Sarkozy
Mouammar Kadhafi fut reçu en grande pompe à Paris, en décembre 2007, par le président français Nicolas Sarkozy. © GETTY

Procès Sarkozy: «Un système mis en place en déshonneur de la mémoire des victimes de l’attentat contre le DC10 d’UTA»

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Comment Nicolas Sarkozy a-t-il pu concevoir de «dealer» avec l’organisateur de l’attentat le plus meurtrier commis contre la France?, s’interroge Danièle Klein, une proche d’une victime.

Les débats qui ont accompagné la peine à laquelle Nicolas Sarkozy a été condamné, le 25 septembre, au terme du procès sur le financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007, ont occulté les faits qui l’ont justifiée aux yeux des juges du tribunal. L’association de malfaiteurs validée par le jugement concerne un projet de corruption étayé par des rencontres non officielles entre Abdallah Senoussi, alors chef du service de renseignement militaire de Libye, et Claude Guéant, le directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur qu’est Sarkozy, le 1er octobre 2005, et entre Abdallah Senoussi et Brice Hortefeux, le ministre français des Collectivités territoriales, le 21 décembre 2025. Le deal aurait impliqué le versement d’argent à l’entourage du candidat à l’élection présidentielle de 2007 contre des démarches visant à faire lever le mandat d’arrêt international qui frappait le beau-frère du leader de la Jamahiriya arabe libyenne, Mouammar Kadhafi.

Car Abdallah Senoussi a été condamné en 1999 par contumace par un tribunal français à la prison à perpétuité pour avoir commandité et organisé l’attentat contre le DC10 d’UTA dix ans plus tôt (voir le livre-enquête L’Assassin qu’il fallait sauver, Robert Laffont, 2025). Cent septante passagers et membres d’équipage ont péri dans l’explosion d’un bagage piégé dans l’appareil au-dessus du désert du Ténéré, au Niger, alors qu’il effectuait la liaison entre Brazzaville et Paris, via N’Djamena. Senoussi a aussi été impliqué dans l’attentat contre le Boeing de la Pan Am au-dessus de Lockerbie, en Ecosse, en 1988 (270 morts).

Membre de l’association des victimes de l’attentat contre le DC10 d’UTA, Danièle Klein, qui a perdu son frère Jean-Pierre dans l’attaque terroriste, expose son sentiment après le procès et le jugement.

Les débats du procès vous ont-ils convaincue qu’une tentative de deal avait été menée entre des émissaires de Nicolas Sarkozy et Abdallah Senoussi, le beau-frère de Mouammar Kadhafi?

J’ai passé trois mois et demi sur le banc des parties civiles. Mon implication en tant que victime endeuillée de l’attentat contre le DC-10 d’UTA aurait pu provoquer en moi une espèce de conviction naturelle d’avant-procès. Cela, je ne l’ai pas voulu. Nous, les «familles du DC-10», sommes arrivées avec la volonté d’entendre et de comprendre. Ce procès nous a permis de réfléchir au déroulement des faits en présence des vrais personnages venus les uns après les autres étayer ce qui figurait dans le dossier: des gens de la société civile, des enquêteurs, d’anciens ambassadeurs, la présidente de la société Areva à l’époque, Anne Lauvergeon, soit un groupe très important de citoyens occupant différentes fonctions qui, sans se concerter, ont construit un puzzle nous révélant une image très claire à la fin du procès, celle d’un système. Par conséquent, lorsque je dis que ma conviction est faite qu’un projet de corruption a été discuté, c’est sur des bases extrêmement solides.

En tant que proche d’une victime de l’attentat, quel sentiment vous a inspiré la révélation de ce système?

J’ai eu un sentiment très fort qu’on était face à une affaire d’une extrême gravité. L’attentat contre le DC-10 d’UTA a fait 170 morts. C’est le plus meurtrier perpétré contre la France. Il a engendré plus de victimes que les attaques du 13 novembre 2015 à Paris ou que l’attentat de Nice, le 14 juillet 2016. Ce sont les «familles du DC-10» qui ont créé l’Association française des victimes du terrorisme (AFVT). On a été les précurseurs. J’ai donc eu le sentiment qu’on n’avait jamais connu en France une affaire pareille, mêlant à la fois de la corruption au plus haut niveau et des actes de terrorisme gravissimes. A lire et entendre la précision des faits, les descriptions, les documents trouvés par Mediapart, les mises en relation de certains agendas des hommes politiques qui ont rencontré Abdallah Senoussi, un terroriste internationalement recherché, on s’est rendu compte que c’était quelque chose de fou dans sa gravité et dans son ampleur. Notre sentiment a d’abord été celui-là.

Abdallah Senoussi, organisateur de l’attentat contre le DC-10 d’UTA, et pourtant interlocuteur des émissaires de Sarkozy. © BELGA

Vous expliquez-vous que des personnalités politiques aient ainsi pu faire fi de votre souffrance?

Que ces hommes politiques se soient sentis si sûrs d’eux pour aller jusque-là, pour instaurer un véritable système fonctionnant avec des intermédiaires, avec un banquier suisse qui fait circuler l’argent, avec un Ziad Takieddine et un Alexandre Djouhri qui savent comment cacher cet argent, etc., etc., incline à penser qu’il y a tout de même un historique à ce genre de comportement. Un historique du monde politique en France. Jacques Chirac, qui avait déjà noué des relations avec Mouammar Kadhafi, a quelque part ouvert la voie. On savait qu’à un moment, il était possible que la classe politique de droite tire un trait sur le passif d’un tel régime parce que la Libye pouvait devenir un eldorado pour la France, et lui permettre de vendre des armes, de relancer l’emploi… On a perçu qu’il y avait une sorte de copier-coller à une échelle bien plus grande avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement de Nicolas Sarkozy. Les choses se sont révélées au vu et au su de tout le monde. Mouammar Kadhafi était la caricature du dictateur. Et c’est bien lui que la France a reçu à Paris pendant cinq jours en 2007. Cela ne tombe pas du ciel. C’est tellement dingue que pour en arriver là, il y a forcément eu en amont énormément de relations, d’échanges, de discussions, et les deux fameux rendez-vous des deux proches de Nicolas Sarkozy avec le terroriste lui-même en tête-à-tête pendant 40 minutes. Un système s’est mis en place et a duré, en déshonneur de la mémoire des 170 morts du DC-10. Je ne vois pas comment on peut l’interpréter autrement.

«La peine n’est pas folle; ce qui est fou, c’est ce qui a été fait.»

Le verdict répond-il à vos attentes?

Je pense que la gamme des peines correspond à la gravité des faits. Par la nature des prévenus –trois ex-ministres, un ex-président de la République, des escrocs internationaux…–, la France n’a jamais connu une telle situation. On pourrait se dire qu’il est incroyable qu’un ancien président soit condamné à cinq ans de prison. Mais quand on y repense sereinement, la peine n’est pas folle; ce qui est fou, c’est ce qui a été fait. Nicolas Sarkozy n’est pas le seul à avoir été condamné à de la prison en tant que politique; Brice Hortefeux et Claude Guéant l’ont aussi été. Les peines ne me surprennent pas. Il y a une logique. C’est la loi. La justice en France fonctionne bien, même si elle manque de moyens. On lui doit beaucoup. Et on doit la respecter. Avec des personnes qui ne viendraient pas du monde de la politique, en cas d’affaire aux conséquences aussi graves pour la société, on aurait trouvé que les peines seraient normales. Mais on n’a pas l’habitude que ce type de condamnations soit destiné à des hommes politiques. Cela fera jurisprudence. Et c’est important pour les victimes de terrorisme. En France, elles sont considérées comme des «victimes civiles de guerre». C’est la loi. C’est la nation qui nous le dit d’une façon officielle. La nation décerne des médailles aux victimes de terrorisme décédées. Il y a des cérémonies. Il y a un mémorial aux victimes. Comment imaginer qu’un président de la République ait pu dire à un moment qu’il discuterait malgré tout avec le mec qui a organisé l’attentat le plus meurtrier en France? La réalité, c’est celle-là.

Danièle Klein, sœur d’une victime de l’attentat contre le DC10 d’UTA.
© DR

Le Président Sarkozy vous avait reçu en 2007. Rétrospectivement, qu’est-ce que cela vous inspire?

C’est le seul président de la République qui a reçu un petit groupe des «familles du DC-10». Pourquoi? Quand Mouammar Kadhafi est venu en France en décembre 2007, nous avons été sur ses pas à chaque déplacement, avec nos pancartes pour simplement signifier qu’il n’était pas normal de le recevoir. C’est remonté aux oreilles du président que nous n’étions pas contents. Le dernier jour du séjour du leader libyen, Nicolas Sarkozy nous a accordé une heure de son temps à l’Elysée, ce qui n’était absolument pas prévu à son agenda. Sur le moment, on s’est dit qu’il avait eu le courage de le faire… On a bien compris qu’il nous recevait en loucedé, en vitesse, et parce qu’on l’embêtait. Il nous a mis un peu dans sa poche. Il nous a parlé gentiment, nous a dit que nous étions des «gens formidables», qu’il nous aiderait à aller sur le lieu de l’attentat dans le Ténéré. On a eu droit à tout. On est ressortis en se disant que symboliquement, cela voulait tout de même dire quelque chose. Mais rétrospectivement, quand on a appris qu’il avait vraisemblablement été élu avec de l’argent libyen, on s’est dit que c’était encore plus cynique que ce qu’on pensait. On est tombé de haut à la lecture de l’enquête journalistique qui a dévoilé, page après page, les relations permanentes entre le gouvernement de Nicolas Sarkozy et la dictature de Kadhafi. Et par rapport à la réception à l’Elysée, on s’est dit que c’était incroyable: il nous a menti.

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