La Gen Z malgache n’en peut plus des coupures d’eau et d’électricité. L’absence de réponse concrète d’Andry Rajoelina et la répression des forces de l’ordre font craindre une escalade.
Tentative de prise «illégale» du pouvoir à Madagascar, selon le président
Le président malgache, Andry Rajoelina, a déclaré dimanche qu’une « tentative de prise du pouvoir illégale et par la force » était en cours, au lendemain du ralliement d’un contingent de soldats aux côtés de milliers de manifestants anti-gouvernementaux dans la capitale Antananarivo. Des soldats malgaches ont rejoint samedi les milliers de manifestants dans les rues d’Antananarivo, appelant les forces de sécurité à « refuser les ordres de tirer » sur la population et condamnant la répression policière récente.
Samedi soir, le nouveau Premier ministre, Ruphin Zafisambo, a assuré que le gouvernement, « qui se maintient fermement », était « prêt à collaborer et à écouter toutes les forces: les jeunes, les syndicats et l’armée ».
La révolte a éclaté le 25 septembre à cause de la lassitude de la population face aux coupures récurrentes d’eau et d’électricité. Elle a redoublé en raison de la répression des manifestations (un bilan de 22 morts le 30 septembre qui n’avait pas augmenté à la date du 7 octobre) et de l’inanité de la réponse du président Andry Rajoelina aux attentes des protestataires, malgré le limogeage du gouvernement (signifié lors d’une première allocution le 29 septembre). Et elle se poursuit malgré une fuite en avant du chef de l’Etat qui, le 3 octobre, a dénoncé une tentative de coup d’Etat à travers une manipulation de la jeunesse via les réseaux sociaux par une puissance étrangère qu’il n’a pas nommée.
Comme au Maroc, la Génération Z est à la pointe de la contestation à Madagascar depuis deux semaines. Avec quelles conséquences? Eléments de réponse avec Christiane Rafidinarivo, politologue, chercheuse associée au Cevipof de Sciences Po, et enseignante à l’université de la Réunion.
Les coupures d’eau et d’électricité constituent-elles un problème récurrent à Madagascar?
Les délestages d’électricité et les coupures d’eau datent de plusieurs années. Mais ils ont tendance à s’intensifier depuis deux ans. Résultat: les périodes où il n’y a pas d’eau dans la journée deviennent de plus en plus longues. Elle ne revient souvent que tardivement à minuit, voire à 1 ou 2 heures du matin. Une partie de la population de la capitale, Antananarivo, qui compte six millions d’habitants, se trouve de facto privée d’eau, ce qui rend la vie quotidienne très difficile pour se nourrir, cuisiner, assurer son hygiène… D’après l’Agence de l’eau et de l’électricité, cette situation s’explique par des questions techniques.
Y a-t-il eu un déclencheur à cette contestation ou résulte-t-elle de l’accumulation des problèmes?
C’est la rentrée. L’école a repris en septembre. L’inflation continue de s’aggraver, notamment dans les secteurs des transports et de l’alimentation. Il y a eu une accumulation de circonstances. Et puis, il y a eu la «fenêtre d’opportunité» du déplacement du président Andry Rajoelina à l’Assemblée générale des Nations unies à New York… Mais la revendication des manifestants n’est pas surfaite: l’accès à l’eau et à l’électricité est une vraie difficulté. La sincérité du mouvement ne fait aucun doute.
«C’est la première fois que la génération connectée s’exprime dans la rue de façon “conventionnelle”.»
Le mouvement est-il réellement porté par les jeunes?
C’est une réalité. Avec mes collègues, nous avons publié Démocratisation de la démocratie (sous la direction de Grégoire Molinatti, Christiane Rafidinarivo et Bernard Idelson, Presses universitaires indianocéaniques, 2023), fruit d’un travail d’enquête de quatre ans, entre 2019 et 2023, sur les mouvements sociaux et les mobilisations numériques essentiellement dans l’océan Indien. Nous avons constaté que les 20-40 ans sont une génération connectée et engagée. Mais elle ne s’était pas manifestée jusqu’alors dans la rue de façon «conventionnelle». C’est la première fois. Quand on regarde toutes les vidéos, on peut le vérifier. Ce ne sont pas des «émeutes de la faim» menées par les plus miséreux. Cette fois, ce sont les étudiants, les jeunes actifs, les jeunes parents qui se retrouvent dans la rue. Ils mettent en avant la mauvaise gouvernance étatique à propos de services supposés satisfaire des droits fondamentaux. C’est un mouvement social à la dimension sociopolitique. Les protestataires ont demandé des comptes au gouvernement, ont obtenu son limogeage et, après l’allocution du président de la République le 29 septembre, ils ont réclamé sa démission. Il faut dire qu’il a révélé que tout le matériel nécessaire pour remédier aux délestages électriques et aux pénuries d’eau était stocké dans le plus grand port de Madagascar, à Toamasina, depuis deux ans. Donc, le lendemain dans la rue, c’était sa démission qui était demandée. Madagascar vit des jours critiques. La répression est très dure, en particulier à Antananarivo, la capitale.
Le départ du gouvernement n’a donc pas suffi à apaiser la contestation?
Pas du tout. On l’a observé dès le premier jour après le limogeage. Non seulement le mouvement initial s’est maintenu, mais il a également été rejoint par des associations de la société civile, des syndicats, des partis politiques. Un mot d’ordre de grève générale a aussi été lancé.
Quelle est la marge de manœuvre du président?
Quelle que soit celui qu’il nomme comme Premier ministre, s’il n’y a pas d’eau ou d’électricité, il ne sera pas plus crédible. Surtout après la répression opérée. L’Etat devient un danger pour la sécurité des individus. Cette question sécuritaire réduit drastiquement la marge de manœuvre du président, à moins qu’il choisisse de réprimer encore plus et de resserrer un gouvernement sécuritaire autour de lui, avec, comme seule porte de sortie, les pouvoirs exceptionnels. Autrement, formerait-il un gouvernement technique qui mettrait l’eau au robinet, ferait revenir l’électricité et lancerait de vraies enquêtes sur les victimes de la répression, sur la corruption et sur le couac du matériel disponible mais non utilisé? Il peut aussi convoquer des élections. Mais si c’est le pouvoir actuel qui les organise, elles n’auront aucune crédibilité. L’autre option constitutionnelle est que, si le président se retire temporairement ou définitivement ou s’il est empêché d’exercer ses fonctions, cle président du Sénat assure la transition. Or, il a été nommé par Andry Rajoelina et c’est un général de gendarmerie retraité, Richard Ravalomanana, qui est perçu comme ayant été à la tête de toutes les répressions des mouvements sociaux depuis dix ans… Cette option ne serait pas acceptable dans le contexte actuel, ni par le mouvement de contestation ni par l’opinion publique.