La Première ministre danoise Mette Frederiksen a récemment adressé une lettre ouverte qui critique la Cour européenne des droits de l’homme. Dans une interview, elle partage sa vision de l’avenir de l’Europe. «Si l’on perd la volonté de se battre pour elle, on perd son identité.»
La Première ministre sociale-démocrate Mette Frederiksen a diffusé la semaine dernière, en compagnie d’autres dirigeants européens, dont le Premier ministre Bart De Wever et la Première ministre italienne Giorgia Meloni, une lettre ouverte exprimant une critique sévère envers la Cour européenne des droits de l’homme.
Cette Cour a déjà critiqué à plusieurs reprises la politique migratoire danoise, exigeant des ajustements, notamment après l’expulsion d’un homme souffrant de troubles psychiatriques. «Nous croyons en l’Etat de droit et en l’idée des droits de l’homme. Mais si quelqu’un entre dans notre société avec l’intention de la détruire, alors nous devons pouvoir nous défendre.»
Vous écrivez que la Cour est allée trop loin. Que voulez-vous dire exactement?
Mette Frederiksen: A ma connaissance, la Convention européenne des droits de l’homme a été créée à l’origine pour protéger les minorités, surtout après la Seconde Guerre mondiale. Mais aujourd’hui, nous devons souvent protéger la majorité. Ce ne peut tout de même pas être un droit humain de venir d’Afghanistan jusqu’ici pour violer une jeune femme ou tuer quelqu’un. Si quelqu’un fait une chose pareille, nous avons le droit de lui dire de partir. Si quelqu’un assassinait mon partenaire, l’inviterais-je à ma table? Non.
«Si quelqu’un entre dans notre société avec l’intention de la détruire, alors nous devons pouvoir nous défendre.»
Jusqu’à présent, sept pays ont soutenu votre lettre, tous dirigés par des partis libéraux, conservateurs ou de droite. La Suède et la Finlande n’en font pas partie. Que voulez-vous accomplir par cette démarche?
Mon objectif est d’avoir le contrôle de nos frontières. Je veux que l’Europe reste un endroit sûr à l’avenir.
Des membres de partis frères à l’étranger vous louent pour votre clarté. Pourtant, il y a régulièrement des critiques sur la manière dont vous parlez des migrants. Vous dites par exemple que la migration de masse est l’un des problèmes les plus urgents de l’Europe, et qu’une vie conforme au Coran est incompatible avec les valeurs d’un démocrate. Vous considérez-vous encore comme une femme de gauche?
Je suis une sociale-démocrate. Cela détermine ma politique, et donc aussi ma politique migratoire.
Serait-il possible que vous abordiez la question migratoire de cette manière parce que vous pensez que votre position pourrait, par exemple, plaire au vice-président américain J.D. Vance?
Quiconque dit cela m’insulte. Mon point de vue sur la migration est le même depuis dix ans. On doit pouvoir se sentir en sécurité lorsqu’on prend le bus le soir ou qu’on se rend au travail ou à l’école tôt le matin. Avec le niveau actuel de criminalité en Europe, il existe des zones où les gens ne se sentent plus en sécurité.
Il y a environ cinq mois, Donald Trump a de nouveau déclaré qu’il voulait acheter le Groenland. Quand avez-vous compris que ce n’était pas une plaisanterie?
J’ai été convaincue très tôt que Trump était sérieux. Mais nous le sommes aussi. Pour moi, il est clair que l’avenir du Groenland appartient aux gens qui y vivent, et cela est également inscrit dans nos lois. C’est leur pays. Selon la Charte des Nations Unies, le droit international et tout ce sur quoi nous avons fondé notre ordre mondial après la Seconde Guerre mondiale, on ne peut pas simplement revendiquer une partie d’un autre pays ou la prendre par la force. Notre royaume danois est une communauté dont le Groenland fait aussi partie. C’est la réalité.
«J’ai été convaincue très tôt que Trump était sérieux. Mais nous le sommes aussi. Pour moi, il est clair que l’avenir du Groenland appartient aux gens qui y vivent.»
Vous affirmez que nous sommes au début d’une nouvelle ère, plus incertaine et donc plus dangereuse. Que voulez-vous dire par là?
La Russie est très agressive. Je suis convaincue que Vladimir Poutine et ses proches ont l’intention de poursuivre ce que nous voyons depuis 2022 en Ukraine. Ils ont structuré leur économie pour une guerre prolongée et bénéficient à cet effet du soutien de la Corée du Nord, de l’Iran et, malheureusement, aussi de la Chine.
En avril, lors d’une visite au Groenland, vous avez déclaré que le Danemark a toujours considéré les Etats-Unis comme un partenaire. Comment voyez-vous les Etats-Unis aujourd’hui: comme un allié ou comme un adversaire?
Je reste fidèle à mes valeurs. Même si des choses changent aux Etats-Unis, cela ne modifie en rien ma vision des relations transatlantiques. Sans l’Otan, nous ne pourrions pas protéger notre population. L’article 5, la défense collective, est notre principale protection.
La question est de savoir combien de temps cela tiendra encore.
On peut me reprocher beaucoup de choses, mais pas d’être naïve. Je vois où se trouvent nos faiblesses. Ce fut une erreur historique de la part de l’Europe d’acheter du gaz à la Russie et de se rendre ainsi dépendante. Nous en avons payé le prix. Nous devons maintenant affronter cette nouvelle réalité. Il faudra reconsidérer certaines décisions. J’espère que tout le monde continuera à soutenir l’Otan. Mais l’Europe doit être capable de se défendre entièrement par ses propres moyens.
«En tant qu’Européens, nous devons nous poser la question suivante: si nous ne sommes pas prêts aujourd’hui à nous défendre, qui sommes-nous?»
Que peut faire le Danemark pour s’affirmer face à une puissance mondiale dont le dirigeant est qualifié de tyran par de nombreux observateurs?
Lorsque je parle de réarmement, je parle du réarmement européen. Ce fut une grande erreur de réduire autant nos budgets de la défense après la Guerre froide. En tant qu’Européens, nous devons nous poser la question suivante: si nous ne sommes pas prêts aujourd’hui à nous défendre, qui sommes-nous? Pour moi, l’Europe n’est pas qu’une tache sur la carte. Elle reflète nos valeurs, nos idées, notre vision du monde, notre mode de vie et notre manière de construire des sociétés. Si vous perdez la volonté de vous battre pour cela, vous perdez votre identité.