Alors que les Russes intensifient leurs frappes aériennes sur l’Ukraine, le photographe Christophe De Muynck s’est rendu sur le front. Il a passé cinq jours dans les tranchées ukrainiennes aux côtés d’une unité de mortiers du régiment Kastus Kalinouski, une brigade de volontaires biélorusses qui bombarde les unités de drones russes.
«Bombe aérienne à environ 300 mètres. Pas d’inquiétude, bon blindage!» Il est minuit, cela fait seulement deux heures que je me trouve dans un abri antiaérien à quelques kilomètres du front quand un bruit infernal nous fait sursauter. Spades me rassure: enfouis dans le sol, nous ne risquons rien.
Avec Skinny, Znitch et Loki, ils forment une unité de mortiers chargée de neutraliser l’infanterie et les drones russes depuis un camp souterrain: des tranchées, des lits superposés et des caisses de munitions qui servent de comptoirs de cuisine. Ils passeront cinq jours dans cet espace de trois mètres sur trois, après quoi ils seront remplacés par quatre nouveaux soldats volontaires.
Le lendemain, à trois heures moins le quart. Skinny est informé sur l’application Signal que des drones de reconnaissance de l’unité ont détecté une cachette présumée appartenant à l’infanterie russe. Les hommes passent à l’action. Skinny transmet les coordonnées à Znitch, et Spades glisse un premier projectile dans le canon du MO-120 RT, un modèle français d’une portée d’environ sept kilomètres. Le mortier est petit, enfoui à deux mètres de profondeur et recouvert d’une sorte de toit ouvrant.
«Attention! Feu!», crie-t-on. Dans la poussière qui se soulève, je perçois à peine Znitch et les autres, et j’entends encore moins. Spades arrive en courant avec des cache-oreilles. «Pour la prochaine fois», me lance-t-il. Le toit se referme et nous redevenons invisibles.
Entre chaque attaque, il faut attendre un message du centre de commandement. De temps en temps, nous sommes surpris par une détonation sourde et par le bourdonnement des drones qui nous survolent. Ils résonnent en permanence. Chacun, à sa manière, tue le temps. Znitch dort, Skinny scrolle inlassablement sur TikTok, tandis que Spades lit un livre sur la Seconde Guerre mondiale. Comme s’il essayait d’appréhender ce qui se passe aujourd’hui à travers les combats du passé.
Avec sa femme et sa fille de 12 ans, Spades vit en Pologne. Depuis qu’il a quitté le Bélarus, il est considéré comme un terroriste par le régime de Lukashenko. «Dès que la guerre a commencé, j’ai rejoint ce régiment, explique-t-il. Je ne veux pas vivre dans une dictature. Je veux être libre. Si nous parvenons à gagner cette guerre, peut-être Minsk pourra, elle aussi, être libérée.»
Le dernier jour, je m’aventure pour la première fois en dehors de notre abri avec mon appareil photo. Skinny m’exhorte à me protéger de la tête aux pieds et à revenir immédiatement après le tir. Par précaution, je choisis un endroit sous un arbre, non loin d’une tranchée. Le toit s’ouvre et Spades sort la tête. «Prêt? demande-t-il. Feu!»
Bientôt, nous rentrerons chez nous. Nous portons les mêmes vêtements depuis cinq jours et la fatigue se fait sentir. Ce temps passé au front avec des hommes dont je ne connais même pas le nom touche à sa fin. Demain, Spades et ses compagnons seront relevés par des pairs. Lorsque je serai de retour en Belgique, ils seront à nouveau dans leur abri souterrain, attendant un message. Comme ils le font depuis trois longues années.
Christophe De Muynck