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© Jumeau Alexis/ABACA

Jean-Michel Aphatie: «Par son parcours et sa violence, Cyril Hanouna rappelle Donald Trump»

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Pour le journaliste Jean-Michel Aphatie, l’animateur de C8 hier, de W9 aujourd’hui, use de l’insulte et de l’humiliation pour asseoir son succès médiatique. Et demain politique?

La nouvelle émission de Cyril Hanouna, Tout beau, tout n9uf, sur W9 (diffusée sur RTL plug en Belgique), est entrée le 22 septembre dans sa quatrième semaine et elle n’a pas suscité, jusqu’à présent, de polémique majeure. Son transfert dans le groupe M6, après le retrait par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) de l’agrément de la chaîne C8 (pour non-respect du cahier des charges) où il officiait dans plusieurs émissions dont la célèbre Touche pas à mon poste!, a-t-il assagi celui qui était devenu un habitué du clash, de l’injure et des sanctions du régulateur public? Peu sont ceux qui le jureraient.

Si c’est néanmoins le cas, les scènes décrites méthodiquement par le journaliste Jean-Michel Aphatie dans son livre T’es une merde, frère. Signé Hanouna (1) resteront comme le sommet de la vulgarité et de la pratique de l’humiliation publique de l’histoire de la télévision française. Comme pour l’accréditer une nouvelle fois, le titre de l’essai est tiré du SMS que Cyril Hanouna a adressé à l’auteur en réponse à la demande de questions envoyée à son avocat pour lui donner la parole dans le cadre du livre. Décryptage du personnage et de son évolution avec Jean-Michel Aphatie.

Les insultes et les humiliations parsemaient les émissions de Cyril Hanouna. Est-ce ce qui vous fait écrire qu’il a créé «la Trump télé française»?

Ce qui me fait écrire cela, c’est que Cyril Hanouna a déplacé la notoriété et la force qu’il a bâties à la télévision dans le champ politique pour y devenir un influenceur. Dans ces émissions, il ne traitait pas seulement de la télé mais directement de thèmes de société, de questions politiques, des déclarations des uns et des autres. Comme il intervient beaucoup en donnant son opinion et que celle-ci a tout de même une unité intellectuelle –d’animateur de télé–, il est devenu influenceur politique. Ce parcours rappelle celui de Donald Trump. Et en regard de la vie sociale où l’on essaie d’inculquer le respect des autres et un peu de civilisation, il introduit, par les outils qu’il emploie que sont l’insulte et l’humiliation, une certaine violence dans le débat démocratique. Cela fait sacrément penser, là aussi, à Donald Trump.

«Viktor Orbán et Cyril Hanouna n’ont pas beaucoup de points communs. Pourtant, quelque chose les rassemble.»
Jean-Michel Aphatie, journaliste politique. © BELGA

A-t-il toujours voulu peser sur la scène politique? Vous rappelez qu’à ses débuts en radio, il incitait les jeunes à aller voter…

Il y a toujours eu chez Cyril Hanouna –c’est lié à l’endroit où il est né, aux expériences qu’il a faites– un souci de la politique. Une conscience, d’une certaine manière, que peuvent se jouer sur la scène publique des choses importantes comme la cohabitation entre personnes de différentes origines. Ayant grandi dans une ville de banlieue parisienne, il y a toujours été sensible. Son travail à la télévision et à la radio quand il est jeune lui laisse aussi penser qu’il est légitime pour parler de ces sujets parce que d’une part, il a cette conscience, et que, d’autre part, il partage avec les plus jeunes le privilège générationnel. Il peut leur parler parce qu’il fait partie des leurs. Il y a toujours eu ce fond politique dans sa démarche. Mais ce n’est que plus tard qu’il s’est aventuré sur d’autres terrains où il a émis des jugements sur l’économie, l’immigration, la sécurité, la France. C’est quand il s’est senti à l’étroit dans ses habits d’animateur de télévision ne parlant que de la télévision qu’il s’est progressivement ouvert à autre chose.

Cette évolution correspond-t-elle à la rencontre avec Vincent Bolloré? Qu’est-ce qui réunit ces deux personnages au style assez opposé?

C’est le fils Bolloré, Yannick, qui présente Cyril Hanouna à son père Vincent. Vingt-cinq ans les séparent. Mais je peux penser que le second a été séduit par la personnalité du premier, son côté tchatcheur, son énergie, peut-être son culot. Et Cyril Hanouna a sans doute été épaté par la carrure de Vincent Bolloré, sa capacité à faire de l’argent. Les deux se séduisent par ce que chacun trouve chez l’autre et qu’il n’a pas. Un schéma classique. Mais ils n’imaginent pas forcément travailler ensemble. Il faut un concours de circonstances, Bolloré ayant vendu sa chaîne TV à Canal+ puis rachetant cette dernière, pour que l’homme d’affaires retrouve Cyril Hanouna. Tout cela s’est construit au fur et à mesure des événements.

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Tout beau, tout n9uf, la nouvelle émission de Cyril Hanouna sur W9: presque la réplique de Touche pas à mon poste!. © D.R.

Est-ce en raison du succès de Touche pas à mon poste! que Cyril Hanouna a bénéficié d’une certaine impunité de la part de ses employeurs jusqu’à ce que l’accumulation des sanctions de l’Arcom change la donne?

Vincent Bolloré joue là un rôle important. En 2015, quand il est patron de Canal+, il signe un contrat de production avec la société de Cyril Hanouna qui étonne le monde de la télévision. Cinquante millions d’euros par an, on peut en produire des heures d’émission à ce tarif! A partir de là, les dirigeants de Canal+ ne regardent plus ce que fait Cyril Hanouna: c’est l’affaire de Vincent Bolloré. Dans un schéma où il n’y a aucun contrôle sur lui, l’animateur développe des aspects de sa personnalité qui deviennent au fur et à mesure du temps problématiques. S’il n’avait pas eu le parapluie de Bolloré, il n’aurait jamais fait cela. Les dirigeants de Canal+ l’auraient davantage calmé. C’est l’ambition de ceux de M6 aujourd’hui.

Les premiers pas de sa nouvelle émission indiquent-ils que cela pourrait fonctionner?

C’est compliqué. Lors des deux premières semaines de l’émission sur W9, il s’est tout de même passé des faits qui rappellent C8. Inviter Jean-Marie Bigard qui traite une ministre de «pute», de «connasse», entendre un chroniqueur qui est à la limite du racisme lorsqu’il raconte un fait divers…: il y a sur le plateau les ingrédients de ce qu’étaient la médiocrité et les choses attristantes de Touche pas à mon poste!. Mais pour l’instant, Cyril Hanouna lui-même n’insulte personne et il ne parle pas trop de politique… Il n’a pas invité de responsables politiques comme il le faisait précédemment, ni Sarah Knafo (NDLR: députée européenne Reconquête!), ni Eric Zemmour, ni Jordan Bardella.

Vous écrivez à plusieurs reprises à propos de certains agissements de Cyril Hanouna qu’«il dispose des corps des autres». Est-ce une forme de harcèlement, voire plus?

Je trouve que c’est une forme de totalitarisme. Le corps des gens, on ne le touche pas facilement. Il faut un consentement… On peut imaginer que quand on touche quelqu’un d’autre, c’est dans une perspective agréable plutôt que désagréable. Ce n’est pas ce que fait Cyril Hanouna. Selon son bon plaisir, il rompt cette barrière psychologique. Et c’est plutôt dans le but d’humilier qu’il le fait. Je connais peu de personnes qui s’autorisent cela. En mars 2025, un chroniqueur a été prié de s’asseoir sur un tabouret et de se faire couper les cheveux. Qu’y a-t-il de drôle dans cette intention? On se demande tout de même quel est le message envoyé au téléspectateur? C’est cela la «trumpisation». Ça m’a semblé mériter qu’on y réfléchisse.

«Hanouna ne sera sans doute pas candidat à l’élection présidentielle en 2027. Mais il n’a que 51 ans.»
Le magnat des médias Vincent Bolloré a «perdu» Cyril Hanouna, mais ils peuvent se retrouver sur certains combats. © REUTERS

Ces agissements peuvent-ils avoir une influence sur la société française, sur le savoir-vivre et le vivre-ensemble?

Ils sont révélateurs de ce qu’on connaît dans les démocraties. La gentillesse est une faiblesse, le virilisme une force. Il faut des chefs. C’est ce que l’on appelle un peu partout «l’illibéralisme». Il y a des offres multiples d’un retour à la force, à l’ordre qui sont plus ou moins conscientes, plus ou moins théorisées. Cela se présente diversement. Il n’y a pas un modèle unique. Viktor Orbán et Cyril Hanouna n’ont pas beaucoup de points communs. Pourtant, quelque chose les rassemble. Le virilisme, l’autoritarisme…

Sur quoi repose la peur qu’inspire Cyril Hanouna?

Si vous dites publiquement qu’il a eu un comportement problématique, vous vous fâchez avec Canal+. J’ai essayé de joindre des animateurs de télévision qui n’avaient aucun commerce avec ce groupe, pensant que la porte s’ouvrirait, ils n’ont pas voulu me parler. Ils savent très bien qu’on peut se heurter rapidement aux intérêts de Cyril Hanouna, le producteur. Il a un pouvoir d’influence. Une cohorte de gens ont reçu des menaces de sa part. Est-ce acceptable de se comporter comme cela en 2025? On peut au moins poser la question. Et comment M6 peut-il embaucher quelqu’un comme lui qui a procédé par insultes, par intimidations? En le recrutant, M6 le «blanchit». J’aurais aimé pouvoir parler avec ses dirigeants pour comprendre leur raisonnement. Pourquoi, à travers certaines émissions comme celles de Karine Le Marchand (NDLR: L’amour est dans le pré, La France a un incroyable talent…), prônent-ils l’amour, la tolérance, la diversité… et embauchent-ils quelqu’un à l’opposé de ces valeurs? Comment résolvent-ils ces contradictions? Ce sont des questions intéressantes. Mais toutes les portes se sont fermées. Le silence permet à Cyril Hanouna de continuer à se comporter comme il le fait. Il n’y a aucun feu rouge, finalement. Le seul, c’est l’Arcom. Les amendes ont été payées. Et puis, à propos de sa décision de fermer C8, on a stigmatisé une opération dirigée contre la liberté d’expression. Cyril Hanouna est devenu le symbole de la liberté d’expression entravée en France. Il vaut mieux en rire.

En passant dans le groupe M6, Cyril Hanouna quitte-t-il la galaxie des influenceurs idéologiques qui servent la cause de Vincent Bolloré et de ses amis?

Objectivement, pour l’instant, il n’en fait plus partie. Il n’a plus d’invités politiques sur son plateau. Il n’intervient plus sur les débats politiques. Combien de temps cela durera-t-il? S’il a des audiences moyennes, arguera-t-il qu’il ne peut pas développer tout ce qu’il veut et saura-t-il convaincre M6 de l’autoriser à changer? Comme il n’y a que l’argent qui compte, M6 le laissera peut-être faire. Ou rompra-t-il avec M6? Je ne sais pas. C’est devant nous. Une élection présidentielle se profile en France en 2027. Cyril Hanouna a manifesté le désir de se présenter. Il ne sera sans doute pas candidat dans deux ans. Mais il n’a que 51 ans. Il est impossible de dire comment se passera l’élection d’après. On ne sait pas s’il peut faire un peu plus tard ce à quoi il a réfléchi pour 2027.

(1)    T’es une merde, frère. Signé Hanouna, par Jean-Michel Aphatie, Robert Laffont, 288 p.

© DR

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