Nicolas Sarkozy dénonce une atteinte à l’Etat de droit après sa condamnation par le tribunal correctionnel de Paris, le 25 septembre. © GETTY

Procès Sarkozy: pas de «gouvernement des juges» mais une exécution provisoire problématique

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Il n’y a pas de «gouvernement des juges» en France. Toutefois, la banalisation de la décision de l’exécution provisoire, y compris pour Nicolas Sarkozy, pose question.

La condamnation de Nicolas Sarkozy pour association de malfaiteurs dans le cadre du procès sur le financement de la campagne présidentielle française de 2007 a suscité beaucoup de critiques, circonstanciées ou générales. Maître de conférences associé à l’université Paris Nanterre et magistrat, Vincent Sizaire répond aux objections formulées, parfois sous le coup de l’émotion.

«La justice se substitue au peuple souverain»

FAUX. «Dans une société démocratique, c’est au nom du peuple que la justice est rendue», a répliqué Vincent Sizaire, dans une tribune publiée le 25 septembre dans Le Monde, à ceux qui soutiennent qu’un responsable politique n’aurait à rendre des comptes que devant l’électeur. L’argument a été plus encore martelé par les soutiens de Marine Le Pen après sa condamnation, le 31 mars, à quatre ans de prison, dont deux ferme, et à cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire, comme Nicolas Sarkozy, dans le cadre du procès des assistants parlementaires du Rassemblement national au Parlement européen. Le magistrat s’explique.

«Il faut sortir de cette opposition, qui ne mène pas bien loin, entre des juges qui seraient une incarnation d’une espèce de classe technocratique et des politiques qui seraient les seuls dépositaires de la volonté du peuple. En démocratie, tout le monde est placé sur un pied d’égalité et le rôle de l’institution judiciaire est justement, au nom du peuple, de veiller à ce que cette égalité devant la loi soit bien respectée. Quand il dit qu’il représente le peuple, un élu représente le plus souvent ses électeurs. L’intervention du pouvoir judiciaire vise à faire en sorte que chacun ait la même protection que tous les autres, que vous soyez ou non du camp majoritaire. Sinon, il n’y a plus de pacte social. Et on n’est plus dans un système démocratique.»

«L’exécution provisoire pose problème en soi»

VRAI. La condamnation de Nicolas Sarkozy à cinq ans de prison a été assortie d’un mandat de dépôt différé (ce qui signifie qu’un temps lui est laissé pour se préparer à l’emprisonnement) avec exécution provisoire (ce qui implique qu’il entamera sa peine malgré le fait qu’il a fait appel). Cette décision d’exécution provisoire a été perçue par ses soutiens comme excessive et visant à punir l’ancien président qu’est Nicolas Sarkozy. Vincent Sizaire estime que l’exécution provisoire justifie un «vrai débat».

Il rappelle cependant qu’à l’heure actuelle, «elle est prononcée de manière presque systématique, contrairement à ce qui a pu être dit par le camp de Nicolas Sarkozy. Lorsqu’on est sur des peines de prison supérieures à un an, elle est prononcée dans près de 90% des cas. On peut en revanche s’interroger sur cette banalisation de l’exécution provisoire, qui pose un problème par rapport à l’effectivité du droit au recours et l’effectivité de la présomption d’innocence. Elle devrait normalement être exceptionnelle», juge le magistrat.

Mais cette quasi-systématisation est encouragée par la loi, souligne Vincent Sizaire. «En 2019, on a généralisé cette possibilité d’ordonner l’exécution provisoire avec la création d’un mandat de dépôt différé, celui qui a été appliqué à Nicolas Sarkozy.

Il y a peut-être aussi la prise de conscience que les délais d’appel sont longs et que, pour que l’application de la peine n’intervienne pas trop tardivement après la condamnation, on l’exécute tout de suite. Ce n’est pas satisfaisant parce qu’il serait plus judicieux d’octroyer davantage de moyens pour réduire les délais. C’est la même chose en matière civile: la loi dit clairement que l’exécution provisoire est le principe. C’est choquant par rapport au droit au recours parce que, en matière civile, cela peut concerner des enjeux considérables, paiement de lourdes sommes d’argent, privation de droits, etc.»

Enfin, Vincent Sizaire pointe un dernier reproche, justifié, à cette pratique: «Il n’y a pas de critères prévus pour ordonner l’exécution provisoire alors qu’il y en a pour justifier un mandat de dépôt. C’est une sorte de pouvoir discrétionnaire. Ne pas devoir motiver l’exécution provisoire est assez problématique.»

«Rien n’atteste qu’il y aurait des magistrats qui voudraient abuser de leur pouvoir contre des responsables politiques.»
Vincent Sizaire, maître de conférences associé à l’université Paris Nanterre. © DR

«L’exécution provisoire a une influence sur le procès en appel»

PLUTÔT FAUX. Des défenseurs de Nicolas Sarkozy ont déploré que l’exécution provisoire de sa condamnation en première instance affecte le bon déroulement de son procès en appel. Le reproche est-il fondé? «De façon générale, l’exécution provisoire a forcément une incidence sur la peine, souligne Vincent Sizaire. S’il y a un changement de sanctions en appel et, par exemple, une décision de relaxe, forcément cela signifie que la personne aura effectué une sanction qui n’était pas due. Si c’est une sanction privative de liberté, elle pourra obtenir une indemnisation. En revanche, cela n’a pas en soi d’influence sur l’issue du procès en appel.

Ce n’est pas parce qu’il y a une exécution provisoire que le procès en appel est joué. Toutefois, cela veut dire que la personne peut se retrouver à exécuter une sanction qui ne sera pas la même que celle qui sera décidée par la cour d’appel, voire exécuter une sanction alors même que la cour d’appel n’en prononcera pas. C’est pour cela que c’est une atteinte au droit au recours et c’est pour cela qu’elle devrait être beaucoup plus encadrée qu’elle ne l’est aujourd’hui.»

«Plus les politiques risquent d’être inquiétés par la loi pénale, plus ils seront sensibles à préserver les droits de la défense.»

«Un gouvernement des juges opère en France»

FAUX. «J’y ai consacré mon dernier livre; j’ai bien étudié la problématique (1). Autant il y a des domaines, notamment en matières administrative, constitutionnelle, européenne, où l’on peut se poser la question d’un empiètement, pas forcément de la volonté des juges mais par défaut, dans le champ de l’action publique, autant lorsqu’il s’agit de sanctionner quelqu’un, rien n’atteste qu’il y aurait des magistrats qui voudraient abuser de leur pouvoir contre des responsables politiques.

Lorsqu’on observe l’exercice de la justice dans le détail, on a une procédure aujourd’hui en matière pénale en France qui est particulièrement respectueuse des droits de la défense avec plein de garanties, l’accès au dossier, la possibilité de faire des recours contre à peu près toutes les décisions, un droit au contradictoire qui est le plus élevé possible… Les jugements, comme celui prononcé dans le procès Sarkozy, sont particulièrement motivés. Y figurent tous les éléments pour montrer sur quoi ils se basent.

La seule façon de prétendre qu’il y aurait quand même eu un abus de pouvoir consisterait à plaider le complot: tout le monde serait de mèche, les policiers, les procureurs, les juges d’instruction, les juges de la liberté et de la détention, les trois juges qui ont prononcé le jugement, les magistrats de la cour d’appel… Cela ne tient pas. Le tribunal correctionnel de Paris a été particulièrement vigilant sur les garanties appliquées à l’ancien chef de l’Etat. Le jugement fait près de 400 pages.

Dans l’écrasante majorité des procès en correctionnelle, il en fait trois et il y a une motivation stéréotypée du type « il ressort du dossier que les faits sont constitués ». Point barre. Cela s’arrête là pour 90% de gens, dont certains vont en prison. C’est pour dire qu’il y a eu dans le procès dont on parle un plein respect de toutes les garanties de la procédure parce que, précisément, les juges savent qu’ils travaillent sous le regard de nombreux observateurs et de l’opinion publique. Par ailleurs, rien n’a jamais démontré l’existence d’une politisation de la magistrature, du moins dans le sens où le camp de l’ancien président le dit. Les juges ne sont pas du tout dans une posture de toute-puissance, au contraire. Ce qui prédomine, c’est plutôt une volonté de montrer patte blanche.»

Et puis, les magistrats ne font qu’appliquer la loi. Et si à l’usage, celle-ci s’avère poser des problèmes, libre aux responsables politiques de la changer. «On a l’impression que lorsqu’ils votent les lois, les élus ne se disent jamais que cela peut potentiellement s’appliquer à eux, analyse Vincent Sizaire. Il y a toujours cette réticence à accepter une pleine et entière égalité devant la loi. Ils votent des réformes en affirmant qu’il faut que la justice soit plus sévère et que des exécutions provisoires soient ordonnées parce que les délais d’appel sont trop longs. Mais ils ne se disent pas une seconde qu’elle pourra s’appliquer à eux-mêmes. D’une certaine façon, plus les classes dirigeantes risquent d’être inquiétées comme les autres par la loi pénale, plus on peut penser qu’elles seront sensibles à préserver les droits de la défense.»

(1) Gouverner les juges. Pour un pouvoir judiciaire pleinement démocratique, par Vincent Sizaire, La Dispute, 2024.

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