Avoirs russes gelés: Poutine a remporté la bataille et c’est cela qu’il faudra surtout retenir © Anadolu via Getty Images

Avoirs russes: la Belgique et l’Europe ont eu peur (voici pourquoi Poutine a gagné)

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

La Belgique n’a pas plié sur les avoir russes gelés. C’est une victoire indéniable pour Moscou, même si l’Europe a trouvé une solution viable pour financer l’Ukraine. Analyse.

Les uns diront que la raison a gagné, les autres que la peur de l’ours russe a primé. Quoiqu’il en soit, le Premier ministre belge a remporté une belle victoire face au reste de l’Europe, lui qui rechignait –c’est le moins qu’on puisse écrire– à affecter les fonds russes gelés au financement de  l’effort de guerre et la reconstruction de l’Ukraine. Les Vingt-Sept, moins la Hongrie et la Slovaquie proches de Vladimir Poutine, se sont donc mis d’accord, dans la nuit du 18 au 19 décembre, pour choisir l’option «emprunt commun» plutôt que celle d’un «prêt de réparation».

La deuxième, on le sait, consistait à utiliser les avoirs russes gelés dormant au sein de la banque Euroclear, située à Bruxelles, pour pallier le manque de moyens, à venir dès 2026, de Kiev pour continuer à résister à l’invasion de Moscou. L’idée de la Commission UE était de prêter à taux zéro le montant des fonds russes aux Ukrainiens, lequel serait remboursé lorsque la Russie verserait à l’Ukraine des indemnités en guise de réparations de guerre. L’Allemagne, en particulier, a mis la pression sur cette option. Le chancelier Friedrich Merz avait souligné avec force, dans une interview au Frankfurter Algemeine Zeitung, que l’utilisation des avoirs russes était «en pleine conformité avec le droit international et nos obligations internationales».

Evidemment, les Belges se sont sentis bien seuls face aux lourdes menaces russes, depuis le vol répété sur leur territoire de drones (dont l’origine fait peu de doute) jusqu’à la procédure judiciaire récemment engagée par la Banque centrale de Russie contre Euroclear. Or, si la Belgique abrite la majorité des avoirs russes gelés (à hauteur de 193 milliards d’euros), la France en conserve aussi, soit environ 19 milliards, tandis que le concurrent d’Euroclear, la banque Clearstream au Luxembourg, dispose de dix milliards et l’Allemagne 210 millions. Les banques du Royaume-Uni en détiennent également, pour dix milliards. Mais les autorités de ces pays sont restées fort discrètes là-dessus durant les débats tendus avec Bart De Wever. Il y a même une certaine opacité sur les montants réels.

«C’est long l’éternité»

Cela n’a pas aidé le Premier ministre belge dont la peur était justifiée et surtout palpable, même s’il a essayé de la tourner en dérision. «La Russie m’a dit « vous allez le sentir jusqu’à l’éternité’’, mais ça me semble une période assez longue, l’éternité», a-t-il souri sur la scène de la salle Henry Le Bœuf des Beaux-Arts de Bruxelles, alors qu’il était l’invité vedette des Grandes conférences catholiques, le 2 décembre. Derrière les sourires et les bons mots, il s’est montré inflexible face à la charge de Von der Leyen et Merz.

Et c’est finalement la solution qu’il préconisait qui a remporté le suffrage des Vingt-Sept, soit un emprunt de 137 milliards sur les marchés européens garanti par le budget européen. Pour ne pas perdre la face, les Allemands ont obtenu que l’Ukraine ne rembourserait ce prêt qu’après que la Russie aura versé des réparations. «Si elle n’y consent pas, les avoirs russes immobilisés seraient utilisés, en totale conformité avec le droit international, pour rembourser l’emprunt», a souligné lui-même le chancelier Merz.

Le financement de l’Ukraine est donc assuré et la CEO d’Euroclear, elle-même directement menacée par des agents russes, peut souffler. Mais le résultat final a de quoi laisser perplexe. Alors qu’une majorité d’Etats membres étaient favorables au «prêt de réparation», De Wever a donné un signal de division de l’Europe face à Moscou. C’est précisément là-dessus que table et joue Vladimir Poutine depuis le début de la guerre en Ukraine. L’Europe s’est vu marginalisée, ces derniers mois, dans les pourparlers de paix confisqués par Moscou et la maison Blanche. Avec les avoirs russes gelés, elle avait en main une carte décisive à abattre vis-à-vis de la Russie qui semble de plus en plus étranglée économiquement. Elle n’a pas osé le faire.

Quant aux réparations éventuelles qui seraient imposées à Moscou, elles sont plus qu’incertaines. Historiquement, des réparations de guerre n’ont été exigées de la part d’un belligérant que lorsque celui-ci avait perdu la guerre. Il sera très probablement difficile de dire, à l’issue d’éventuelles négociations de paix, que Moscou a perdu la guerre. Poutine n’a en tout cas pas perdu la bataille des fonds gelés. Ses manœuvres d’intimidation à l’égard de la Belgique ont porté leurs fruits. Et c’est cela surtout qu’il faudra retenir de cette saga. Le plombier financier international Euroclear est sauf. En tout cas, il ne sera pas confronté à l’inconnu d’une opération inédite. On ne peut pas en dire autant de l’image de fermeté de l’UE.

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