Donald Trump et sa visite à 1.000 milliards de dollars en Arabie Saoudite: «Il pourrait avoir des intérêts personnels en tête.» © REUTERS

Donald Trump et sa visite à 1.000 milliards de dollars en Arabie Saoudite: «Il a des intérêts personnels en tête»

Lors de son voyage fastueux à Riyad, Donald Trump espère sceller des accords économiques titanesques, dans une tournée marquée par le retour de liens privilégiés entre Washington et les monarchies du Golfe. Mais les soupçons de conflits d’intérêts, les cadeaux controversés et les ambitions diplomatiques compliquées jettent une ombre sur cette opération séduction.

L’Arabie saoudite a un deuxième prince héritier depuis ce mardi matin. Donald Trump est arrivé à Riyad et a été accueilli en grande pompe. Son avion présidentiel a été escorté par des chasseurs F-15, vendus précédemment par les Américains aux Saoudiens. Comme un symbole de confiance autant qu’un clin d’œil aux relations fructueuses entre les deux alliés économiques.

Puis est venue la cérémonie d’accueil sur le tarmac de l’aéroport. Des centaines de soldats au garde-à-vous encadrent Donald Trump et le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane (MBS). Les deux hommes se saluent par de grands gestes amicaux et conversent déjà avec animation. Ce sont des retrouvailles. L’ Arabie saoudite semble comblée du retour de son allié à la Maison-Blanche. Elle n’a jamais caché son aversion pour Joe Biden et, à l’inverse, son amitié pour l’ancien président américain.

Marc Lynch, professeur de sciences politiques à l’université George Washington, observe dans un rapport cette idylle entre les deux dirigeants avec un regard critique: «Trump pourrait avoir ses intérêts personnels en tête. Ses entreprises familiales ont engrangé des millions grâce à des accords avec des sociétés liées aux gouvernements émirati, qatari et saoudien. Ces gouvernements du Golfe font peu de différence entre l’argent public et privé.»

Preuve en est, le président américain a fermement défendu lundi son choix d’accepter un Boeing offert par le Qatar aux Etats-Unis, assurant qu’il serait «stupide» de refuser un tel cadeau, qu’il compte utiliser comme nouvel avion présidentiel. Le montant de ce «cadeau» s’élève à 400 millions de dollars. Rappelant les règles constitutionnelles, des sénateurs démocrates ont dénoncé ce geste, estimant qu’il «crée un conflit d’intérêts évident, soulève de graves questions de sécurité nationale, invite à l’influence étrangère et sape la confiance du public dans notre gouvernement. Personne ne doit utiliser le service public pour s’enrichir personnellement.»

La liste des invités fournie par la Maison-Blanche inquiète les observateurs extérieurs, qui craignent que la politique de Donald Trump ne serve uniquement des intérêts privés. Les plus gros noms de l’économie privée américaine sont présents:

  • Elon Musk, directeur général de Tesla et SpaceX
  • Kelly Ortberg, directrice générale de Boeing
  • Ruth Porat, directrice des investissements de Google
  • Andy Jassy, directeur général d’Amazon
  • Sam Altman, directeur général d’OpenAI
  • James Quincey, directeur général de Coca-Cola
  • Dara Khosrowshahi, directeur général d’Uber
  • Reid Hoffman, président exécutif de LinkedIn
  • Gianni Infantino, président de la FIFA
  • Arvind Krishna, président-directeur général d’IBM
  • Stephen A. Schwarzman, directeur général du groupe Blackstone
  • Jensen Huang, directeur général de Nvidia
  • Larry Fink, directeur général de BlackRock

Le dollar comme boussole

Le «faiseur de deals» américain est arrivé avec une valise prête à accueillir 1.000 milliards de dollars issus de futurs accords économiques avec l’Arabie saoudite, le Qatar et les Emirats arabes unis. Soit une somme équivalente à l’ensemble du produit intérieur brut saoudien sur un an. Pendant quatre jours, l’administration américaine prévoit de signer un maximum de contrats. Certains sont déjà connus, presque finalisés. L’Arabie saoudite s’est dite prête à investir plus de 600 milliards de dollars dans différents secteurs aux Etats-Unis pendant le mandat de Donald Trump. En retour, les Américains offrent des équipements militaires d’une valeur de plus de 100 milliards de dollars. «De la technologie de pointe», assure Marco Rubio, le secrétaire d’Etat américain.

Pour Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, «l’intérêt de l’administration américaine, ce sont les investissements économiques. Donald Trump va là où il y a de l’argent, c’est un faiseur de deals. Ce voyage est d’abord économique, mais il sera impossible d’éviter les sujets géopolitiques.»

Si le président américain estime que deux millions d’emplois seraient créés aux Etats-Unis grâce à ses 24 heures de présence dans le royaume, ses ambitions relèvent plutôt du fantasque. C’est ce qu’avance Tim Callen, ancien chef de mission du Fonds monétaire international en Arabie saoudite, dans les pages du New York Times: «Aucun de ces chiffres n’est réaliste. l’Arabie saoudite est confrontée à un déficit budgétaire qui pourrait dépasser les 70 milliards de dollars cette année . Elle emprunte de plus en plus d’argent au lieu d’en prêter.»

Derrière l’argent, des sujets brûlants

Si les cadeaux, de par leur ampleur, occupent le devant de la scène, d’autres dossiers devront être abordés. Non économiques cette fois, mais bien politiques. Durant ses quatre jours sur place, l’administration Trump espère avancer sur plusieurs fronts sécuritaires régionaux. Dont le programme nucléaire iranien et la normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et Israël. Cette dernière serait une pièce maîtresse en vue d’une reconnaissance de la Palestine par plusieurs pays européens.

Le président français, Emmanuel Macron, présidera une conférence en juin avec l’Arabie saoudite, où sera discutée la reconnaissance de l’Etat palestinien par la France. Mais pour cela, Riyad devra reconnaître la souveraineté d’Israël. Dans un tel scénario, d’autres pays européens (Pays-Bas, Belgique) se disent prêts à suivre Paris.

Les accords d’Abraham, cette série d’accords de normalisation entre Israël et plusieurs pays arabes comme le Maroc, le Soudan, Bahreïn et les Emirats arabes unis, restent une fierté diplomatique du premier mandat de Donald Trump. Signés en 2020, il espère désormais y ajouter le nom de l’Arabie saoudite.

Pour Marc Lynch, l’administration américaine risque toutefois de rencontrer de sérieux obstacles: «Trump serait sans doute ravi d’annoncer l’adhésion de l’Arabie saoudite à ce processus lors de sa visite, notamment pour affirmer avoir accompli ce que Biden n’a pas réussi à faire. Sans la guerre à Gaza, MBS aurait probablement accepté de normaliser les relations avec Israël, cadeau de lune de miel pour Trump. Mais le lourd tribut quotidien de l’assaut israélien sur Gaza rend la normalisation difficile à accepter. Si les dirigeants arabes se moquent des Palestiniens, leurs peuples, eux, s’en soucient.»

L’analyse pessimiste du professeur de l’Université George Washington ne freine pourtant pas l’enthousiasme de l’administration Trump. Steve Witkoff, émissaire spécial du président américain pour le Proche-Orient, a déclaré qu’il «s’attendait sous peu à un élargissement des accords d’Abraham.»

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