Des manifestants rassemblés à Paris exigent la libération de la Coalition «Freedom Flotilla», à l’origine de la traversée du voilier humanitaire Madleen, intercepté alors qu’il était en route vers Gaza. © Hans Lucas via AFP

Après le bateau Madleen, des «marches» et des «caravanes» en route vers Gaza: pourquoi la portée de ces actions est limitée

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Après l’interception du voilier humanitaire Madleen, d’autres groupements citoyens tentent de rallier la bande de Gaza. La caravane «Soumoud» a quitté lundi la Tunisie, alors qu’une «marche mondiale» partira d’Egypte, jeudi. Des initiatives aux portées diplomatiques limitées.

L’interception était attendue. Elle s’est confirmée dans la nuit de dimanche à lundi. Le voilier humanitaire Madleen, qui tentait de rallier la bande de Gaza pour acheminer de l’aide à la population locale, a été arraisonné par des commandos israéliens après huit jours de traversée. Les douze militants propalestiniens à bord –parmi lesquels l’eurodéputée française Rima Hassan et l’activiste suédoise Greta Thunberg– ont été arrêtés. Certains ont accepté d’être expulsés, alors que d’autres sont toujours détenus par les autorités israéliennes.

Une arrestation jugée «illégale» par de nombreux observateurs des droits humains. Pour Frédéric Dopagne, professeur de droit public international à l’UCLouvain, «tout dépend de l’endroit exact où le bateau a été dérouté». Selon la Coalition Freedom Flotilla, à l’origine de l’action, le navire aurait été intercepté aux coordonnées géographiques suivantes: 31.95236° N, 32.38880° E. Soit en eaux internationales, qui ne sont soumises à aucune juridiction nationale. «En haute mer, la liberté de navigation prévaut, à quelques exceptions près, assure Frédéric Dopagne. Un navire de guerre d’un Etat peut être intercepté par un navire d’un autre Etat en cas de trafic de stupéfiants ou de trafic d’êtres humains, par exemple. Ce qui ne semble pas être le cas ici. L’interception du Madleen apparaît donc contraire au droit international

«Aucune souveraineté»

De son côté, Israël assure que l’arraisonnement s’est produit dans ses eaux «territoriales», ce qui légitimerait l’action des commandos. «En principe, l’Etat côtier peut faire respecter ses lois et ses règlements de police dans ses eaux, comme il le ferait sur son territoire national, reconnaît Frédéric Dopagne. Mais de quelle mer nationale les autorités israéliennes parlent-elles?». L’arrestation semble en effet avoir eu lieu au large de la bande de Gaza. «Or, ce territoire n’appartient pas à Israël selon le droit international, insiste le professeur. Israël n’y exerce donc aucune souveraineté

A noter que le droit international des conflits armés autorise les Etats belligérants à instaurer des «zones interdites», appelées «blocus», y compris en mer. Un blocus terrestre et maritime instauré par Israël depuis 2007, notamment comme «rempart» contre les livraisons d’armes au Hamas, selon le gouvernement Netanyahu. Si ce blocus est considéré comme légal, l’interception des navires tiers peut être justifiée dans certains cas. «Mais là encore, le blocus instauré par Israël ne respecte pas les obligations internationales, insiste Frédéric Dopagne. Il déroge notamment au principe d’autodétermination du peuple palestinien. Sans parler du non-respect du droit humanitaire, qui garantit l’acheminement d’aide humanitaire pour protéger les civils.»

Bref, l’action d’Israël semble se heurter à plusieurs limites légales. Une violation qui émeut la communauté humanitaire internationale, et qui encourage les militants propalestiniens à redoubler d’efforts pour faire entendre leur voix. Les actions en soutien à la population gazaouie se multiplient d’ailleurs ces derniers jours.

Un tournant dans le conflit

Lundi matin, un convoi de quatorze autocars et d’une centaine de véhicules a quitté le centre-ville de Tunis en direction de Gaza. Cette caravane, baptisée «Soumoud» (résistance, en arabe), transporte quelque «1.400» personnes, parmi lesquelles des médecins. Ces militants, qui exigent la fin du blocus israélien sur l’enclave palestinienne, espèrent atteindre le point de passage de Rafah, à la frontière égyptienne, d’ici la fin de la semaine.

Une destination qu’espèrent également rallier les 2.500 participants à la «Marche vers Gaza», qui doit s’élancer depuis Le Caire, jeudi. Une manière, selon les ressortissants de 54 pays différents, d’appeler la communauté internationale à garantir l’entrée immédiate de l’aide humanitaire à Gaza.

Ces initiatives concomitantes traduisent «l’émotion collective» au sein de l’opinion publique (occidentale et arabe) quant à la situation à Gaza, observe Raoul Delcorde, professeur invité en relations internationales à l’UCLouvain. Le soutien à la population palestinienne s’est encore accru ces dernières semaines, marquées par un «tournant dans le conflit». «Le gouvernement Netanyahou a franchi un cap en bloquant l’accès de l’aide humanitaire et en voulant affamer les Gazaouis, estime l’ex-diplomate. On est entré dans une autre dimension de la guerre, avec un véritable crime contre l’humanité.» Si l’aide a sporadiquement repris depuis, l’attitude des autorités israéliennes, qui «durcissent le ton» plutôt que de jouer l’apaisement, ajoute encore de l’huile sur le feu, déplore Frédéric Dopagne.

Bref, sans signal rassurant, certains militants, las de l’innefficacité des mobilisations à l’échelle nationale, passent à la vitesse supérieure en tentant de pénétrer directement sur les lieux du conflit. «Ces initiatives sont assez inhabituelles, ce qui illustre bien le caractère exceptionnel et gravissime des actions israéliennes, analyse le professeur. Cela fait plus d’un an et demi que le conflit dure. On sent que le ras-le-bol monte au sein de l’opinion publique, qui tente par tous les moyens d’accentuer la pression sur Israël et sur les gouvernements occidentaux.»

Un «momentum»

D’autant que plusieurs rendez-vous diplomatiques cruciaux sont à l’agenda des jours à venir. Le 18 juin, une conférence sur la reconnaissance de la Palestine aura lieu au siège des Nations unies, à New York. De son côté, l’Union européenne poursuit l’examen (entamé fin mai) de son accord d’association avec Israël, qui encadre notamment les échanges commerciaux entre les deux parties. «On se trouve donc un peu à un momentum, et chacun essaie d’agir à son niveau pour faire changer les choses», commente Frédéric Dopagne.

Mais ces initiatives citoyennes ont-elles réellement un pouvoir d’influence? «Au-delà l’une potentielle attention médiatique, elles n’ont pas d’impact réel sur les plans diplomatique et politique, tranche Raoul Delcorde. Elles ne sont pas non plus de nature à émouvoir les autorités israéliennes.»

«Ces actions ont une portée symbolique forte, mais de là à croire qu’elles vont changer la réalité sur le terrain, il y a un pas», confirme Frédéric Dopagne. Contrairement au voilier Madleen, qui contenait de nombreux vivres (farine, riz…) et fournitures (couches pour bébé, trousses de dessalement pour l’eau) à son bord, la caravane Soumoud n’apporte d’ailleurs pas d’aide humanitaire à Gaza. Les marcheurs en provenance du Caire feront, eux, uniquement don de tentes. Rien ne garantit d’ailleurs le succès des deux opérations. Le convoi tunisien, par exemple, ne dispose pas encore d’une autorisation pour passer en Egypte. La route vers Gaza risque d’être encore longue.

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