Les Européens ne semblent pas encore avoir compris qu’ils ne sont plus du «bon côté de la barrière».
Mon oncle Theobald adorait le «bon temps des colonies». Les Noirs attaquaient avec des lances, les Blancs avec des fusils (comme dans le film Zoulou). Ou les Chinois avec des poignards contre des Occidentaux avec des mitrailleuses (comme dans Les 55 jours de Pékin). Les Européens avaient le beau rôle. Abrités derrière une technologie supérieure, ils tenaient dans leurs dépendances exotiques le haut du pavé. Ils pouvaient y accaparer les matières premières, les plus belles résidences, et les plus jolies femmes. Un Blanc idiot valait plus qu’un coloré intelligent. Comment ne pas voir là l’ordre naturel des choses, comme le rappelaient si bien Guillaume II et Hitler?
L’oncle Theobald le disait toujours: «On y reviendra». Et on y revient. Au fond, Vladimir Poutine ne réclame pas autre chose en Ukraine. Et Xi Jinping à Taïwan, Benjamin Netanyahou à Gaza et en Cisjordanie, ou Donald Trump au Panama et au Groenland. Le respect, des richesses, et la liquidation de tous les locaux qui savent lire et écrire. Quoi de plus naturel, au fond, que de vouloir opprimer ses voisins quand on en a les moyens?
Les Européens ne semblent pas encore avoir compris qu’ils ne sont plus du bon côté de la barrière. En se promenant dans les grandes capitales européennes, on mesure vite combien nous sommes des coolies en puissance. De plus en plus, les investisseurs exotiques s’emparent des beaux quartiers, refoulant les natifs plus pauvres à l’extérieur de la ville. Les plus grandes banques ont cessé d’être européennes. Quant aux produits affichés en magasin, ils relèvent de la technologie américano-chinoise, comme d’ailleurs le commerce à distance, toujours en expansion. Il n’existe plus de terminaux numériques européens, et presque plus de matériel de réseau. L’Inde rachète notre sidérurgie, les Arabes nos clubs de football, et la Chine nos ports. Maintenant a même commencé le grand remplacement de la bagnole européenne.
Le comportement de nos dirigeants confirme notre dégringolade. Au sommet de l’Otan, Mark Rutte évoque par son obséquiosité effrayée l’empereur Montezuma lors de la conquête de Mexico. A la rencontre de Turnberry avec Trump, Ursula von der Leyen imite la servilité hypocrite de l’impératrice Cixi face aux incursions européennes. Cixi bloqua d’ailleurs les réformes intérieures jusqu’à la fin, assumant ainsi une grande responsabilité dans l’effondrement du régime chinois. Notre marché est envahi par la Chine, et nous ne réagissons pas depuis des décennies. La Russie effectue des incursions sur notre territoire, sabote nos infrastructures, et déstabilise nos gouvernements par sa constante désinformation. Nous ne réagissons pas davantage. Notre sujétion va même jusqu’à renforcer le monopole de réseaux sociaux qui font régulièrement campagne contre l’Union européenne.
Faut-il s’étonner si Trump considère les Européens comme une peuplade qui adore «baiser» une partie de son anatomie que je ne nommerai pas ici (par résistance à l’impérialisme culturel américain, bien sûr)? Le moment n’est sans doute plus éloigné où nos autorités décideront de renforcer le drapeau européen par un ustensile bien à leur image: une brosse à reluire. Je me demande ce qu’en aurait dit l’oncle Theobald.
Franklin Dehousse