Le Premier ministre sud-coréen Han Duck-soo a promis de demander des comptes à la police après la bousculade meurtrière de Halloween à Séoul, des appels d’urgence témoignant de la lenteur de la réponse des autorités. La tragédie aurait pu être évitée, estiment plusieurs analystes et hauts responsables.
Le mouvement de foule, survenu samedi soir dans les ruelles étroites du quartier cosmopolite d’Itaewon, a causé la mort de 156 personnes, principalement des jeunes déguisés venus faire la fête après la pandémie.
Le premier appel d’urgence a été passé à 18H34 locales (9H34 GMT) par un individu nerveux avertissant du besoin d’un contrôle policier de la foule, avant que survienne la bousculade mortelle.
Ce qui suit est une retranscription condensée, obtenue par l’AFP, d’une dizaine de ces appels aux services de police, de plus en plus désespérés à mesure que la soirée s’écoulait.
-18H34 –
« Cela devient vraiment tendu avec les gens qui montent et descendent cette ruelle. Les gens ne peuvent pas descendre ici mais des gens continuent à monter. J’ai l’impression que les gens vont être écrasés à mort. Je m’en suis à peine sorti. Je pense que vous devez contrôler la situation. »
– 20H09 –
« Il y a beaucoup trop de gens ici en train d’être poussés, piétinés, blessés. C’est chaotique. Vous devez contrôler ça. »
– 20H33 –
« Les gens sont piétinés dans les rues ici. Ca devient vraiment dangereux (…) Il n’y a pas de contrôle et la route à trois voies est entièrement bloquée. J’ai une vidéo enregistrée. Est-ce que je peux vous l’envoyer? »
– 20H53 –
« Les gens sont presque écrasés à mort (…) Il y a beaucoup trop de gens (…) Ce n’est pas un canular téléphonique. »
– 21H00 –
« La situation ici est sur le point de devenir un accident majeur avec beaucoup trop de gens. Vous devez venir pour la mettre sous contrôle. »
– 21H02 –
« Les gens sont poussés violemment ici et tout le monde est en panique (…) S’il vous plaît, faites quelque chose pour faire de la place ici. Je pense que des gens vont mourir ici. »
– 21H07 –
« Je risque de me faire écraser à mort avec toutes ces personnes ici (…) Je vous demande s’il vous plaît de mettre la circulation à sens unique ici. »
– 21H10 –
« La situation ici est vraiment sérieuse. Les gens dans la ruelle sont compressés si fort (…) Toute la ruelle est (en danger). »
« Je comprends. Nous allons déployer des policiers là-bas », répond un policier à la personne au bout du fil.
– 21H51 –
« Il y a beaucoup trop de gens ici. Pouvez-vous venir aussi vite que possible pour contrôler la foule ? »
– 22H11 –
« On dirait que des gens sont écrasés à mort là-bas (…) (C’est le) chaos total. »
Une tragédie évitable, selon les experts
Les autorités sud-coréennes l’ont admis: la police ne disposait pas des outils nécessaires pour gérer la foule et a dû compter sur l’aide de passants pour extraire les corps du goulot d’étranglement qui s’est formé dans une étroite ruelle prise d’assaut par les fêtards.
« Dans la plupart des cas de bousculade, il s’avère que la cause fondamentale est un manque de planification », souligne Eric Kant, dirigeant d’une société de gestion des foules dont le siège se trouve aux Pays-Bas.
Sans organisateur chargé de chapeauter cette soirée de Halloween, la première à Itaewon depuis la levée des restrictions Covid, le gouvernement n’a pas demandé aux bars et restaurants du quartier de lui soumettre un plan de gestion de la sécurité.
Et ce malgré des estimations préalables, qui tablaient sur une foule de 100.000 personnes. Seuls 137 policiers ont été déployés pour ces festivités. Alors que 6.500 d’entre eux avaient été mobilisés pour contrôler une manifestation politique à laquelle environ 25.000 personnes participaient au même moment dans un autre quartier.
Face à l’indignation de la société civile coréenne quant au manque de préparation des forces de l’ordre, la tournée des mea culpa a commencé.
Le chef de la police, le ministre de l’Intérieur et le maire de Séoul ont présenté leurs excuses mardi, assumant ne pas avoir su prévenir la catastrophe.
Le Premier ministre a dit mercredi que la police se devait d’expliquer la lenteur avec laquelle elle avait répondu aux multiples appels d’urgence, bien avant le début de la bousculade.
« Recette du désastre » –
Selon Milad Haghani, expert en sécurité des foules de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud, cette soirée de Halloween comportait tous les éléments d’une catastrophe annoncée, notamment le dédale de ruelles étroites, sans « voie d’évacuation potentielle » en cas d’amoncellement des foules.
Mais le problème était surtout lié au manque d’organisation autour de cet événement: « l’entrée sans restrictions » de personnes dans un espace restreint, « l’absence de vente de billets » qui n’a pas permis d’appréhender le niveau exact de la demande et enfin, aucun contrôle de la densité de la foule.
« C’est une recette du désastre lorsque l’on s’attend à un rassemblement de masse », relève M. Haghani, dressant un parallèle entre cette soirée et la Love Parade de 2010 en Allemagne où 21 personnes étaient mortes asphyxiées et ont des centaines d’autres avaient été blessées.
Selon John Drury, spécialiste de la psychologie des foules à l’université du Sussex, ces incidents sont souvent dus à une « mauvaise gestion de la part des organisateurs de l’événement ou du site » plutôt qu’à une « panique » de la foule.
Pour éviter que les gens s’écrasent les uns contre les autres, ce genre d’événement de rue nécessite « des mois de planification » par des experts, expose M. Kant depuis les Pays-Bas.
Parmi les mesures à prendre: estimer, en amont, la capacité d’accueil de divers lieux, puis compter et surveiller la taille de la foule et les éventuels goulots d’étranglement – soit sur le terrain, soit par le biais de la vidéosurveillance.
« Si pendant l’événement, la capacité d’accueil maximale est atteinte, l’accès à cette zone doit être immédiatement fermé », ajoute le patron de la société néerlandaise.
Mais il a fallu attendre deux heures du matin avant que l’accès à Itaewon soit de fait fermé, soit six heures après les premiers incidents.
« Je suis convaincu à 100% que cette tragédie était évitable », insiste-t-il. « Les mouvements de foule sont toujours prévisibles, donc évitables ».