Le "plan de paix" américain pour le Proche-Orient, unilatéralement favorable aux Israéliens, risque d'accroître le désespoir palestinien, déjà perceptible dans les rues de Gaza au lendemain de son annonce. © IBRAHEEM ABU MUSTAFA/REUTERS

Comment les Palestiniens ont été abandonnés

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La trahison du médiateur américain, le soutien a minima des alliés arabes et les luttes intestines préfigurent un avenir sombre pour les habitants de Gaza et de Ramallah.

La  » vision  » américaine pour une  » paix  » entre Israéliens et Palestiniens, présentée le mardi 28 janvier dernier, donne un blanc-seing à l’Etat hébreu pour concrétiser plusieurs de ses revendications (annexion de la vallée du Jourdain, des colonies en Cisjordanie, Jérusalem confirmée comme capitale indivisible…) et pose des conditions (renoncement au retour des réfugiés, désarmement du Hamas…) à la création d’un Etat palestinien croupion. Comment les Palestiniens ont-ils pu être humiliés de la sorte ? Quatre raisons, au moins, peuvent être avancées pour expliquer leur isolement.

Le parti pris du parrain américain

Une Union européenne plus proactive qu’aujourd’hui s’est heurtée dans le passé à cet invariable du conflit israélo-palestinien : aucune négociation ne peut progresser ou aboutir sans l’aval des Etats-Unis, en raison des relations historiques les liant à Israël et de leur poids stratégique au Moyen-Orient. Le désengagement américain de Syrie ou d’Irak et la montée en puissance concomitante de la Russie n’ont pas modifié les clés du dossier israélo-palestinien. L’Amérique en reste le médiateur suprême et incontournable. La différence est que jamais celui-ci n’a été aussi partial que sous l’administration de Donald Trump, travaillée notamment par les chrétiens évangélistes. La reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël et la décision d’y installer sa nouvelle ambassade moins d’un an après son investiture avait donné le ton du parti pris du nouveau président. La validation, sur un autre front, de la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan l’a confirmé en mars 2019. La  » vision  » de Trump et de son gendre Jared Kushner pour une  » paix  » israélo-palestinienne l’amplifie encore.

L’indifférence des alliés arabes

Le rejet par les Etats de la Ligue arabe, le samedi 1er février, de  » « l’accord du siècle » israélo-américain étant donné qu’il ne respecte pas les droits fondamentaux et les aspirations du peuple palestinien  » a certes sauvé la face du chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Il ne parvient pas pour autant à masquer la fragilité du soutien arabe aux Palestiniens. Les ambassadeurs de trois pays, les Emirats arabes unis, Bahrein et Oman, assistaient le 28 janvier, à la présentation du plan américain à la Maison-Blanche. Et à la veille de la réunion de la Ligue arabe au Caire, le ministre d’Etat pour les Affaires étrangères des Emirats, Anouar Gargash, a plaidé pour  » une position constructive et réaliste, qui aille au-delà des déclarations de condamnation « . Malgré son ralliement à la position commune, la puissante Arabie saoudite a autorisé l’expression, dans la presse nationale, de quelques voix dissonantes, appelant notamment les Palestiniens à abandonner la stratégie du tout ou rien et à changer la manière dont ils gèrent leur cause.

La cause palestinienne n’est plus la priorité des pays arabes. Aujourd’hui, c’est le défi iranien.

En regard de l’unanimité officiellement affichée, ces réserves, inimaginables il y a quelques décennies, témoignent que la cause palestinienne n’est plus la priorité qu’elle a été pour le monde arabe. L’irruption du défi iranien, par l’exportation de la contestation chiite à d’autres pays et par le développement d’une infrastructure nucléaire à des fins potentiellement militaires, a ébranlé les rivalités historiques. Un axe formé de l’Arabie saoudite, d’autres pays du Golfe, des Etats-Unis et d’Israël s’est progressivement constitué pour contenir les ambitions perses. Pour les dirigeants de Riyad ou d’Abou Dhabi, les attentes de quelques millions de Palestiniens ne valent pas, à ce stade, une rupture avec Washington.

Comment les Palestiniens ont été abandonnés
© SOURCES :  » VISION FOR PEACE « , ADMINISTRATION AMÉRICAINE ; OCHA ; F. ENCEL, ATLAS GÉOPOLITIQUE D’ISRAËL, AUTREMENT, 2018

Les déchirures palestiniennes

Peu de responsables rêveraient de diriger l’Autorité palestinienne. Ersatz d’Etat, soumis au diktat israélien, sans continuité territoriale, déchiré entre le Fatah historique et le Hamas islamiste, traversé par des courants plus extrémistes encore… Son chef Mahmoud Abbas, 84 ans, a tiré profit des excès du plan de paix américain pour reconstituer une unité sacrée autour de lui, allant jusqu’à inclure le très belliqueux Djihad islamique. Mais là aussi, l’unanimisme est on ne peut plus éphémère et dicté par les circonstances. Le temps de la solidarité obligée révolu, se posera la question de l’adéquation de la personnalité de Mahmoud Abbas aux nouvelles nécessités de la lutte palestinienne.

La marge de manoeuvre du président palestinien est du reste limitée. Il a annoncé la rupture des relations avec les Etats-Unis et avec Israël. Elle inclut la coopération sécuritaire et devrait donc entraver la lutte commune contre le terrorisme. Mais elle annonce aussi des représailles de l’Etat hébreu, et notamment l’arrêt du paiement des taxes dues à l’Autorité palestinienne, ce qui aggravera encore la situation humanitaire, le risque d’embrasement violent, et la précarité de l’institution palestinienne et de ses représentants. Les hauts gradés militaires israéliens en sont bien conscients, eux qui ne sont pas nécessairement pressés de concrétiser, qui plus est avant les élections législatives du 2 mars prochain, l’annexion de la vallée du Jourdain et des colonies de Cisjordanie.

La désaffection du public occidental

En Europe, la défense des Palestiniens face à la domination israélienne ne soulève plus les passions que dans la sphère des associations militantes. Impuissance de la politique européenne à peser sur les décisions, lassitude face à la paralysie du processus de négociations, primauté des intérêts individualistes ou assimilation malveillante ou simplement erronée de la lutte d’un peuple aux dérives très actuelles du fondamentalisme religieux… : les explications à la désaffection du combat propalestinien sont plurielles. Or, si la pression de l’opinion fait défaut, les dirigeants, eux-mêmes divisés sur la nécessité de l’action, sont encore moins enclins à s’impliquer dans un dossier qui a toutes les caractéristiques d’un bourbier.

Les Kurdes ont été les grands oubliés des ententes entre puissances occidentales au Moyen-Orient pendant le xxe siècle. Les Palestiniens subiront-ils le même destin au xxie ?

La colonisation, une obsession

Le cartographe et conseiller diplomatique Khalil Tafakji démonte dans un livre la stratégie israélienne de l’accaparement des terres palestiniennes.

Le contexte de la proposition américaine sur le futur des relations entre Israéliens et Palestiniens donne un relief particulier aux  » chroniques géographiques de la colonisation israélienne  » que publie, sous le titre 31° Nord 35° Est (1), soit la localisation de la Palestine, le cartographe Khalil Tafakji, qui fit partie des délégations palestiniennes à plusieurs pourparlers de paix avec les Israéliens.

Le directeur du département de cartographie de la Société d’études arabes montre l’importance d’une bonne connaissance de la topographie dans une négociation où l’enjeu de la terre est primordial.  » Les Israéliens furent surpris lorsque […] les délégués palestiniens brandirent des cartes précises et actualisées, explique-t-il. A tout le moins, notre connaissance du terrain nous permettait de ne pas être tranquillement baladés lorsqu’étaient discutés les surfaces ou les échanges de territoires.  » Il n’empêche, la machine diplomatique du gouvernement israélien était autrement plus affûtée que celle des responsables palestiniens appelés à participer, sans l’infrastructure d’un Etat, aux négociations qui suivirent l’accord de paix d’Oslo de 1993. Khalil Tafakji en témoigne à propos de la restitution partielle aux Palestiniens de la ville d’Hébron, lors des pourparlers de septembre 1995 à Taba en Egypte.  » A quelques jours de la conclusion des négociations, Shimon Pérès (NDLR : alors ministre israélien des Affaires étrangères) proposa à Yasser Arafat une carte sur laquelle était dessiné un simple trait, en zigzag. Je pense aujourd’hui que la grande erreur d’Abu Amar a été de s’y intéresser. Il aurait dû rejeter cette carte d’emblée, refuser de la regarder. […] Côté israélien, l’ultime décisionnaire était Yitzhak Rabin (NDLR : le Premier ministre), et non Shimon Pérès. Les Israéliens pouvaient donc accepter une proposition dans un premier temps, tout en se réservant la possibilité de revenir à la table des négociations en déplorant que cela ait été refusé en haut lieu. Mais, de notre côté, c’est Arafat qui décidait, il n’y avait donc pas de recours ou d’excuse possible. « 

L’essentiel du propos du cartographe palestinien vise à prouver que la colonisation israélienne n’a jamais cessé, même pendant les périodes de négociations, et qu’elle fige une situation qui fait obstacle à la paix.  » Faute de pouvoir fouler le sol des colonies, les photos aériennes […] facilitaient le repérage de chaque nouvelle infrastructure (école, hôpital, supermarché, etc.) ainsi que les habitations en construction, relève Khalil Tafakji. L’argument de l’expansion naturelle – utilisé par les Israéliens pour prétendre que la colonisation était bel et bien à l’arrêt en l’attente des négociations finales, et que les nouvelles constructions ne modifiaient en rien les cartes puisqu’il s’agissait d’infrastructures ajoutées au sein de communautés existantes – apparaissait au regard des statistiques que nous avions établies totalement fallacieux.  » Le technicien apartisan en tire comme conclusion que  » depuis cinquante ans, Israël procède au blanchiment des activités illégales des colons  » et qu’à vrai dire, il  » ne veut pas de voisin palestinien

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