Deux meurtres contre des étrangers en cinq semaines dans le sud de la France. La menace terroriste provient aussi, et de plus en plus, de l’ultradroite.
«Ce qu’on redoute, c’est un Anders Breivik français. Ce n’est plus qu’une question de temps.» Cet avertissement fait froid dans le dos. Il a été confié par un «responsable d’un service de renseignement qui espionne des cellules terroristes sur tout le territoire» à Paul Conge, journaliste à l’hebdomadaire Marianne, dans le cadre de l’enquête qu’il a menée depuis trois ans sur l’ultradroite, et que retrace le livre qui paraît ce mois-ci Les Tueurs d’extrême droite (1). Anders Breivik est ce suprémaciste norvégien auteur d’une effroyable tuerie, le 22 juillet 2011, principalement contre les participants à un rassemblement de militants socialistes à Oslo: 77 personnes furent tuées. Paul Conge a enquêté sur les auteurs de trois affaires de meurtres racistes qui ont fait cinq morts à Paris entre mars et décembre 2022.
«Entreprise terroriste»
Elles font écho à deux assassinats contre des personnes musulmanes qui ont été commis en cinq semaines dans le sud de la France. Le 25 avril, Olivier H., 20 ans, qui a exprimé sur les réseaux sociaux sa volonté de devenir «un tueur en série», entre dans la mosquée Khadidja de la petite commune de La Grand-Combe, dans le Gard, et poignarde à mort le seul fidèle présent, Aboubakar Cissé, 22 ans, un Malien. Il est mis en examen pour «meurtre avec préméditation et à raison de la race et de la religion». Le 31 mai, Christophe B., 53 ans, se rend dans l’espace commercial voisin de son habitation, tue par balle Hichem Miraoui, un Tunisien de 45 ans, coiffeur dans un petit salon, et blesse deux autres personnes de nationalité turque. Il est inculpé pour «assassinat et tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste commis en raison de la race ou la religion» et «association de malfaiteurs terroriste criminelle». Comme le montrent les préventions, l’affaire est prise en charge, fait rare, par le parquet national antiterroriste, contrairement à la première. Pour qu’il soit saisi, il faut, en vertu de l’article 421-1 du code pénal français, qu’il y ait une suspicion que l’attaque ait eu «pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation et la terreur».
Le profil de Christophe B. y a sans doute contribué. Un examen de ses publications sur les réseaux sociaux révèle un racisme que l’on dit désormais «décomplexé». Avant son meurtre, il appelle à s’en prendre à des étrangers dans une forme de gradation depuis 2020 qui va de la diffusion de messages haineux à des menaces de passages à l’acte violent. Dans des vidéos filmées après, il se montre explicite: «J’arrête de salir mon âme; je sais pas ce que je viens de faire; j’ai pété un plomb envers des voisins de merde, envers toute la racaille, toute la saloperie» ou «Tenez-vous à carreau les bicots. Car des mecs comme moi, il va y en avoir plein, tenez-vous à carreau.»
Que le parquet antiterroriste s’empare du dossier montre l’importance prise par l’ultradroite dans la menace terroriste.»
Soutien du Rassemblement national
L’homme est amateur d’armes à feu. Il exprime aussi son soutien à des personnalités d’extrême droite, Marine Le Pen, la dirigeante du Rassemblement national, Gilbert Collard, ancien député RN passé au parti Reconquête d’Eric Zemmour, ou David Rachline, le maire RN de Fréjus, ville voisine de Puget-sur-Argens. Le sud-est de l’Hexagone est une terre où la principale formation d’extrême droite prospère. La Grand-Combe, où a été perpétré l’assassinat d’Aboubakar Cissé, se situe dans le Gard, un département où tous les députés élus lors des élections législatives de 2024, au nombre de six, sont Rassemblement national. De là à penser qu’il y a dans cette région une banalisation de la parole raciste, il n’y a qu’un pas, franchi par plusieurs observateurs. D’autant que ces territoires ont connu l’enracinement historique d’une droite radicale lié à la présence de nombreux pieds-noirs, ces Français d’Algérie rapatriés après l’indépendance du pays maghrébin en 1962. Des crimes racistes y ont déjà eu lieu dans les années 1970.
En France, les agressions recensées attribuées à l’ultradroite étaient au nombre d’une vingtaine par an dans les années 2010. Elles ont fortement augmenté avec l’entrée dans la deuxième décennie du XXIe siècle: 39 actes en 2021, 41 en 2022, 48 en 2023, et une cinquantaine l’année dernière. La question du lien entre passage à l’acte violent et environnement idéologique des auteurs était déjà posée en 2022 dans le cadre des trois affaires documentées par Paul Conge dans Les Tueurs d’extrême droite: le meurtre de l’ancien rugbyman Federico Martín Aramburú dans la nuit du 19 mars sur le boulevard Saint-Germain à Paris par deux membres du Groupe union défense (Gud), celui d’un passant franco-marocain Eric Casado Lopez par un suprémaciste blanc à Pigalle le 14 mai, et celui de trois militants kurdes, Emine Kara, Mîr Perwer et Abdurrahman Kizil, par un ancien cheminot habitué d’un club de tir le 23 décembre dans un centre culturel de la rue d’Enghien.
«A quelques mois d’écart, en 2022, sur la voie publique parisienne, ces militants d’extrême droite ont tous abattu froidement des personnes étrangères ou d’apparence telle, en dégainant une arme sans prévenir, et ce, alors qu’aucun meurtre n’avait pu être associé à leur mouvance depuis le début des années 2000. Peut-on réduire ces similitudes à de troublantes coïncidences? William Malet, Loïk Le Priol, Romain Bouvier et Martial Lanoir n’ont certes pas reçu l’ordre d’agir de la part d’une cellule nationaliste ou néonazie. Ils ont pris seuls la décision de tirer seuls. Mais chacun de ces homicides porte incontestablement l’empreinte de l’idéologie politique de son auteur.» L’auteur suggère un lien entre leurs actes et le climat de «racisme décomplexé» qui a prévalu cette année-là lors de la campagne électorale présidentielle. Faut-il craindre le pire pour 2027?
(1) Les Tueurs d’extrême droite. Enquête sur une menace française, par Paul Conge, éd. du Rocher, 224 p.