
Affaire des abus sexuels à Bétharram: «Le poing qui cogne, la gifle qui claque ne sont que les rouages apparents d’un système plus ample»
L’affaire de Notre-Dame de Bétharram et les nouvelles révélations sur l’abbé Pierre mettent à nouveau en lumière la cécité volontaire de l’Eglise. Son attitude change mais pas assez.
Le nom de Bétharram raconte l’histoire d’un miracle que la légende situe en l’an 1515 dans le Béarn. Tombée dans une rivière, une jeune fille est ben train de se noyer. Gagnée par le désespoir, elle invoque la Vierge Marie du sanctuaire tout proche. A ce moment précis, apparaît dans l’eau une branche d’arbre. Elle l’agrippe. C’est ce qui la sauve. «Beth arram», «beau rameau» en béarnais, naît de ce récit. L’institution Notre-Dame de Bétharram, un collège-lycée catholique fondé en 1837 à Lestelle-Bétharram, au sud-est de Pau, entretient le souvenir de ce «miracle». Alain Esquerre, le lanceur d’alerte des violences et abus sexuels perpétrés dans cet établissement scolaire réputé au cours des années 1970, 1980 et1990, rappelle cette histoire au début de son livre Le Silence de Bétharram (1), qu’il voit comme «un rameau tendu à tous ceux qui voudront bien le saisir». L’ancien pensionnaire de Notre-Dame de Bétharram, lui-même victime de gifles et de coups de pied de la part d’un surveillant, n’attend cependant pas de miracle. Il réclame des actes concrets. Certains ont déjà été posés.
Le 21 février 2025, un ancien surveillant a été mis en examen pour «viol par personne ayant autorité commis entre 1991 et 1994» et «agression sexuelle sur mineur de 15 ans en 2004». Ces faits-là ne sont pas prescrits. D’autres le sont, a précisé le parquet. L’homme n’avait été écarté de son poste qu’en 2024, après l’ouverture de l’enquête judiciaire. Deux autres prévenus, un ancien surveillant et un prêtre, ont été laissés en liberté, les actes qui leur étaient reprochés ayant dépassé, eux, le délai de prescription. Ce sera sans doute le lot de la plupart des faits recueillis par Alain Esquerre depuis qu’il a créé, le 10 octobre 2023, un groupe Facebook «Les anciens du collège et du lycée de Bétharram, victimes de l’institution».
Les rouages d’un système
Ces récits décrivent une multitude de violences, «des agressions physiques, des sévices de toute nature, des humiliations, des attouchements et des viols sur des enfants âgés de 8 à 13 ans perpétrés par 26 adultes, des prêtres, mais également des directeurs et des surveillants laïcs», comme l’énumère le lanceur d’alerte. La justice n’a pas encore fait son oeuvre. La prudence s’impose. Mais difficile à cet énoncé de ne pas penser à un système peu ou prou organisé. C’est la conviction d’Alain Esquerre: «A Notre-Dame de Bétharram, la violence est une construction, analyse-t-il dans Le Silence de Bétharram.
«Bétharram avait installé un climat propice à la perpétuation de ces agressions à l’infini.»
Le poing qui cogne, la gifle qui claque ne sont que les rouages apparents d’un système plus ample et diffus. Pour que près de 30 acteurs d’agressions physiques ou sexuelles agissent pendant quatre décennies sans se faire remarquer, il faut qu’il existe une forme de cohésion, ou plutôt de cautionnement par les grands, pour faire grandir la peur, mais surtout le doute chez les petits. Bétharram avait installé un climat propice à la perpétuation de ces agressions à l’infini.» Le climat était tel que des élèves, parmi les plus grands, commettaient eux-mêmes des abus physiques ou sexuels, parfois en connivence avec des adultes…
Comme dans plusieurs autres affaires d’agressions sexuelles, des indices de la tragédie ont pourtant existé. L’institution Notre-Dame de Bétaharram avait la réputation de défendre une discipline stricte, voire sévère. La pratique des punitions physiques était connue, mais à une époque où, comme l’explique Alain Esquerre, «la société, pensant alors que le martinet et le bâton sont des outils d’éducation efficaces, confond rigidité avec sérieux, et brutalité avec cadre éducatif» et où «tous ceux qui défendent la cause des enfants sont rabroués». Pas évident alors d’aller à contre-courant. En mai 1998, cependant, le père Pierre Silviet-Carricart, directeur de l’établissement, est mis en examen pour viols et agressions sur mineur de moins de 15 ans, une alerte majeure. Remis en liberté, il se suicide le 2 février à Rome, près du Vatican où il s’est retiré. Pour les notables béarnais, il fait pourtant plus figure de «victime d’une procédure judicaire» que d’agresseur d’enfant. La chape de silence s’abat à nouveau sur l’institution de Lestelle-Bétharram et sur ses réseaux.
Une réponse approfondie
Il faudra donc attendre 2023 et la rencontre fortuite, quoique…, entre Alain Esquerre et le surveillant qui l’a frappé et dont il s’étonne qu’il travaille toujours à Notre-Dame de Bétharram, pour que les langues se délient. «J’ai vu des camarades sortir la tête en sang après le passage à tabac d’un surveillant», assure un témoin. Le lanceur d’alerte est persuadé de ne pas avoir été le seul à être frappé. Il n’imagine pas que les violences ont pu avoir un caractère sexuel et une dimension systémique. C’est ce que reconnaîtra, le 15 mars 2025, le vicaire régional de la Congrégation des Pères de Bétharram, Jean-Marie Ruspil.
En 2025 donc, la justice remplit sa mission. Et l’Eglise catholique, qui a créé une Commission indépendante sur les abus sexuels en son sein (Ciase), est plus attentive aux victimes qu’à la fin du XXe siècle, peu d’actions ont cependant été menées pour remédier aux fondements du fléau. Autrice du livre Autopsie d’un système – Pour en finir vraiment avec les abus dans l’Eglise (Albin Michel, 2025), la directrice du journal Témoignage chrétien, Christine Pedotti, estime qu’il faut aller bien au-delà de ces réponses conjoncturelles.
«Tous les enfants fantômes coincés à l’époque de leur agression veulent entendre un jour qu’ils n’ont rien fait.»
«On entend dire que ce qui se passe dans l’Eglise se passe aussi dans un conservatoire, un club de tennis… Ou encore que les abuseurs seraient des brebis galeuses, donc des pervers qui auraient réussi à s’infiltrer dans le système, explique-t-elle dans une interview au Point, en février. Malheureusement, non! Il faut souligner la spécificité de l’Eglise catholique dans ces affaires d’abus. (…) Un système a été mis en place. Aujourd’hui, dans l’Eglise, on a tendance à se dire: « On va faire plus attention dans les séminaires, dans le recrutement, dans la formation ». Mais pour moi, il s’agit d’emplâtres sur une jambe de bois. Ce n’est pas parce que les séminaristes vont avoir trois heures de formation à l’affectivité que l’on va éteindre l’incendie. Ces affaires ont deux faces: il y a d’une part les abus, et d’autre part la dissimulation des abus. Les abus concernent relativement peu d’individus. La dissimulation des abus, c’est beaucoup plus vaste, car un système est à l’oeuvre.»
«Tous les enfants fantômes coincés à l’époque de leur agression veulent entendre un jour qu’ils n’ont rien fait, que ce n’était pas leur faute et qu’ils ont droit à une réparation. Tous. Pas d’exception à la règle», clame Alain Esquerre. Même pour ceux que la prescription prive d’une réponse judiciaire, le travail de bénédictin du lanceur d’alerte aura été salutaire.
(1) Le Silence de Bétharram – Le récit choc du lanceur d’alerte et ancien élève, par Alain Esquerre et Clémence Badault, avec la collaboration de Tiphaine Pioger, Michel Lafon, 256 p.
Les tourments de François Bayrou
Il a été ministre de l’Education de 1993 à 1997, il a été président du Conseil général des Pyrénées- Atlantiques de 1992 à 2001, il est maire de Pau depuis 2014, il a eu des enfants scolarisés à Notre-Dame de Bétharram, et il n’aurait rien su des violences perpétrées dans le grand établissement d’enseignement de sa terre natale? Tel est l’axe d’accusation développé par certains opposants de l’actuel Premier ministre français depuis l’éclatement de l’affaire Bétharram. François Bayrou a démenti avoir eu connaissance des faits. Une «défense» ébranlée par les paroles de sa fille, Hélène Perlant, qui, au site d’informations Mediapart, a assuré qu’il avait rencontré en 1998 le juge d’instruction en charge du dossier de viol contre le directeur de l’école de l’époque, le père Silviet-Carricart.
Dans le livre Le Silence de Bétharram, Hélène Perlant révèle aussi avoir été victime de violences de la part d’un surveillant de l’école des filles, liée à Notre-Dame de Bétharram. Elle n’en avait jamais parlé à son père. Mutisme familial.
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