Une infirmière mesure la circonférence du bras d’un enfant de 1 an victime de malnutrition depuis sa naissance. © MSF

De retour de Gaza, cette médecin témoigne: «Tant de blessures par balles, dans le ventre, le torse, la tête, il ne s’agit pas d’une coïncidence»

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Coordinatrice de projet à la clinique de Médecins sans frontières à Gaza-City, Caroline Willemen témoigne de la douleur de la population, qui risque de s’aggraver avec l’intensification de l’offensive israélienne.

Membre de Médecins sans frontières, Caroline Willemen a quitté la bande de Gaza le 27 août après y avoir passé deux mois à coordonner le projet de clinique de l’ONG dans la ville de Gaza. Celle-ci est désormais la cible principale de l’armée israélienne depuis que le gouvernement de Benjamin Netanyahou a décidé de s’emparer de l’ensemble du territoire palestinien pour débusquer les derniers miliciens du Hamas qui s’y trouvent. A Gaza-City, MSF Belgique gère un étage de l’hôpital al-Shifa (30 lits), un centre de santé de base (plus de 600 consultations par jour), un réseau de camions avec de l’eau potable et soutient une salle d’urgence d’un autre centre de santé. L’organisation humanitaire est décidée à rester sur place tant que les conditions de sécurité seront garanties. Caroline Willemen témoigne de la souffrance endurée par la population palestinienne, avec une pensée particulière pour les employés palestiniens de MSF prêts à travailler chaque matin, même quand ils n’ont plus mangé depuis 24 ou 48 heures.

«La malnutrition est le résultat d’un choix délibéré de ne pas donner à manger à la population.»

Comment définiriez-vous la situation humanitaire dans la bande de Gaza et, en particulier, à Gaza-City?

C’est catastrophique. On n’utilise pas souvent ce qualificatif chez Médecins sans frontières. Mais ce que j’ai vu de mes propres yeux est vraiment un génocide. Les gens se font bombarder tous les jours. Ils n’ont pas accès à suffisamment d’eau et de nourriture. Et, chose la plus cruelle à laquelle j’ai été confrontée, ils se font tirer dessus quand, ayant tellement faim et étant tellement désespérés, ils se rendent à la frontière de Zikim, dans le nord de la bande de Gaza, endroit par lequel les camions du Programme alimentaire mondial rentrent, pour essayer de grappiller quelques nourritures. Il y a des morts, des blessés. J’ai vu un homme qui a été amputé d’un bras, un garçon de 14 ans a pris une balle dans la jambe alors que son frère de 11 ans avait été tué un mois plus tôt dans les mêmes circonstances… Le niveau de danger est extrêmement élevé sur les sites de distribution d’aide de la Fondation humanitaire de Gaza, qui n’a rien d’humanitaire. Quand on dénombre tellement de personnes victimes de blessures par balles, dans le ventre, le torse, la tête, il ne s’agit pas d’une coïncidence. Surtout quand on sait que les soldats israéliens sont des professionnels de la guerre… Il faut aussi pointer les attaques sur le système de santé. Voir l’hôpital al-Shifa complètement bombardé est incroyable. Je travaille depuis neuf ans pour Médecins sans frontières. Jamais de ma vie, je n’ai vu une dévastation pareille, y compris en matière de malnutrition, alors que les camions remplis d’aide sont stationnés à trois ou quatre kilomètres de là, en Israël. On n’est pas dans le Sahel où surviennent des périodes de famine car aucune culture ne pousse. C’est le résultat d’un choix délibéré de ne pas donner à manger à la population.

Avez-vous observé des phénomènes identifiés de famine parmi vos patients?

Dans notre centre de santé de base à Gaza-City, MSF a un programme de lutte contre la malnutrition pour les enfants entre 6 mois et 5 ans et pour les femmes enceintes et allaitantes. Entre mai et début août de cette année, nous avons eu cinq fois plus de patients éligibles à ce programme. Nous réalisons un screening pour chaque patient qui vient dans notre centre. A un moment donné, nous avions 25% de ces deux groupes qui entraient dans les critères d’admission du programme. Nous avons aussi vu que les patients étaient de plus en plus nombreux parce qu’ils n’avaient pas assez à manger pour guérir alors que d’habitude, une fois qu’ils ont reçu une ou deux portions de «nourriture thérapeutique» par jour, ils peuvent, au terme de quelques semaines ou quelques mois, sortir du programme à condition d’avoir la possibilité de manger. Comme ce n’est plus le cas, ils ne sortent plus du programme. De même, les victimes de blessures n’en guérissent pas de la bonne manière car elles ne mangent pas assez. Le corps ne peut pas se retaper.

Quelles conséquences aura sur la situation humanitaire la poursuite de l’offensive militaire israélienne, qui prévoit notamment l’occupation de la ville de Gaza?

J’ai quitté Gaza-City il y a un peu plus d’une semaine. On voyait déjà de nombreux déplacements de population soit à l’intérieur de la ville elle-même, soit vers le sud de la bande de Gaza. On observait aussi la venue de davantage de patients dans notre clinique, qui est encore pour l’instant hors d’une zone rouge à évacuer. De façon plus générale, tellement de gens sont mal nourris ou victimes d’amputation qu’on se demande comment ils pourront se déplacer dans le sud du territoire. Il n’y a presque pas de diesel, presque pas de voitures. De surcroît, il n’y a plus d’espace disponible dans le sud. Il y a déjà un million de personnes à Deir al-Balah et à Khan Younès. Il sera impossible d’y ajouter un million supplémentaire.

Comparé à ce que vous avez vécu dans d’autres pays, qu’y a-t-il de différent et spécifique à Gaza?

Je n’ai pas envie de dresser trop de comparaisons entre les souffrances des personnes. J’en ai observé dans beaucoup d’endroits. Mais il est vrai que je n’ai jamais vu une souffrance aussi extrême que celle observée à Gaza. C’est la conséquence d’un génocide. Il y a aussi l’ampleur de la destruction de Gaza. MSF Belgique est dans l’est de la ville, détruit à 40%. L’ouest l’est à 80%. Je n’ai jamais été confrontée à cela de ma vie.

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