Ursula von der Leyen et Donald Trump ont convenu, dimanche soir, d’une surtaxe de 15% sur les produits européens exportés aux Etats-Unis. Un accord qui met fin à des mois d’incertitude pour les entreprises belges, sans pour autant les réjouir. Le secteur pharma, lui, retient son souffle.
L’UE a évité le pire. Mais elle aurait pu faire bien mieux. Voilà, en substance, la conclusion à tirer de l’accord douanier intervenu dimanche soir entre la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le président américain Donald Trump. Le Vieux Continent s’en tire donc avec une taxation de 15% sur ses produits exportés aux Etats-Unis. Un pourcentage similaire à celui obtenu par le Japon la semaine dernière, mais bien moins avantageux que les 10% décrochés par le Royaume-Uni en mai dernier.
De Paris à Rome, les réactions européennes oscillent donc entre soulagement et amertume. Le bilan s’avère tout aussi mitigé en Belgique. Côté pile, les entreprises se félicitent de la fin d’une période marquée par l’incertitude et l’imprévisibilité. «Sans cet accord, les tensions auraient connu une escalade avec une augmentation à 30% des droits d’importation américains sur de nombreux produits européens dès le 1er août», rappelle notamment la FEB, déterminée à voir le verre à moitié plein. La perspective d’une relation transatlantique plus stable réjouit la coupole patronale, alors que les Etats-Unis représentent le quatrième partenaire commercial de la Belgique et le premier hors UE.
Délocalisation et pertes d’emplois
Côté face, les acteurs de l’économie belge regrettent toutefois cette taxation, portant les droits de douane à des niveaux bien supérieurs à ceux appliqués sous l’ère Biden. «Avant la guerre commerciale, le taux tarifaire moyen des Etats-Unis sur les importations en provenance de l’UE était de 1,47%», notait d’ailleurs le centre de réflexion économique Bruegel, en avril dernier. Qualifiées de «pilule amère» par la fédération technologique Agoria, de «mauvaise nouvelle» par la fédération de l’industrie alimentaire Fevia, ces taxations risquent de peser sur la compétitivité de nombreuses entreprises spécialisées dans l’exportation, confirme Dirk De Bièvre, professeur de politique économique internationale à l’UAntwerpen.
Cette barrière tarifaire supplémentaire risque en effet d’entraîner une baisse des ventes au pays de l’Oncle Sam. Les entreprises qui reverraient leurs prix à la baisse pour limiter cette érosion feront une croix sur certaines recettes, et réduiront in fine leurs capacités d’investissement. Avec des risques de restructuration en Belgique et de pertes d’emploi, voire de délocalisation aux Etats-Unis, pointe Dirk De Bièvre. «Une contraction du commerce transatlantique entraînera des effets négatifs sur les salariés belges et leur famille, c’est inévitable», avertit le professeur.
Les perspectives économiques restent toutefois difficiles à établir, au vu des nombreuses zones d’ombre subsistant au lendemain de l’accord. Si von der Leyen et Trump se sont accordé sur une surtaxe de 15%, la date d’entrée en vigueur de ce pourcentage (ainsi que d’éventuelles mesures de transition) demeure pour l’heure inconnue. La présidente de la Commission a en outre annoncé que certains produits «stratégiques» (aéronautiques, chimiques ou agricoles) feraient l’objet d’une exemption, sans préciser la portée exacte de ce taux zéro. Les bières, vins ou spiritueux seront-ils par exemple considérés comme produits agricoles? Le flou est total.
Une surtaxe pour les médicaments?
Le secteur pharmaceutique retient également son souffle, confronté à des divergences d’interprétations de l’accord de chaque côté de l’Atlantique. Alors que la présidente de la Commission européenne assure que les 15% constituent un «plafond» (les médicaments ne pourraient pas être taxés au-delà), certains membres de l’administration américaine rappellent qu’ils pourraient être revus à la hausse, conformément à une enquête menée par le département du Commerce américain, basée sur l’article 232 du Trade Expansion Act. Cette loi commerciale permet aux Etats-Unis d’évaluer la menace que représentent les importations de produits spécifiques sur leur sécurité nationale et, le cas échéant, d’appliquer une surtaxe pour y pallier.
Dans l’attente des résultats de l’enquête (qui devraient aboutir d’ici deux semaines), le secteur reste plongé dans le flou, regrette Pharma.be, l’Association générale de l’industrie du médicament. «Cette décision définira si on a affaire à un accord plutôt neutre ou réellement dramatique pour l’économie belge, confirme l’économiste Geert Noels, CEO d’Econopolis. En cas de droits de douane revus à la hausse sur les médicaments et autres produits pharmaceutiques, la Belgique pâtira en réalité bien davantage de ce deal que d’autres pays européens.» Les Etats-Unis sont en effet un partenaire commercial de premier plan pour le secteur pharma belge, représentant près d’un quart (24%) de ses exportations. Au total, les médicaments et autres vaccins pèsent pour plus de la moitié (56%) de la totalité des biens belges exportés annuellement au pays de l’Oncle Sam.
Et pour les ménages?
En dépit de la menace qui plane sur les entreprises belges, les consommateurs, eux, devraient être épargnés par ces nouvelles mesures, contrairement aux Américains, qui risquent de voir le prix de certains produits flamber dans les rayons de supermarché. «Heureusement, l’Union européenne n’a pas fait la même bêtise que les Etats-Unis, se réjouit Dirk De Bièvre. Elle a décidé de ne pas sombrer dans le protectionnisme et de ne pas se renfermer dans une sorte de château-fort. Sans mesures de rétorsion, les importations vers l’Europe se poursuivront librement, et c’est tant mieux.»
Si l’inflation ne guette pas les Belges dans un premier temps, elle pourrait toutefois se matérialiser à moyen-terme sur les factures énergétiques. L’accord conclu dimanche contraint l’UE à acheter pour 750 milliards de dollars de produits énergétiques américains au cours des trois prochaines années. Une décision qui risque de renforcer sa dépendance au gaz américain, s’inquiètent certains économistes. Les Etats-Unis auraient alors tout le loisir d’augmenter leur prix, contraignant les ménages belges à mettre la main au portefeuille.
Des prévisions qui devront se confirmer (ou pas) dans les prochaines semaines, à mesure que les détails de l’accord seront dévoilés. Avec une seule certitude: certains pays européens en pâtiront plus que d’autres. L’Allemagne, dont le secteur automobile est particulièrement dépendant des Etats-Unis, risque de voir son PIB se contracter. L’Irlande, qui exporte annuellement pour pas moins de 72 milliards de dollars outre-Atlantique, apparaît elle aussi vulnérable. «Chaque Etat analysera l’impact concret de cet accord dans les prochains mois, souligne Geert Noels. Mais la façon dont von der Leyen l’a négocié risque de laisser des traces. La Commission a décidé unilatéralement de termes qui impacteront chaque pays individuellement, mais de manière très inégale. Cela risque de susciter des tensions entre les Etats. Mais c’était peut-être le but de Trump de créer la discorde au sein de l’UE…»