Jean-Luc Mélenchon © Getty Images

Mélenchon, gourou ou politique ambitieux? «Même ta mère ou ton père ne peuvent pas te faire ramper comme ça»

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Un livre-enquête décrit les méthodes de fonctionnement de La France insoumise. Entre domination, soumission et excommunication. «Mélenchon demande la dévotion aveugle.»

Le livre est posé devant lui, à sa droite, sur la table devant laquelle il a pris place dans cette salle de l’Assemblée nationale où l’auditionne la commission d’enquête parlementaire sur les violences en milieu scolaire, qui traite le 14 mai celles qui ont eu lieu à l’institution Notre-Dame de Bétharram, près de Pau, dans le sud-ouest de la France. Le Premier ministre François Bayrou voit dans cette confrontation une opération de basse politique orchestrée en particulier par le corapporteur de la commission, le député Paul Vannier, de La France insoumise (LFI).

Se présenter avec, à portée de main, l’ouvrage que les journalistes Charlotte Belaïch, de Libération, et Olivier Pérou, de L’Express, ont tiré de leur enquête sur La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, La Meute (1), est tout sauf anodin. Le chef du gouvernement veut signifier par là qu’il est prêt à rendre coup pour coup face à son principal adversaire du jour. Il fera d’ailleurs référence à l’ouvrage au cours d’une de ses prises de parole… Exemple, parmi d’autres, de l’exploitation faite, au premier chef à l’extrême droite, de cette enquête.

Pas d’accord? Excommuniés

Paul Vannier est en effet cité par les journalistes comme un des piliers de la garde rapprochée du leader de La France insoumise, cette meute qui, selon eux, cadenasse le parti d’extrême gauche, met au pas ses élus et ses militants si nécessaire, et le transforme en une sorte de secte au service d’un gourou. Il y est décrit comme le «prototype du militant appliqué, carré, dévoué, cruel si nécessaire». Lui-même semble le reconnaître à demi-mot dans le livre: «Bien sûr qu’ont est des gens disciplinés, organisés, groupés, et on considère que ça fait partie de notre force, mais Jean-Luc Mélenchon n’est pas du tout un esprit dogmatique.» Alors, La France insoumise n’est-elle qu’un mouvement plus organisé que d’autres formations politiques ou une véritable secte?

Deux événements contemporains ont donné de Jean-Luc Mélenchon les indices d’un autoritarisme susceptible de poser question. En septembre 2022, le député Adrien Quatennens, son bras droit, est accusé de violences sur sa compagne (il sera condamné à quatre mois de prison avec sursis pour ces faits quelques mois plus tard). Mais le leader de LFI persiste longtemps à le défendre, suscitant des réactions de désapprobation de la part de militants qui ne comprennent pas que, leur parti s’étant engagé à ne pas soutenir un homme politique mis en cause pour violences sexistes et sexuelles, Quatennens puisse bénéficier d’un tel soutien du chef. «Je n’ai pas formé des gens pour qu’ils abandonnent un camarade à la première difficulté», va même jusqu’à soutenir Jean-Luc Mélenchon lors d’une réunion avec ses députés.

Le 15 juin 2024, au moment de l’investiture des candidats pour les élections législatives organisées anticipativement après la dissolution de l’Assemblée nationale par le président Emmanuel Macron, les députés sortants LFI Raquel Garrido, Alexis Corbière, Danielle Simonnet, Hendrik Davi et Frédéric Mathieu découvrent que leurs noms ne figurent pas sur les listes établies par la direction du parti. Leur point commun, et leur tort? Tous ont émis des critiques sur le fonctionnement interne, problématique à leurs yeux, de La France insoumise.

Alexis Corbière et Raquel Garrido: ex-députés LFI, dégagés pour avoir critiqué le fonctionnement du parti. © BELGA

«Ne m’adresse plus la parole»

A Alexis Corbière, qui partage 30 ans de compagnonnage politique et d’amitié avec Jean-Luc Mélenchon, ce dernier lui envoie ce message: «Ne m’adresse plus jamais la parole», explique le député à Charlotte Belaïch et Olivier Pérou. Illustration d’une méthode reproduite dans le fonctionnement quotidien du parti à travers des boucles numériques dont un élu peut être exclu du jour au lendemain. Sa compagne, Raquel Garrido, elle aussi militante de la première heure de la gauche radicale, devra être soignée dans un centre hospitalier de psychiatrie après cette annonce. Sa brutalité est d’autant plus âpre à encaisser qu’elle émane d’une personnalité à laquelle les élus rejetés ont cru intensément et ont voué longtemps une profonde admiration avant que son comportement ne suive d’autres méthodes. Terriblement lucide, Alexis Corbière en assume sa part de responsabilité dans La Meute. «On a fabriqué une machine censée abolir la Ve République, qui a empoisonné la vie politique, et c’est devenu le lieu de protection d’un seul homme. J’en suis en partie responsable. On a mis sur pied un mouvement qui autorise ces dérives, parce qu’à ce moment-là, dans un paysage politique en décomposition, on se disait que ça se jouait sur des incarnations personnelles», reconnaît celui qui a été réélu député en 2024 contre… un candidat de LFI.

«C’est ainsi que Mélenchon tient son armée, sur la menace permanente de l’excommunication», écrivent Charlotte Benaïch et Olivier Pérou au terme d’une enquête de deux ans au cours de laquelle ils ont interrogé quelque 200 témoins. Leur conviction est faite: «La France insoumise n’est pas un parti politique comme les autres. Il ne s’agit pas des coups de colère d’un homme autoritaire, mais de domination, de soumission.»

Cette domination a eu un cheminement et a, peut-être, une explication. Après avoir quitté le Parti socialiste en en novembre 2008, Jean-Luc Mélenchon fonde d’abord le Parti de gauche, l’année suivante. Danielle Simonnet, une des bannies de 2024, est déjà de l’aventure, et dessine le portrait du leader, à cette époque, et en creux, ce qu’il va devenir: «On a un bonhomme qui a du caractère, il a de l’autorité, on le respecte. Il peut être colérique, mais ça s’inscrit encore dans un cadre collectif. Le fonctionnement de Mélenchon ne fait pas encore système. On n’est pas dans un rapport autoritaire, on crée du consensus par le raisonnement, on a du temps pour discuter», détaille-t-elle.

«C’est ainsi que Mélenchon tient son armée, sur la menace permanente de l’excommunication.»

Une dévotion aveugle

En 2016, le Parti de gauche cède la place à La France insoumise. On est à quelques mois de la prochaine élection présidentielle, la seule véritable ambition politique de Mélenchon. Il crée une structure au service de celle-ci. «Il n’a plus le temps pour les affaires pesantes des partis de gauche, leur démocratie interne, les oppositions, les majorités, les courants, ces histoires de conseils nationaux et de congrès où il faut toujours en venir au compromis. Il en a si longtemps fait les frais à l’époque du PS», décryptent les auteurs de La Meute.

Jean-Luc Mélenchon aurait donc retenu des dissensions internes et des guerres de courants dont il a souffert au Parti socialiste qu’il n’était pas question de répéter les mêmes schémas. Il opte donc à La France insoumise pour une structure plus verticale, peu soucieuse de la pratique de la démocratie interne. Interviewé en 2017 par l’hebdomadaire Le 1, il s’en explique, ou, du moins, essaie: «Le mouvement n’est ni vertical ni horizontal, il est gazeux. C’est-à-dire que les points se connectent de façon transversale: on peut avoir un bout de sommet, un bout de base, un bout de base qui devient un sommet.» Gazeux ou nébuleux?

Des témoignages extérieurs traduisent sans doute mieux son style de gouvernance. «C’est la quintessence de sa vision des choses. L’histoire d’un tout petit groupe qui contrôle tout au parti: les gens, l’argent, les campagnes», témoigne Georges Kuzmanovic, son ancien conseiller sur les questions internationales. «Avec lui, ceux qui ne suivent pas tombent dans l’oubli», complète son ancien ami socialiste, Jérôme Guedj. «Il a une incapacité totale à se remettre en question. Il se victimise, dit toujours que des gens voudraient lui planter des couteaux dans le dos», rapporte Hélène Franco, une amie d’enfance. «Jean-Luc Mélenchon ne demande pas seulement la discipline de groupe et la loyauté absolue, mais la dévotion aveugle», résument Charlotte Benaïch et Olivier Pérou.

«Je n’ai aucune envie de tyranniser»

Faut-il pour autant parler d’une dimension sectaire dans le fonctionnement de La France insoumise? Dans La Meute, deux témoins évoquent cette possibilité. Une militante quand elle décrit son quotidien: «On doit suivre aveuglément ce qui est décidé en haut. Ça me faisait un peu penser à une secte, avec son gourou. Ils (NDLR: les dirigeants de LFI) retournent la tête des jeunes en disant qu’on va faire la révolution.» Autre illustration, celle d’un parlementaire, sous le couvert de l’anonymat, qui en vient à s’interroger sur les méthodes du parti: «Parfois, je me dis qu’on peut nous comparer à une secte. Tout est en fonction de Jean-Luc. Il arrive à faire que les gens deviennent fous. Normalement, tu n’autorises personne à te traiter comme Jean-Luc te traite. Même ta mère ou ton père ne peuvent pas te faire ramper comme ça. Y compris moi.» Charlotte Belaïch et Olivier Pérou le suggèrent aussi en concluant leur enquête par ces mots qualifiant Jean-Luc Mélenchon: «Tribun d’un siècle, gourou insoumis.»

Jean-Luc Mélenchon a répondu à l’accusation le 13 mai lors d’un meeting à Aubenas, seule prise de parole à propos du livre qu’il ne veut pas lire. «Il paraît que je suis un gourou. Surtout, foutez-moi la paix. Moi, je n’ai aucune envie de « génération » qui que ce soit, ni de tyranniser. Ça me bouffe trop d’énergie. […] Ce sont des gens capables de dire n’importe quoi (NDLR: les personnes qui ont témoigné dans l’ouvrage). Où j’ai le temps de maltraiter quelqu’un au point de l’envoyer en hôpital psychiatrique?», a-t-il asséné. S’exprimant ainsi, il n’a peut-être pas révélé les caractéristiques d’un gourou, mais il a confirmé qu’il pouvait être méprisant avec ses anciens camarades et, sans doute, avec ceux qui sont restés à ses côtés. Ceux-ci résisteront-ils à la quatrième campagne présidentielle qu’il compte bien mener en 2027? Cette bataille-là sera rude. Le 20 mai, le député François Ruffin, qui siège avec les écologistes, a appelé à la tenue de primaires ouvertes à toute la gauche en prévision de la prochaine présidentielle. Anciennement affilié à La France insoumise, il est un autre de ces responsables que Jean-Luc Mélenchon a écartés de sa sphère. Mais pourra-t-il indéfiniment couper l’herbe sous le pied à tous ses concurrents?

(1) La Meute. Enquête sur La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, par Charlotte Belaïch et Olivier Pérou, Flammarion, 352 p.
© DR

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