traduisent, selon le chercheur du Cevipof, cette proximité française avec la perception du citoyen américain: la défiance envers la justice, le rapport compliqué avec la classe politique, et la crise démocratique autour de la notion d’efficacité.

«Le sentiment que la démocratie fonctionne mal, et que, s’il y avait moins de démocratie mais plus d’efficacité, ce serait mieux, distingue réellement la France de l’Allemagne, de l’Italie et des Pays-Bas», souligne Luc Rouban. Pour ce dernier, le phénomène est à la fois conjoncturel, «lié à la précarité de la conjoncture politique depuis la dissolution, les élections législatives, et les difficultés à former un gouvernement», mais aussi inscrit dans le temps long. «La France connaît une situation qui dure depuis des années. On se rappelle le discours des gilets jaunes qui était de dire « j’ai joué le jeu, j’ai fait tout ce qu’on m’a demandé de faire, et pourtant, je n’y arrive pas ». Nombre de citoyens estiment qu’il y a soit de l’indifférence soit de l’inefficacité à régler leurs problèmes.»

Le manque de confiance dans la justice est un autre indice de cette particularité française: elle inspire seulement 44% de confiance, taux égal à celui observé en Italie, contre 63% et 66% aux Pays-Bas et en Allemagne. L’Hexagone présente la plus haute proportion de sondés qui la trouve «trop laxiste» (69%), «partiale» (77%) et «politisée» (69%). Le dernier épisode de l’actualité politico-judiciaire, la condamnation de Marine Le Pen pour détournement de fonds publics, et son exploitation politicienne ne vont sans doute pas atténuer cette propension. Hormis pour l’accusation de laxisme, les Italiens expriment à peu près le même niveau de prévention à l’égard de l’appareil judiciaire, loin devant les Allemands et les Néerlandais.

«En France, les idées trumpistes irradient au-delà de l’extrême droite.»

Appui au service public

En revanche, Français, Allemands, Italiens et Néerlandais expriment une assez grande confiance envers le système hospitalier, la police ou l’armée de leur pays (entre 64% et 80%). De manière générale, la satisfaction à l’égard des services publics en Europe est un élément de distinction avec les Etats-Unis. «Une série d’aspects sont propres au trumpisme et à des politiques qu’on retrouve en Amérique, pas seulement du Nord, mais aussi chez Jair Bolsonaro au Brésil ou Javier Milei en Argentine. Elles couplent leur message d’extrême droite à des positionnements néolibéraux, voire libertariens, qui visent notamment à réduire la substantifique moelle de ce qu’est l’Etat dans différents départements, explique Benjamin Biard, chercheur au Centre de recherche et d’information sociopolitiques (Crisp). En Europe, ce n’est pas l’enjeu de la politique publique qui caractérise le plus les partis d’extrême droite. Cependant, un certain nombre, comme le Rassemblement national en France et le Vlaams Belang en Belgique, se dotent d’accents sociaux pour tenter de rassembler le plus large éventail d’électeurs possibles et percer un éventuel plafond de verre électoral. Des recherches en France et en Italie ont démontré que l’extrême droite performait particulièrement là où les services publics ou de proximité étaient les moins nombreux. Ces éléments sont propres au modèle social tel qu’il s’est développé historiquement en Europe.»

Face à une population plus attachée aux services publics, difficile donc pour les «héritiers naturels» du trumpisme en Europe d’y appliquer les mêmes recettes. Pourtant, le nombre des personnes interrogées par le Cevipof estimant qu’«il faudrait réduire le nombre de fonctionnaires», marqueur s’il en est de la politique de l’administration Trump, n’a jamais été aussi élevé dans les quatre pays (53%) depuis 2017.

Si les mouvements d’extrême droite, que le président Trump, le vice-président Vance et le conseiller Musk ne se sont pas privés de supporter depuis le début de l’année, semblent être le terreau naturel de l’expansion du trumpisme en Europe, ils ne sont pas nécessairement les seuls. Illustration par la situation française. «L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche […] exerce une fascination indéniable sur une grande partie de la droite et de l’extrême droite en France, ne serait-ce que par sa démonstration qu’une droite radicale et autoritaire peut prendre le pouvoir dans un pays considéré comme le fleuron des démocraties occidentales», avance en préambule Luc Rouban. Mais, selon lui, les idées trumpistes irradient bien au-delà de l’extrême droite, chez Les Républicains, dans une partie du macronisme et même à gauche. Le chercheur estime en particulier que «la réception du trumpisme en France risque d’avoir des effets importants sur la recomposition des droites. Il n’est pas sûr qu’elle profite au Rassemblement national. Celui-ci n’est peut-être pas le parti le plus à même de satisfaire la demande de libéralisme et de mobilité sociale que le trumpisme défend. La recomposition qui en découlerait peut en réalité jouer en faveur des Républicains.»

La défiance envers la justice est élevée en France, un sentiment alimenté par certains dirigeants politiques extrémistes. © GETTY

Bataille de nationalismes

Il est vrai qu’à l’extrême droite, l’adhésion au trumpisme est inégale et liée aux sensibilités divergentes de cette famille politique en Europe. Elles s’affichent au Parlement européen où pas moins de trois groupes politiques la représentent. C’est incontestablement la Première ministre italienne Giorgia Meloni, dirigeante du parti Fratelli d’Italia, qui, à l’heure actuelle, symbolise le plus la convergence entre une frange de la classe politique européenne et l’administration américaine. Mais «elle est dans une situation un peu inconfortable, considère Benjamin Biard. Elle a noué des relations privilégiées avec Donald Trump. Mais la politique menée par celui-ci, notamment en matière commerciale, est plutôt défavorable à l’Union européenne et à ses Etats membres, dont l’Italie. C’est le paradoxe de ce type d’alliances.»

C’est aussi le paradoxe de partis prônant un nationalisme qui peut par nature se heurter à celui de formations d’autres Etats pourtant censées être de la même famille politique. Les optimistes pourront se satisfaire de voir ces partis s’écharper entre eux. Il n’empêche qu’un constat interpellant demeure, identifié par Luc Rouban: des attentes semblables à celles exprimées par une majorité d’Américains lors du sacre présidentiel de Donald Trump en novembre 2024 sont fortement présentes dans des électorats européens.

(1) «Le Trumpisme à la française», par Luc Rouban, Baromètre de la confiance politique, Sciences Po Cevipof, mars 2025.

 

Le trumpisme, c’est quoi?

Pas facile de définir le trumpisme, même à l’entame du deuxième mandat présidentiel de son promoteur aux Etats-Unis.

Luc Rouban (Cevipof) le qualifie de «libéralisme autoritaire et de nature oligarchique». «Le trumpisme est un libéralisme autoritaire qui se distingue du populisme ordinaire dans la mesure où il est porté par une oligarchie, c’est-à-dire des personnes très puissantes qui disposent de réseaux, notamment les patrons de la Silicon Valley. C’est pour cela qu’il s’éloigne du populisme. Historiquement, le populisme émane de mouvements très populaires, populeux même, avec des figures comme Mussolini et Hitler, qui n’appartiennent absolument pas aux élites et, au contraire, s’opposent à elles et à la bourgeoisie…»

Pas populiste, le trumpisme? Mais d’extrême droite, oui, selon Benjamin Biard (Crisp). Le trumpisme peut être défini comme «une manière d’incarner l’extrême droite aux Etats-Unis aujourd’hui, c’est-à-dire une idéologie qui partage une conception inégalitaire de la société et un projet nationaliste, cela à travers un programme d’action qui met la démocratie sous tension.»

 

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