Les manifestants qui se veulent pacifistes demandent plus d’hôpitaux et d’universités. Un problème récurrent, identifié, mais pas traité…
«Le peuple veut l’éducation et la santé.» «Les stades sont là mais où sont les hôpitaux?» En deux slogans, est résumée la nature de la contestation qui agite le Maroc depuis le 27 septembre, date de la première grande manifestation des jeunes de la «Génération Z 212» –212 est l’indicatif téléphonique du pays.
L’origine du mouvement remonte pourtant au 14 septembre quand le constat du décès de huit femmes enceintes nécessitant un accouchement par césarienne dans un même centre hospitalier public d’Agadir a suscité la colère des familles. Via la plateforme Discord, des jeunes de 15 à 30 ans l’ont transformée en contestation sociale à Rabat, la capitale, puis dans de nombreuses villes du Maroc. Le délabrement du service public de santé qu’ont illustré ces décès de femmes enceintes a marqué d’autant plus profondément les manifestants, issus plutôt de la classe moyenne, que le pays est engagé dans la réalisation du grand chantier de l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations, qui aura lieu du 21 décembre 2025 au 18 janvier 2026, et du Mondial de football prévu en 2030 avec le Portugal et l’Espagne comme autres principaux pays hôtes. L’efficacité de la rénovation des stades et des infrastructures contraste douloureusement avec l’inefficacité du système de santé observé depuis des années.
«Les stades sont là mais où sont les hôpitaux?»
«Il est indéniable qu’un projet d’une envergure comme la Coupe du monde de football mobilise une énergie politique, administrative et financière colossale. Il est inévitable que cela capte l’attention et une partie des ressources, au moins à un niveau décisionnel, analyse, le 19 septembre, dans une interview au site d’informations Maroc Hebdo, Ali Lotfi, le président du Réseau marocain de défense du droit à la santé et du droit à la vie (RMDDS). Cependant, il serait peut-être plus juste de dire que les problèmes de santé et de l’enseignement (NDLR: le deuxième secteur public épinglé par les protestataires) sont structurellement négligés depuis des décennies, bien avant l’organisation du Mondial.» Le spécialiste énumère aussi les principales causes de la défaillance du système de santé public: un sous-financement chronique («moins de 6% du budget général de l’Etat alors que la moyenne internationale s’élève à 8,2%»), la pénurie de ressources humaines, notamment parmi les médecins spécialistes, des disparités régionales criantes entre grands centres urbains et les autres régions, ou la saturation des services d’urgence «qui fonctionnent souvent au-delà de leurs capacités». Ali Lotfi en tire comme conclusion que «le drame d’Agadir n’est malheureusement pas un « accident » isolé».
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A observer la réaction à la contestation sociale des partis le composant, le gouvernement partagerait même ce diagnostic. «La majorité gouvernementale affirme sa pleine conscience des accumulations et des dysfonctionnements que connaît le système de santé depuis des décennies», a rapporté le site du quotidien Le Matin, le 1er octobre, à l’issue de la réunion des principaux ministres de l’exécutif. Mais si le constat est partagé, pourquoi ne pas avoir agi plus tôt pour y remédier? Le gouvernement est en poste depuis octobre 2021 et a été remanié en 2024.
Ostensiblement, la volonté du gouvernement et du Palais est de ne pas susciter la moindre action qui pourrait mener à une extension et une radicalisation du mouvement. Les membres de la «Gen Z 212» eux-mêmes ne cessent de prôner le combat pacifique pour une plus grande justice sociale. Mais des affrontements entre forces de l’ordre et manifestants ont tout de même déjà causé la mort de trois d’entre eux à Lqliaâ, au sud-est d’Agadir, le 1er octobre. Dans ce contexte, le roi Mohammed VI n’est cependant pas le moins habile pour faire payer des lampistes et pour adresser des signes positifs en direction des contestataires. Il avait réussi ce pari lors du printemps arabe en 2011 face au mouvement du 21 février. Mais, affaibli physiquement et politiquement, y parviendra-t-il encore?
G.P.