Fonds européens, un système opaque qui alimente la fraude: «Dans 90% des cas, il y a des doutes sur l’identité des bénéficiaires.» © Getty Images

Fonds européens, un système opaque qui alimente la fraude: «Dans 90% des cas, il y a des doutes sur l’identité des bénéficiaires»

Alors que les affaires de détournement de fonds européens se multiplient, la Cour des comptes européenne épingle un système gangrené par l’opacité. Des ONG à la définition floue, un portail financier obsolète, des aides massives concentrées entre quelques mains: derrière les milliards distribués, l’Europe peine à tracer qui reçoit quoi, et pourquoi.

En trois semaines, deux affaires de détournement supposé d’argent européen ont éclaté. La première concerne des irrégularités dans les dépenses du groupe parlementaire d’extrême droite Identité et Démocratie (ID), aujourd’hui Patriotes pour l’Europe, présidé par Jordan Bardella (RN). Une enquête a été ouverte sur l’utilisation abusive de fonds à hauteur de quatre millions d’euros. Il s’agirait de contrats gonflés ou fictifs, de violations de procédures ou de dons pour des activités non parlementaires à des ASBL liées à des membres du groupe d’extrême droite. Une association française qui stérilise des chats est mentionnée.

La deuxième affaire est une plainte, transformée en enquête, sur des « subventions suspectes » à des ONG par deux élus européens, Frans Timmermans et Virginijus Sinkevičius, les architectes du Green Deal. Ils sont accusés d’avoir alloué des fonds européens à hauteur de «plusieurs milliards de dollars» à des organisations écologistes, en échange de lobbying en faveur du Green Deal.

Chaque mois, des affaires (ou soupçons) de fraudes, corruption ou détournements au sein de l’Union européenne éclatent. Certaines sont fortement médiatisées, comme celle des assistants parlementaires du Front national qui a valu l’inéligibilité à la présidence de Marine Le Pen. D’autres, plus discrètes, à en croire les chiffres de l’Office européen de lutte antifraude (Olaf). En 2024, l’organisme a mené 246 enquêtes de soupçons de fraude, demandé le recouvrement de 871,5 millions d’euros et stoppé des transferts suspects à hauteur de 43,5 millions. Sur trois ans, les enquêteurs ont permis de récupérer 4,5 milliards d’euros issus de fraudes diverses et empêché plus de 800 millions de partir en «dépenses irrégulières.»

Laima Andrikiené, chargée d’un rapport sur la transparence des fonds européens et membre de la Cour des comptes européenne (CCE), dénonce un système poreux: «L’Union européenne distribue chaque année des milliards d’euros à des organisations non gouvernementales sans contrôler correctement la manière dont cet argent est dépensé, ni même s’il est destiné à de véritables ONG. L’image du financement de l’UE pour les ONG reste floue, car les informations sur ces financements, y compris ceux liés au lobbying, ne sont ni fiables ni transparentes

ONG européennes, un gruyère administratif

Chaque année, l’Union européenne distribue des milliards d’euros à des ONG. Les soupçons de financements de lobbyistes qui planent sur les architectes du Green Deal ont poussé la CCE à se pencher sur le cas des ONG dans son ensemble. Entre 2021 et 2023, plus de 70 .000 entités enregistrées officiellement comme organisations non gouvernementales ont bénéficié d’une enveloppe totale de 7,4 milliards d’euros. «Dans 90% des cas, il y a des doutes sur l’identité des bénéficiaires, et sur le caractère non étatique ou indépendant de ces organisations. L’identification des bénéficiaires est floue ou incomplète», indique le rapport.

Toujours selon la CCE, sur les dix dernières années, 30 entités ont concentré à elles seules 3,3 milliards d’euros d’aides européennes, soit 40% des montants versés.

Laima Andrikiené cite un exemple concret dans le rapport: «Un institut national allemand de recherche, classé parmi les plus importants d’Europe, a obtenu des subventions après s’être enregistré comme ONG sur une simple déclaration sur l’honneur, sans qu’aucun contrôle n’ait été effectué sur son lien étroit avec l’Etat. L’organisme, bien qu’officiellement une société à responsabilité limitée à but non lucratif, dépend financièrement de l’Etat et son conseil d’administration est composé exclusivement de représentants publics, ce qui contredit les critères d’indépendance requis pour être une ONG.»

Le groupe politique conservateur du Parlement européen (PPE) accuse plusieurs grandes ONG écologistes, comme ClientEarth et Les Amis de la Terre, d’avoir utilisé ces fonds pour influencer les politiques de l’UE. La Commission européenne a démenti les accusations: «Contrairement aux allégations des médias et du PPE, il n’existe aucun contrat secret entre la Commission européenne et les ONG. Nous faisons preuve d’une grande transparence lorsqu’il s’agit d’accorder des financements», a déclaré un porte-parole.

Après le flou, le beau temps?

Face aux critiques répétées, la Commission européenne promet des améliorations avec la création d’un portail centralisé d’ici à 2028. Mais pour l’heure, aucun engagement précis sur le suivi concret des fonds redistribués n’a été pris. En attendant, la Cour des comptes conclut: «Des entités se déclarent elles-mêmes ONG et la Commission ne vérifie pas toujours les aspects importants de leur statut, notamment si un gouvernement exerce une influence significative sur leurs organes directeurs ou si une ONG poursuit les intérêts commerciaux de ses membres. Nous suggérons des changements significatifs au plus vite.»

Le problème va bien au-delà des seules ONG. Le Système de transparence financière (FTS), censé recenser les montants alloués par l’Union européenne, souffre lui-même de carences structurelles. Les données y sont publiées avec un décalage pouvant aller jusqu’à un an et demi, et ne tiennent pas compte des avenants ou des modifications contractuelles. La Cour des comptes a identifié des écarts massifs entre ce que la Commission publie et ce qu’elle engage réellement. Dans un cas cité par Laima Andrikiené, une ONG a reçu 549 millions d’euros, mais seulement 317 millions figuraient dans la base officielle, le reste devant «être actualisé ultérieurement.» Un fonctionnement «non conforme aux engagements de transparence», tranche la rapporteure.

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