«Il faut radicalement changer ce qui contribue à fabriquer les imaginaires criminels», juge Reine Prat, spécialiste de l’égalité femme-homme dans le secteur de l’art, après la condamnation de l’acteur.
Reconnu coupable d’agressions sexuelles sur deux femmes travaillant sur le tournage du film Les Volets verts en 2021, Gérard Depardieu a été condamné le 13 mai à 18 mois de prison avec sursis, et à son inscription au fichier des auteurs d’infractions sexuelles. Il a décidé d’interjeter appel. Déjà autrice de deux rapports dans les années 2010 pour établir l’égalité femme-homme dans le secteur des arts, Reine Prat, ancienne fonctionnaire du ministère français de la Culture, tire les leçons de ce procès.
Que vous inspire cette condamnation?
C’est une bonne nouvelle que les réquisitions du parquet aient été retenues. Au-delà, on peut se poser des questions sur les comportements nombreux, répétés, systémiques de ce monsieur. Ils ne relèvent pas que d’un problème individuel. C’est un comportement systémique qui résulte de la manière dont, dans cette civilisation, les filles et les garçons sont invités à se comporter par l’éducation, familiale ou scolaire, par la publicité, par le cinéma lui-même. Je lisais l’interview d’Amélie Bonnin, la réalisatrice dont le film Partir un jour est présenté en ouverture du Festival de Cannes hors compétition. Elle explique qu’elle a d’abord monté cette histoire en court métrage et qu’on lui a demandé pourquoi elle avait choisi un homme comme personnage principal. Elle dit l’avoir fait naturellement. Dès lors, dans le long métrage, elle a changé, et c’est une femme. On en est là dans la norme fabriquée par la société. Ce sont les symptômes d’une maladie sociale.
«Des mesures ont été prises dans le cinéma en France. On voit qu’elles ne sont pas complètement efficaces.»
L’attitude des avocats de Depardieu témoigne-t-elle de «l’absence totale de remise en cause» déplorée par le parquet?
Comment se fait-il que les propos tenus par un des avocats en particulier aient pu être prononcés dans l’enceinte d’un tribunal sans remise en cause ni par l’Ordre des avocats ni par l’ordre requis dans un tel lieu alors qu’ils semblent être tout à fait contraires à la loi contre les violences sexuelles et sexistes? Une action sera-t-elle engagée maintenant?
Cette condamnation peut-elle améliorer la situation du personnel lors des tournages de film?
On peut l’espérer. Dans le cinéma en France, pas encore dans le théâtre, des mesures sont prises depuis quelques années pour que ces comportements ne soient plus tolérés. On voit qu’elles ne sont pas complètement efficaces. Ce jugement est une des pierres indispensables à ce qu’ils cessent. Mais on peut être très inquiets par le fait que les stéréotypes de genre sont extrêmement prégnants dans les jeunes générations.
Le sentiment d’impunité de certains acteurs va-t-il disparaître?
Pas d’un coup de baguette magique. S’il n’y a pas un ensemble de mesures prises à tous les niveaux et dans tous les domaines de la société pour mettre en place une autre norme, il n’y a pas de raison que cela ne continue pas. Quand le président français parle de cet homme, qui a enfin été condamné, comme d’«un acteur qui rend fière la France», c’est qu’il faut radicalement changer tout ce qui contribue à fabriquer les imaginaires malsains et criminels.