De menaces en ultimatums, Donald Trump durcit le ton pour forcer Vladimir Poutine à cesser ses hostilités en Ukraine. Mais les leviers d’action du président américain, tout comme sa patience, s’amenuisent.
Sa promesse était formelle. En mai 2023, Donald Trump, alors candidat à la présidentielle américaine, jurait être capable de mettre fin au conflit en Ukraine en l’espace d’une journée. «Ca prendrait 24 heures». Une réélection et deux années d’hostilités plus tard, la réalité géopolitique a rattrapé les ambitions pacificatrices du républicain. Depuis le début de son mandat, Trump essuie les échecs diplomatiques. Ses multiples tentatives pour contraindre Moscou et Kiev au cessez-le-feu restent vaines, plombées par les exigences maximalistes posées par le président russe.
«Très déçu» par Poutine, le président américain lui a lancé un nouvel ultimatum, lundi. Le dirigeant russe dispose désormais de «dix à douze jours» pour cesser le conflit en Ukraine, sans quoi il s’expose à de «sévères sanctions». Exit, donc, le délai de 50 jours fixé mi-juillet. La patience de Trump a des limites.
Retour de bâton
Mais au-delà de son irritation palpable, de quels moyens de pression dispose réellement le locataire de la Maison-Blanche pour faire plier Poutine? Trump a évidemment pensé à son levier d’action favori: les droits de douane. «C’est son obsession, rappelle Tanguy de Wilde d’Estmael, professeur de relations internationales à l’UCLouvain. Il le répète depuis son investiture: le plus beau mot de la langue anglaise, c’est ‘tariffs’.» Les exportations directes de Moscou à Washington s’avérant toutefois limitées (moins de quatre milliards de dollars par an), le président américain a sorti une nouvelle idée de son chapeau: l’imposition de droits de douane secondaires aux partenaires commerciaux de la Russie. Parmi les cibles visées: la Chine et l’Inde, qui continuent à acheter massivement du pétrole russe. Concrètement, une surtaxe (de 100 à … 500%, selon les sources américaines) serait imposée sur tous les biens importés aux Etats-Unis depuis ces deux pays.
Deux problèmes se posent toutefois. Le premier, c’est que Washington est justement plongé en pleines négociations commerciales avec Pékin et New Dehli. Après une escalade tarifaire au printemps, Trump a revu ses ambitions à la baisse et souhaite désormais aboutir à un accord équilibré avec chacun des deux pays d’ici la mi-août. Dans ce contexte, l’imposition soudaine de nouvelles taxes paraît malvenue. «Trump sait qu’il a besoin de ces liens économiques, donc ce serait étonnant qu’il mette ses menaces à exécution, juge Tanguy de Wilde d’Estmael. Mais la seule chose prévisible avec Trump, c’est son imprévisibilité…»
Deuxième hic: les conséquences financières d’une telle mesure sur les consommateurs américains. «De nouveaux droits de douane auraient indirectement des effets néfastes sur le prix des produits dans les rayons des supermarchés américains, rappelle Alix Frangeul-Alves, spécialiste des Etats-Unis et coordinatrice de programmes pour le German Marshall Fund of the United States. Or, l’inflation et le pouvoir d’achat sont deux baromètres principaux de la popularité de Trump. Il pourrait donc y réfléchir à deux fois avant d’instaurer de telles sanctions.»
Pas de sanctions diplomatiques
Au vu des risques que comportent ces droits de douane secondaires, le président américain pourrait se laisser tenter par d’autres options, comme «la lutte contre les vaisseaux fantômes russes», avance Tanguy de Wilde d’Estmael. Les Etats-Unis emboîteraient alors le pas à l’Union européenne, qui a décidé mi-juillet de renforcer le contrôle de ces navires qui transportent du pétrole russe, permettant de contourner les embargos occidentaux.
Les sanctions décrétées par Trump, quelles qu’elles soient, devraient en tout cas être de nature financière, estime le professeur en relations internationales. «L’objectif de Trump étant de négocier directement avec la Russie, des sanctions diplomatiques n’auraient pas de sens, précise l’expert. Il y a là un changement de stratégie par rapport à l’ère Biden, qui avait expulsé des diplomates ou sanctionné d’influentes personnalités russes (NDLR: comme les filles de Poutine ou la famille de Lavrov), car son objectif n’était pas de s’asseoir à table avec les Russes.»
Pour certains observateurs, la clé pour forcer Poutine à négocier serait de prendre le problème par l’autre bout. Autrement dit: renforcer le soutien américain à l’Ukraine plutôt que d’intensifier les sanctions envers la Russie. Une inversion du rapport de force sur le champ de bataille exercerait sans doute une pression plus forte sur le dirigeant russe. Mi-juillet, Trump avait d’ailleurs annoncé la livraison de nouvelles armes à Kiev par le biais de l’Otan (notamment des batteries Patriot). Mais cet accord semble pâtiner et se heurter à des contraintes logistiques. La livraison directe d’armes américaines à Kiev, sans intermédiaire tiers, pourrait elle entacher la popularité du républicain à l’échelle nationale, alors que les midterms approchent, pointe Alix Frangeul-Alves. «Une partie de l’électorat américain a voté pour Trump car elle voyait en lui une personnalité capable de s’occuper en priorité des Américains, plutôt que de conflits extérieurs qui ne les concernent pas», insiste la spécialiste des Etats-Unis.
Résilience russe
Bref, la marge de manœuvre de Trump semble pour l’heure relativement limitée. D’autant qu’au-delà de la nature des sanctions, se pose également la question de leur efficacité. Malgré les embargos successifs, imposés tant par l’UE que par les Etats-Unis, l’économie russe n’a jamais flanché. «Depuis trois ans, Moscou fait preuve d’une extrême résilience, en développant de nouveaux partenariats commerciaux et en trouvant des alternatives économiques ailleurs», observe Tanguy de Wilde d’Estmael. Le rapprochement de la Russie avec l’Iran et la Chine, qui s’est mué en «un axe de résistance anti-occidental», témoigne notamment de cette robustesse, note Alix Frangeul-Alves. «Les trois Etats partagent entre eux d’importants conseils de terrain pour contourner ces sanctions», insiste-t-elle.
«La seule chose prévisible avec Trump, c’est son imprévisibilité…»
Enfin, les sanctions successives semblent avoir peu d’impact sur la population russe. «Or, l’effet escompté de ces mesures était aussi de fatiguer l’opinion publique russe, pour qu’elle se retourne éventuellement contre le pouvoir et que le régime s’effondre, note Tanguy de Wilde d’Estmael. C’est un impact qui aurait pu s’observer dans une démocratie. Mais dans une autocratie comme la Russie, rien de tout cela ne semble se matérialiser.»