«Parti de deuxième choix», D66, libéral progressiste, profite des circonstances et devrait diriger le gouvernement. L’extrême droite en est écartée. Pourtant, elle progresse.
Le leader des Democraten 66 Rob Jetten, 38 ans, sera le plus jeune Premier ministre de l’histoire des Pays-Bas. Cela semble être une certitude après sa victoire (avec 28.455 voix de plus que le Parti pour la liberté du leader d’extrême droite Geert Wilders mais le même nombre de sièges, 26) lors des élections législatives du 29 octobre. Quand? Là, l’incertitude prévaut tant les négociations pour la formation d’un gouvernement ont été longues lors des exercices de ces dernières années. L’émiettement du paysage politique néerlandais, encore observé à l’occasion de ce scrutin avec quinze formations représentées à la Seconde Chambre du Parlement, oblige à un fastidieux travail de compromis entre les candidats au pouvoir pour que chacun y place une partie de son programme.
S’il est orienté plutôt à gauche, la «famille» politique naturelle de sa principale composante, le gouvernement Jetten 1 pourrait rassembler D66, de centre-gauche (26 députés, plus seize par rapport à l’élection de 2023), la gauche écologique et socialiste de GL-PvdA (20 sièges, moins cinq, un mauvais résultat qui a forcé un changement de leadership, le vétéran Frans Timmermans étant remplacé par le jeunet Jesse Klaver), le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD), libéral de droite (22 députés, moins deux), et l’Appel chrétien-démocrate (CDA), de centre-droit (18 élus, plus treize). Problème, le VVD a exclu pendant la campagne de gouverner avec l’alliance GL-PvdA. Si le parti de l’ancien Premier ministre Mark Rutte (VVD) ne rejoint pas la coalition, Rob Jetten devra composer non pas avec trois mais avec quatre ou cinq partenaires pour atteindre la majorité de 76 députés sur 150.
Transfert de voix
L’avènement annoncé de D66 à la tête du gouvernement a été permis par l’échec du Parti de la liberté de Geert Wilders. De vainqueur des élections législatives de novembre 2023, il s’est transformé en principal perdant de celles du 29 octobre (moins onze députés, de 37 à 26) derrière le Nouveau Contrat social, parti météorite de centre-droit qui a perdu tous les élus qu’il avait propulsés au Parlement il y a deux ans. Cette débâcle explique la progression de D66 et du CDA, pas le recul du PVV de Wilders. Les élections aux Pays-Bas ont en effet donné lieu à un transfert des voix de la droite radicale entre ses composantes. Au recul du PVV, ont en effet répondu les progressions du Forum pour la démocratie (de trois à sept députés) et de sa dissidence, Juiste Antwoord 21 (de un à neuf députés). Résultat, l’extrême droite progresse en sièges (de 41 députés en 2023 à 42 en 2025), ce que ne laissait pas présager la défaite de sa principale composante, le Parti de la liberté de Wilders.
Pour expliquer celle-ci, le politologue de l’ULB Pascal Delwit avance deux explications. «L’élection de 2023 avait été exceptionnellement bonne pour le PVV. Il était dans l’opposition. Le Premier ministre Mark Rutte terminait son mandat. Le VVD avait une nouvelle présidente qui ne pouvait pas faire valoir l’aura de Mark Rutte ni le bilan du gouvernement. Certes, le PVV a reculé par rapport à son score historique d’il y a deux ans. Mais il faut remettre cet échec dans ce contexte particulier. Deuxième explication, le PVV paye trois attitudes principales. Sa participation au gouvernement: une partie de l’électorat des droites radicales est dans une « logique antigouvernance ». Elle a pu se reporter sur JA21 ou sur le Forum pour la démocratie. Ensuite, il est récurrent que celui qui provoque la crise la paye électoralement. Enfin, la tradition aux Pays-Bas veut que les derniers débats de la campagne soient importants. En 2023, Geert Wilders donnait l’impression de les dominer. Cette année, ce n’était pas vraiment le cas.»
Volatilité de l’électorat
Autre victime du choix des électeurs, le Nouveau Contrat social disparaît de la représentation à la Seconde chambre. Cet échec illustre la volatilité de l’électorat, prononcée aux Pays-Bas. «On peut intégrer dans cette réflexion le Mouvement agriculteur-citoyen qui, au début de 2023 à la faveur des élections provinciales, devenait le premier parti du pays et qui, à l’issue de sa participation gouvernementale, voit son audience ramenée à une expression assez faible (NDLR: quatre députés), décortique Pascal Delwit. Cela montre une plus grande fluidité des comportements électoraux, les effets de la personnalisation des leaders, et un manque de repères. Les partis ne remplissent plus leur rôle. Ils doivent éclairer leur vision de l’intérêt général, agencer la venue d’adhérents, de militants, de sympathisants, et ultimement d’électeurs, et essayer de concrétiser un certain nombre de leurs objectifs. Or, il y a une telle désarticulation de cette relation logique que le corps électoral peut basculer de manière massive.»
L’histoire électorale de D66 témoigne aussi de cette fluidité extrême. «Democraten 66 est ce que l’on appelle un « parti de deuxième choix », explique Pascal Delwit. Il est le premier choix d’un certain nombre d’électrices et d’électeurs et il est le deuxième choix de beaucoup d’autres. Quand les électeurs abandonnent leur premier choix, ce genre de parti peut gonfler ses scores. C’est ce qui est arrivé cette fois-ci. Un électorat de gauche a sans doute considéré que le cartel GL-PvdA n’était pas la bonne alternative. Un électorat de centre-droit n’a sans doute pas suivi le VVD. Et les électeurs de 2023 du Nouveau Contrat social se sont reportés en partie sur D66. Les performances de ce genre de parti ressemblent à une montagne russe: hautes quand les deuxièmes choix dominent, basses lorsque ce n’est pas le cas. L’enjeu pour Rob Jetten est, d’une part, d’articuler le vote à des politiques publiques et, d’autre part, de transformer le vote de deuxième choix d’une partie de ses électeurs en vote de premier choix.»
L’étiquette de parti libéral progressiste associée à D66 détonne aussi par rapport aux catégories habituelles. «Si je devais opérer une comparaison avec la Belgique, les partis qui s’en rapprochent le plus sont la Volksunie et le Rassemblement wallon, en retirant l’aspect régionaliste. Dans les années 1960, ils remettaient en cause la « pilarisation », la construction de compromis entre groupements sociaux, mutualistes, syndicaux, et appelaient à une clarification du débat politique et une forme de démocratie directe. D66 est ce que l’on nomme du point de vue politologique un parti du «libéralisme culturel»; il est libéral sur les questions qui ne sont pas directement de nature socioéconomique. En cela, la formation qui en est le plus proche aujourd’hui est celle des Libéraux-démocrates britanniques.»
Rob Jetten devrait être le plus jeune Premier ministre de l’histoire des Pays-Bas.