mur antidrones
Dans la nuit du 9 au 10 septembre, 19 drones présumés russes survolaient la Pologne. Quatre furent abattus. © REUTERS

Menace russe sur l’Europe: un mur antidrones, ok, mais quid de l’assistance à l’Ukraine?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’Union européenne veut prévenir les incursions russes. Mais la réponse la plus efficace serait de faire cesser les attaques sur le territoire ukrainien. On en est loin.

Comment prémunir l’Europe contre l’attaque de drones russes? La question agite les chancelleries du Vieux Continent depuis que la Pologne a subi, dans la nuit du 9 au 10 septembre, l’incursion de 19 drones. Elle sera abordée lors du sommet européen de ces 23 et 24 octobre à Bruxelles sur la base de la feuille de route de la Commission européenne, présentée le 16 octobre, qui prévoit l’édification d’un mur antidrones sur le front oriental de l’Union. Quel dispositif, quel financement, quel objectif? Le projet en est encore à ses prémices. Mais la Commission se veut volontariste avec un calendrier serré: «capacité initiale» mise en place avant la fin de 2026, opérationnalité de celle-ci avant la fin de 2027, et mise en œuvre d’un système complet avant la fin de 2028.

Quel dispositif? Il n’est pas identifié à ce stade. «Nous fournirons aux nations un catalogue de solutions efficaces qui ont fait leurs preuves», a indiqué l’amiral Pierre Vandier, le commandant suprême pour la transformation de l’Otan qui, a annoncé son Secrétaire général Mark Rutte le 15 octobre, a également lancé une initiative pour contrer la menace des drones. «Nous nous complétons», a tenté de rassurer la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas.

«Une défense aérienne sur 100 kilomètres en Ukraine, dès la frontière polonaise, est envisageable.»

Expertise ukrainienne

«L’enjeu est de pouvoir neutraliser efficacement des drones comme ceux qui ont été abattus en Pologne avec des systèmes à faible coût, souligne Gaétan Powis, journaliste spécialiste des questions de défense à l’hebdomadaire Air&Cosmos. On dispose de missiles air-air tirés depuis des avions mais ils coûtent cher. Aujourd’hui, les Ukrainiens utilisent des moyens moins coûteux, des canons antiaériens, des drones antidrones et des roquettes de 70 mm. Celles-ci sont fournies par les Etats-Unis et par l’entreprise française Thales qui les fabrique en Belgique, sur son site de Liège. La roquette est un moyen efficace à courte portée, ne nécessite pas une chaîne de production extrêmement compliquée et dispose d’un guidage laser qui la rend aussi précise qu’un missile. Une roquette de 70 mm a même été utilisée récemment par les Ukrainiens pour détruire non pas un drone mais un missile de croisière. La roquette antidrone est donc en train de se redéfinir comme roquette antiaérienne. Il faut apprendre de l’expérience des Ukrainiens, même s’il ne faut pas oublier qu’ils n’ont pas toutes les capacités disponibles entre leurs mains.»

L’empressement des Européens à répondre à la menace russe après l’incursion d’une vingtaine de drones en Pologne et d’un autre en Roumanie pourrait même apparaître «émotionnel» et excessif en regard de la pléthore d’engins qui envahissent le ciel ukrainien depuis quelques mois –185 en moyenne par jour depuis mai, selon Olivier Sueur, chercheur associé à l’Institut d’études de géopolitique appliquée– et au regard des capacités de production de la Russie, estimée à 60.000 drones pour l’année 2026. Dès lors, l’urgence ne serait-elle pas d’aider l’Ukraine à se défendre face à ce danger croissant? «Il convient de répondre à la Russie en faisant en sorte de la gêner, tout en restant sous le seuil de conflictualité, suggère Olivier Sueur dans une tribune publié dans Le Monde du 9 octobre. Si le fait d’assurer la défense aérienne de l’ensemble du territoire ukrainien contre les drones et missiles n’apparaît pas réaliste […], il est parfaitement envisageable d’offrir ce service sur une bande de 100 kilomètres calculée à partir de la frontière polonaise. Cette décision peut être notifiée à la Russie, carte à l’appui, tout en étant assurée depuis le territoire de l’Otan par des avions et des systèmes de défense sol-air. Cette zone de défense aérienne pourrait être établie pour seulement six mois, sous réserve de l’absence de violation de l’espace aérien de l’Otan par la Russie pendant ce temps. Un donnant-donnant permettrait ainsi de rétablir l’équilibre, et donc la dissuasion.» Difficile de penser que la Russie puisse se ranger à cette proposition à court terme. Mais le projet répondrait à une partie des menaces qui touchent l’Ukraine et à celles qui pèsent sur les Etats otaniens voisins.

Les survols de lieux stratégiques par des drones se sont multipliés en Europe, notamment à l’aéroport de Munich. © REUTERS

Drones perturbateurs

Quoi qu’il en soit, on peut difficilement reprocher aux Européens de se préparer à une menace russe elle aussi croissante contre leurs intérêts. Déjà qu’on les accuse d’être une guerre en retard face à la multiplication de l’usage des drones. Ainsi, les députés Stéphane Lasseaux (Les Engagés) et Mathieu Michel (MR), pourtant membres de la majorité, ont-ils pu avancer que la Belgique aurait été avisée de commander un F-35 de moins pour investir dans la lutte antidrone. «Aujourd’hui, la défense aérienne des forces armées belges est composée uniquement de systèmes antiaériens à très courte portée Mistral. Il n’y a rien d’autre, rappelle Gaétan Powis. Ce manque a été clairement identifié par la Défense ces dernières années. Elle a donc décidé de monter en puissance avec l’achat très prochainement de systèmes Nasams, des lance-missiles antiaériens à moyenne portée, et, en 2029, avec la sélection d’un système antiaérien de longue portée. Le manque dans ce domaine est donc appelé à se combler petit à petit. Et puis, arrivent les drones. On est dans cette phase. La Défense a compris qu’il y avait une menace liée aux drones et qu’il faudrait acheter prochainement les moyens d’y répondre (NDLR: un projet d’achat d’appareils antidrones capables d’intercepter des drones de quelques grammes à 500 kilos est à l’étude) . Mais elle s’attelle d’abord à ajuster ses capacités en matière de défense antiaérienne classique.»

La prévention contre les drones touche aussi, il est vrai, les petits appareils semblables à ceux qui, au-dessus du camp militaire d’Elsenborn en Belgique et d’autres sites stratégiques en Allemagne et au Danemark, ont perturbé ces dernières semaines les activités de certains Etats européens. La parade est nécessairement différente de celle opposée aux drones militaires probablement russes qui ont frappé la Pologne. Et elle mobilise d’autres enjeux. «Il y a un problème juridique. Qui doit assurer la protection des lieux publics? Sont-ce les forces armées ou les forces de police? Cela peut dépendre de la législation en vigueur dans les différents pays. Mais de manière générale, on n’envisage pas qu’un policier puisse utiliser un canon antiaérien, un lance-roquettes ou un lance-missiles pour détruire ce genre de drones, fait valoir le spécialiste défense à Air&Cosmos. En revanche, on peut imaginer un policier avec brouilleur. Mais il faudra s’assurer de ne pas brouiller la totalité de la zone. Et si la compétence est donnée à l’armée, il faudra veiller à ce qu’après un tir de roquette ou de missile, le minidrone ne tombe pas sur une installation ou sur une réserve de carburant. On peut aussi imaginer la création d’unités spécifiques qui mobilisent à la fois des policiers et des militaires mobilisables directement.»

A chaque type de menace, sa réponse. En toute hypothèse, les chantiers de lutte contre les drones animeront encore longtemps les débats dans les prochaines années.

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