Le blocage du détroit d’Ormuz serait un cauchemar pour la Chine. © Bridgeman Images

Moyen-Orient

Entre Iran et Israël, le casse-tête chinois: pourquoi il n’y avait pas de risque de 3e guerre mondiale

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La Chine entretient de bonnes relations commerciales avec la plupart des acteurs du Moyen-Orient. Elle a tout intérêt à ce qu’elles ne soient pas perturbées par un conflit.

L’Iran a été attaqué par Israël, puis par les Etats-Unis. La réaction de ses alliés, la Chine au premier chef, n’a pas été une promesse de soutien manifeste. Au lancement de l’opération «Rising Lion», le président Xi Jinping a répondu tardivement que «l’action militaire d’Israël a provoqué une escalade soudaine des tensions au Moyen-Orient, ce qui inquiète profondément la Chine. Nous nous opposons à toute action qui porte atteinte à la souveraineté d’autres pays.» A la mission américaine «Marteau de minuit», le ministère chinois des Affaires étrangères a opposé rapidement une «condamnation ferme» de frappes qui «conduisent à une escalade des tensions au Moyen-Orient». «La Chine appelle toutes les parties impliquées dans le conflit, et tout particulièrement Israël, à un cessez-le-feu aussi vite que possible.» Bref, une condamnation d’Israël, mais mesurée, et surtout une exhortation à la désescalade tant Pékin pourrait être embarrassé, économiquement et politiquement, par une aggravation du conflit.

Pourquoi la Chine est-elle si discrète?

«La Chine a une position assez confortable et très singulière au Moyen-Orient, souligne Marc Julienne, le directeur du Centre Asie de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Elle a d’excellentes relations avec tout le monde –l’Arabie saoudite, l’Iran, la Turquie, Israël…–, ce qui est plutôt rare. Sur le conflit israélo-palestinien, la Chine, depuis Mao, a toujours prôné une solution à deux Etats. Les choses ont évolué après le 7-Octobre et la réponse démesurée d’Israël à Gaza. Sans prendre un parti absolument tranché, la Chine a soutenu davantage la Palestine. Mais cela ne signifie pas qu’elle veut se mettre à dos Israël avec lequel elle entretient des relations économiques importantes, notamment dans le domaine des technologies. La Chine est considérée comme un bon partenaire commercial dans la région, aussi parce qu’elle n’interfère pas dans les contentieux territoriaux, idéologiques, religieux…» Une forme de neutralité guidée par les intérêts économiques, donc.

«De manière générale, la Chine ne s’implique pas ou très peu dans les questions de sécurité internationale, complète Marc Julienne. On le voit à propos de l’Ukraine, de Gaza, aujourd’hui de l’Iran, parce qu’elle n’a sans doute pas la force de frappe diplomatique suffisante et qu’elle préfère rester à l’écart de ces questions pour ne pas prendre le risque de s’impliquer et d’échouer.» Maître de conférences en sciences politiques à l’ULB et spécialiste de l’Iran et de la Chine, Thierry Kellner ajoute que «tant la Russie que la Chine sont très occupées avec d’autres problématiques. On les voit mal intervenir pour le compte de l’Iran. La projection de force chinoise dans la région du Golfe est assez faible. La présence américaine est écrasante. Il n’y aucune volonté de la Chine de s’impliquer davantage de cette façon.»

«De manière générale, la Chine s’implique très peu dans les questions de sécurité internationale.»

Un rôle diplomatique?

A défaut d’influer sur le cours d’un conflit qui se poursuivrait, la Chine ne pourrait-elle pas œuvrer à la résolution des contentieux de fond qui opposent les Etats-Unis et Israël à l’Iran? Somme toute, elle a été signataire, en 2015, de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, qui avait mis en place un processus, critiqué, autorisant Téhéran à développer un programme civil tout en contrôlant son éventuelle intention de lui donner une dimension militaire. En outre, elle a contribué au rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite, scellé en mars 2023 à Pékin par la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays. Une carte à jouer?

«Le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite est un succès de la communication chinoise. C’est tout, tempère le directeur du Centre Asie de l’Ifri. Il est excessif de penser que la Chine a été la médiatrice dans ce rapprochement. Les négociations entre les deux pays ont eu lieu durant plusieurs années en Jordanie, à Oman, dans divers territoires et grâce à différents médiateurs, mais pas la Chine. Pékin est arrivé en bout de course pour signer l’accord.» «Si vous écoutez le discours officiel chinois quotidiennement à la conférence de presse du ministère des Affaires étrangères, vous entendrez que la Chine a une attitude constructive, qu’elle promeut la paix, le cessez-le-feu, la Charte des Nations unies et qu’elle a un comportement très productif et constructif, analyse Marc Julienne. Mais c’est seulement un discours. Pékin aimerait qu’il soit performatif. Mais force est de constater qu’après trois ans de guerre en Ukraine, alors que la Chine a toujours dit qu’elle était favorable à un cessez-le-feu et à des pourparlers de paix, il n’y a jamais eu une initiative concrète de sa part pour créer les conditions de ces objectifs. En Iran, je doute aussi que ce soit le cas d’autant qu’il y a un grand risque d’échec.»

Quels intérêts économiques?

Puisqu’ils sont si essentiels dans le positionnement de la puissance chinoise, quels sont les intérêts de Pékin en Iran? «La Chine est un partenaire extrêmement important pour l’Iran puisqu’elle est son premier partenaire économique et son premier marché d’exportation. La relation est asymétrique parce qu’en revanche, le commerce de la Chine avec Téhéran représente moins de 1% de ses exportations, souligne Thierry Kellner. De surcroît, le pétrole iranien sert les petits raffineurs, pas les grandes compagnies d’Etat chinoises parce que celles-ci « respectent » les sanctions internationales. La Chine pourrait s’en passer sans aucun problème. Il y a des capacités ailleurs.» Marc Julienne nuance le propos en pointant une certaine dépendance de la Chine au pétrole iranien car sa production propre ne comble qu’une faible partie de ses besoins. Les deux experts s’accordent du moins sur la principale menace qui pèserait sur la Chine en cas d’intensification du conflit entre Israël et l’Iran.

Le blocage du détroit d’Ormuz, qui fait partie des mesures que l’Iran pourrait actionner pour répondre aux frappes israéliennes, serait «très problématique pour une Chine qui connaît déjà des difficultés économiques. D’où l’intérêt pour les Chinois que les Iraniens n’aillent pas trop loin dans leurs représailles, décrypte Thierry Kellner. Quarante pour cent des importations pétrolières chinoises proviennent de la région du Golfe persique. De ce point de vue, la position chinoise est assez proche de celle de l’Europe.» «Ses importations en pétrole et en gaz liquéfié seraient fortement affectées. Une régionalisation de la crise n’est pas du tout dans l’intérêt de la Chine», insiste Marc Julienne. Une raison suffisante pour jouer la prudence et espérer que Donald Trump arrive à imposer durablement son cessez-le-feu.

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