Donald Trump et Charlie Kirk: une profonde convergence d’idées. © Belga

Etats-Unis, Royaume-Uni…: l’extrême droite a-t-elle gagné la «bataille culturelle»?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La mobilisation de l’extrême droite la plus importante de l’histoire du Royaume-Uni et l’élévation au rang de martyr aux Etats-Unis de l’influenceur assassiné Charlie Kirk bouleversent les repères politiques.

De 110.000 à 150.000 personnes dans les rues de Londres à l’intiative de l’influenceur d’extrême droite Tommy Robinson le 13 septembre pour dénoncer la politique migratoire, pourtant restrictive, du gouvernement du Premier ministre travailliste Keir Starmer. Et, par-delà l’Atlantique, l’élévation au rang de «martyr de la vérité et de la liberté», d’un autre influenceur extrémiste, Charlie Kirk, après son lâche assassinat le 10 septembre sur le campus d’une université de l’Utah. Le monde change radicalement et on n’en mesure pas encore les conséquences.

En accusant implicitement la gauche politique d’être responsable de l’assassinat d’un de ses meilleurs propagandistes, alors même que l’enquête sur Tyler Robinson, son assassin présumé, un antifasciste selon toute vraisemblance, n’a pas révélé de lien avec le Parti démocrate, Donald Trump a avivé un peu plus encore les tensions au sein de la société américaine. Tout bénéfice sans doute pour la mouvance d’extrême droite alimentée par un grand nombre de ses partisans.

Tommy Robinson, l’influenceur à l’origine de la plus grande manifestation d’extrême droite au Royaume-Uni.
© Belga

Dans ces contextes qui ne sont pas sans tendances lourdes similaires au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, à quelles conséquences ces épisodes conduiront-ils? Eléments de réponse avec Benjamin Biard, chargé de recherche au Centre de recherche et d’informations socio-politiques (Crisp), et spécialiste de l’extrême droite.

L’extrême droite aussi au plan électoral

La plus grande manifestation d’extrême droite jamais organisée dans le pays et la première place du parti Reform UK dans les sondages consacrent-elles une puissance inédite de la droite radicale au Royaume-Uni?

Elles révèlent en tout cas la poursuite de sa capacité à exister aujourd’hui. Il y a déjà longtemps en réalité que l’extrême droite est présente au Royaume-Uni. Mais jusque récemment, c’était beaucoup moins évident sur le plan partisan. Des partis, le British National Party (BNP) ou le British National Front (BNF), ont tenté pendant des années de s’y implanter électoralement mais n’ont jamais réussi à s’y imposer. A partir de l’automne 2018, lorsque Tommy Robinson, une personnalité clairement issue des mouvements d’extrême droite, a été engagé par le Ukip (Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni) en tant que conseiller sur la question des gangs et des viols et sur la réforme des prisons, ce parti a commencé à évoluer. Son ralliement a d’ailleurs provoqué des tensions, y compris par rapport à Nigel Farage qui a quitté cette formation, pointant du doigt sa radicalisation. Il disait ne plus se reconnaître dans le Ukip. Ensuite, sa propre formation, le Brexit Party devenue ensuite Reform UK, a aussi épousé une forme de radicalité que l’on pourrait rapprocher de l’extrême droite. Aujourd’hui, il se porte très bien dans les sondages.

Il est donc utile de rappeler que longtemps, d’un point de vue électoral, l’extrême droite ne performait pas en dépit des tentatives de certains. C’est davantage le cas aujourd’hui, en tout cas dans les intentions de vote. Mais cela ne veut pas dire que l’extrême droite était absente. On a assisté dans une période pas si éloignée à un grand nombre de manifestations, d’actions organisées par des militants de cette tendance. Ainsi, le mouvement Britain First a un mode d’action qui recouvre à tout le moins une forme de violence symbolique, voire davantage, par exemple en distribuant des bibles à la sortie de mosquées. L’objectif de ce genre d’opérations est soit de mener ce que l’on qualifie de «guerre culturelle» soit de provoquer l’opinion publique pour tenter de mettre certaines thématiques au-devant de l’agenda politico-médiatique. C’est à ce type de phénomène auquel on fait face au Royaume-Uni. Et il semble s’amplifier, notamment à travers cette manifestation à Londres.

Reform UK et le mouvement de Tommy Robinson poursuivent-ils donc encore des objectifs différents?

Cela reste des formations qui se situent du même côté du spectre politique, même si Reform UK est davantage orienté, d’abord à travers le Ukip, sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, et aujourd’hui, sur le suivi de la réalisation de ce Brexit. Avec le résidu du Ukip et une personnalité comme Tommy Robinson ou d’autres à l’extrême droite, on a une radicalité plus importante, plus poussée. Je pense que Nigel Farage s’en rapproche aussi mais tend néanmoins à prendre ses distances pour paraître plus modéré. C’est une tendance que l’on retrouve dans différents pays, notamment en France avec des personnalités qui assument une forme de radicalité plus importante; Tommy Robinson a d’ailleurs été condamné à plusieurs reprises. Et, à côté, d’autres personnalités, qui ont des ambitions électorales plus marquées, essayent de lisser leur discours pour se légitimer.

Pas encore de coalition avec l’extrême droite

La lutte contre une immigration jugée non maîtrisée est-elle un vecteur principal du combat de Tommy Robinson?

Historiquement, c’est une personnalité qui développe un discours opposé à l’immigration. Ce n’est pas le seul thème qu’il développe, la question sécuritaire est aussi importante dans son discours, mais généralement celle-ci est reliée à la thématique migratoire. Il développe l’équation selon laquelle l’immigration accroît les problèmes d’insécurité au sein du territoire national et parfois, plus largement. Tommy Robinson se caractérise également par un style de communication populiste, anti-establishment. C’est un thème classique de l’extrême droite.

Une victoire du parti Reform UK lors des prochaines élections législatives est-elle envisageable?

On sent bien la difficulté dans laquelle sont plongées aujourd’hui tant les forces de droite que celles de gauche. En réalité, l’influence de l’extrême droite, comme en Allemagne ou comme en France, est déjà nettement perceptible au Royaume-Uni. La spécificité, peut-être, est que l’on a un Premier ministre issu des rangs travaillistes mais qui, en matière migratoire, tente aussi de bomber le torse sous l’influence de l’extrême droite, en lui donnant des gages sur une série de mesures singulières. L’extrême droite sera-t-elle en mesure de rejoindre un gouvernement à l’issue des prochaines élections? Je ne peux pas le dire. Mais son influence est nettement marquée, y compris, du côté travailliste.

Le phénomène des influenceurs d’extrême droite, comme Tommy Robinson ou Charlie Kirk, est-il plus important dans l’espace anglo-saxon?

Je n’en suis pas sûr. Il en existe un nombre important aux Etats-Unis. C’est un grand pays et on y parle anglais, ce qui veut dire que cette influence peut sortir des frontières nationales plus facilement. Charlie Kirk en était un exemple. Nick Fuentes est une autre personnalité d’extrême droite particulièrement radicale, jeune, et très active sur les réseaux sociaux. Un grand nombre entend mener cette bataille culturelle. Mais il y en a aussi pas mal en Europe. L’un d’entre eux, en Flandre, c’est Dries Van Langenhove qui, avec le mouvement Schild & Vrienden, veut non pas faire de la politique de manière classique, électorale, bien qu’il ait rejoint la Chambre des représentants à une période, mais mener une métapolitique, remporter une bataille culturelle précédant la bataille électorale ou partisane. Avec son canal médiatique, il entend réinterpréter l’actualité à travers son prisme d’extrême droite. On a déjà là une forme d’influence exercée par quelqu’un qui devient une personnalité politique indirectement rattachée à un parti mais qui a néanmoins une certaine visibilité. Au-delà de la Belgique, d’autres figures existent, comme Thaïs d’Escufon ou Papacito et d’autres en France.

Les liens entre Charlie Kirk et Donald Trump étaient-ils plus étroits que ceux entre Tommy Robinson et Nigel Farage?

On est dans des rapports différents. Les liens entre Tommy Robinson et Nigel Farage sont beaucoup plus distants que ceux entre Kirk et Trump.

La polarisation dopée par Donald Trump

Quand Donald Trump fustige une forme de diabolisation par la gauche de la personne de Charlie Kirk après son assassinat, ne peut-on pas largement lui retourner la critique?

On a un Donald Trump qui, fidèle à lui-même, contribue à renforcer toujours plus la polarisation de la société américaine. Le fait, dans ce cas, de dénoncer la gauche ou la gauche radicale avant même que l’on ne connaisse l’auteur de l’assassinat de Charlie Kirk et a fortiori ses motivations, est particulièrement interpellant. Donald Trump répète toujours le même type de discours encourageant cette polarisation. Dans le même temps, cette posture contribue à normaliser une forme d’extrême droite aux Etats-Unis. A partir du moment où Charlie Kirk est présenté comme un martyr de la liberté d’expression, c’est une manière de mettre davantage en évidence certains aspects positifs, en tout cas dans le chef de la personne qui utilise l’expression, que, peut-être, certaines dimensions plus controversées notamment au regard de l’idéologie qu’il défend.

Le thème de la liberté d’expression est souvent brandi par ces influenceurs d’extrême droite. Est-ce une manière d’influencer la société pour les autoriser à user eux-mêmes de propos violents?

Ils utilisent le thème de la liberté d’expression soit pour justifier certains débordements et dérapages, soit pour se poser en victimes du système politique. Et cela va au-delà des influenceurs. Les représentants politiques issus de cette mouvance développent généralement cette tendance à la victimisation de manière aussi à se présenter comme plus démocrates que les autres acteurs politiques, médiatiques aussi parfois. Là, je fais référence à la Belgique francophone où cette volonté des membres de l’extrême droite de se présenter comme des victimes censurées en termes de liberté d’expression, dans le contexte d’application du cordon sanitaire médiatique, est assez forte aussi. Elle est moins audible parce que l’extrême droite est beaucoup plus marginale, mais néanmoins, elle est aussi présente. Cette volonté de s’opposer à ce qu’elle qualifie de censure, de se présenter comme des victimes, voire des martyrs de la liberté d’expression, est un grand classique.

«Avant, l’extrême droite britannique ne performait pas d’un point de vue électoral. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.»
L’extrême droite développe cette tendance à la victimisation de manière à se présenter comme plus démocrate que d’autres acteurs.»

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