Selon l’analyste géopolitique Michel Fayad, la rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine en Alaska pourrait entériner le sort du Donbass. Les deux présidents, aux intérêts en partie communs, s’appliqueront à conclure des accords énergétiques et commerciaux. La défaite organisée de l’Ukraine, le partage de ses terres rares, avec, en bruit de fond, une voix européenne ignorée: voilà le menu probable d’un 15 août au goût déjà amer pour Zelensky.
La rencontre au sommet entre Donald Trump et Vladimir Poutine était attendue depuis des mois, et elle aura finalement lieu en Alaska, ce vendredi 15 août. Les deux hommes, qui ne s’étaient plus rencontrés physiquement depuis 2019, y discuteront de l’avenir du conflit qui oppose Russie et Ukraine depuis trois ans et demi.
Pour l’Europe (dont les ministres des Affaires étrangères se réunissent ce lundi), et l’Ukraine, le sommet suscite les plus vives inquiétudes. La destinée du pays dirigé par Volodymyr Zelensky pourrait en effet être scellée unilatéralement, à moins que ce dernier ne soit finalement convié à la table. L’option est encouragée par les Européens, étudiée positivement par les Américains, mais (pour le moment) niée par les Russes.
1. Rencontre Trump Poutine: le Donbass condamné?
Pour Michel Fayad, analyste géopolitique et enseignant à l’IFP, il est peu probable que la rencontre ne débouche sur aucune décision concrète. «Cette réunion est préparée à l’avance en coulisses, depuis plusieurs semaines. Aussi bien Trump que Poutine ont besoin d’un résultat qu’ils pourront ensuite présenter à leurs opinions publiques respectives.» A leurs yeux, peu importe, donc, si le deal ne convient ni à l’Europe, ni à l’Ukraine.
S’il semble «presque certain que quelque chose ressortira de cette rencontre», le grand risque, évidemment, est qu’un accord soit conclu au détriment de l’Ukraine. Et qu’il soit ensuite présenté comme un arrangement forcé à Zelensky: «Vous acceptez, ou cela signifie que vous ne voulez pas la paix.» Ce scénario serait «terrible pour l’Ukraine, mais il est très probable qu’on y arrive.»
Donald Trump, la semaine dernière, a déjà affirmé que la discussion porterait sur des échanges territoriaux. Lesquels? Il se dit que Poutine pourrait accepter de stopper la guerre en échange de la totalité du Donbass (Donetsk et Louhansk, deux oblast partiellement occupés) et de la reconnaissance définitive de la Crimée russe. «C’est le scénario qu’on entend de plus en plus. Il s’agirait tout bonnement d’un cadeau fait à Poutine (NDLR: les territoires ne sont pas entièrement conquis militairement par la Russie), mais Trump pourrait faire valoir qu’il est préférable de s’entendre maintenant que de laisser la guerre se poursuivre, pressent Michel Fayad. Il mettrait alors en avant le nombre de victimes quotidiennes, et le recul probable de l’Ukraine sans le soutien américain.»
2. Rencontre Trump Poutine: le business de l’énergie
En plus de la question purement militaire, des accords relatifs aux énergies (pétrole, gaz, minerais, métaux) seront également discutés. «Il peut s’agir de terres rares qui se trouvent sur le sol ukrainien, mais également des minerais qui se trouvent sur le territoire russe», rappelle Michel Fayad. En effet, depuis le retour de Trump au pouvoir, la Russie lui a régulièrement signifié qu’elle disposait de métaux stratégiques sur son sol et qu’elle pourrait accueillir un investissement américain, ou à tout le moins entretenir des nouvelles relations commerciales avec les Etats-Unis. De quoi convaincre Trump de céder un peu plus aux exigences territoriales russes. «Il est clair que cet aspect sera aussi central dans les discussions. Trump, depuis son retour à la Maison-Blanche, ne jure que par la diplomatie des affaires.»
«Avec le choix de Witkoff, on comprend bien qu’une discussion commerciale se prépare. Elle sortira du cadre purement diplomatique.»
Par ailleurs, le fait que Steve Witkoff, émissaire de Trump au Moyen-Orient, ait été envoyé à Moscou la semaine dernière, est un double signe précurseur, estime Michel Fayad. Marco Rubio, Secrétaire d’Etat américain –et donc chef de la diplomatie– a été écarté du processus. Il serait vu comme relativement plus proche des Ukrainiens. Witkoff, lui, est un promoteur immobilier qui entretient de bonnes relations avec la Russie. «Avec le choix de Witkoff, on comprend bien qu’une discussion commerciale se prépare. Elle sortira du cadre purement diplomatique.»
3. Une reddition forcée de l’Ukraine?
Ce qui sera décidé en Alaska vendredi «pourrait donc ressembler à la défaite organisée et forcée de l’Ukraine», craint Michel Fayad. Zelensky et l’Europe, tous deux pris de court, tentent de sauver les meubles en adoptant une position de pression commune. Mais ont-ils vraiment les moyens de peser dans la balance? Malgré les tentatives de pression, «l’Europe ne sera pas invitée à la table.»
Lors des négociations sur les tarifs douaniers, le Vieux continent, face aux Etats-Unis, n’a pas activé les leviers puissants dont il disposait. «Dont notamment le fait d’être le plus grand marché de consommation du gaz naturel américain. L’UE avait des cartes, mais a cédé. Or, les entreprises américaines ont besoin des contrats signés avec l’Europe pour leur propre fonctionnement.» Pour Michel Fayad, «Trump a déduit de ces négociations que l’Europe n’a même pas fait valoir ses propres atouts. Pour la guerre en Ukraine, il considère désormais qu’il peut imposer facilement ses vues.»
Trump, de plus, est coutumier des décisions unilatérales, déjà lors de son premier mandat «Pour la reconnaissance de l’annexion du Golan par Israël, du Sahara occidental par le Maroc… il a toujours fait fi de l’avis européen.»
4. Zelensky à la table avec Trump et Poutine? Peu probable…
Le président ukrainien sera-t-il invité in extremis en Alaska? Si Poutine a toujours rejeté une rencontre depuis l’invasion en Ukraine, cette fois, les diplomaties américaines et européennes s’activent pour y parvenir. Le vice-président américain JD Vance n’a pas exclu la possibilité «une fois un accord trouvé entre Trump et Poutine». Pas en première intention, donc.
«Le meilleur scénario pour Poutine est d’obtenir un terrain d’entente avec Trump d’abord, afin de montrer que celui qui bloque, désormais, c’est Zelensky.»
Si l’accord ne convient pas à Zelensky –une quasi-certitude– les deux protagonistes accepteront-ils une rencontre après coup? «Le meilleur scénario pour Poutine est d’obtenir un terrain d’entente avec Trump d’abord, afin de montrer que celui qui bloque, désormais, c’est Zelensky. Il serait donc peu probable que le président russe accepte que le président ukrainien soit présent au même niveau que lui. Il le remettrait en selle», analyse Michel Fayad. Dès lors, l’Ukraine aura-t-elle la possibilité de refuser l’accord proposé? En sachant, par exemple, que les Etats-Unis lui fournissent encore des moyens technologiques cruciaux, tels que le satellite Starlink d’Elon Musk, qui permet la reconnaissance des troupes en mouvement, ce que ne peut pas faire le satellite européen.
5. Soutien économique à l’Ukraine: jusqu’où l’Europe peut-elle aller?
Que se passerait-il si l’Europe n’accepte pas le futur accord russo-américain? Tout dépendra alors si elle souhaite (et est capable de) soutenir l’Ukraine économiquement jusqu’au bout. Pas uniquement d’un point de vue purement militaire, mais également pour assurer le fonctionnement économique global du pays, déjà dans une situation fébrile avant l’invasion russe. Le FMI, donateur vital de l’Ukraine et dont le siège se situe à Washington, a déjà alerté à maintes reprises des risques de faillite. «Si c’est le cas, l’Ukraine aura besoin d’une aide financière sans précédent. Les Etats-Unis pourraient ainsi conditionner leur aide financière à l’acceptation du futur accord», estime Michel Fayad.
6. Poutine va-t-il manipuler Trump?
Poutine, ancien agent du KGB, connu pour être redoutable en négociations, envisage-t-il de manipuler Trump? Pas nécessairement, selon l’analyste géopolitique, puisque les deux présidents ont des intérêts communs.
«Ils parlent le même langage et veulent faire du business. Malheureusement, au vu des nombreux points d’entente économique possibles entre la Russie et les Etats-Unis, l’Europe, si elle est divisée et qu’elle ne prend pas pleinement conscience des leviers dont elle dispose, sera le dindon de la farce.».
«Poutine parle histoire, alors il faut lui parler histoire. Trump parle business, alors il faut lui parler business. L’Europe ne s’est pas adaptée à qui elle fait face.»
7. L’exemple du Kosovo: dans la cour des grands, seul celui qui est sur le terrain compte
Lorsque Poutine a pris la tête de la Russie (1999), la guerre au Kosovo faisait rage. A cette époque, la Russie n’avait pas les mêmes moyens financiers et militaires pour intervenir en faveur des Serbes (une alliance historique existe entre les deux peuples slaves orthodoxes russes et serbes). Dès le premier jour du cessez-le-feu au Kosovo, Poutine a envoyé des parachutistes russes pour prendre le contrôle de l’aéroport de la capitale Pristina. «C’était un geste très symbolique mais important, pour montrer qu’il était sur le terrain, alors qu’en réalité, il n’en avait pas vraiment les moyens. Il a joué cette carte, car il sait que dans la cour des grands, seul celui qui est sur le terrain compte. Celui qui n’y est pas ne compte pas», résume Michel Fayad, selon qui l’Europe aurait pu avancer l’argument précis du Kosovo à Poutine, en lui rappelant que lorsqu’il est intervenu, il a tout de même été invité à la table des négociations. «Poutine parle histoire, alors il faut lui parler histoire. Trump parle business, alors il faut lui parler business. L’Europe ne s’est pas adaptée à qui elle fait face.»
A cet égard, la non-présence de l’Europe en Ukraine (pas pour combattre, mais sous une forme de garantie de sécurité), la pénalise directement. «Une présence européenne aurait changé la donne. Mais l’option n’a jamais été concrétisée, de peur de la réaction russe et d’une possible confrontation directe.» Pour les Etats-Unis, donc, comme l’Europe n’est pas sur le terrain, elle ne compte pas.