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La guerre tarifaire de Trump, toujours plus imprévisible: «D’un point de vue du réalisme économique, ça ne paraît pas très logique»

Les nouvelles annonces de Donald Trump concernant l’augmentation des taxes douanières sur les produits européens importés aux Etats-Unis compliquent les projections économiques à moyen terme. D’autant que le républicain a peut-être en tête les élections de mi-mandat…

Ces derniers temps, Donald Trump a pris l’habitude d’utiliser sa plateforme Truth Social pour diffuser les lettres qu’il envoie aux dirigeants concernés par ses droits de douane, parmi lesquels des partenaires commerciaux comme le Canada, le Japon ou la Corée du Sud. Ce samedi 12 juillet, le président américain a donc tout naturellement profité de ses nouvelles publications de missives pour annoncer «officiellement» son intention d’imposer à partir du 1er août des droits de douane à hauteur de 30% pour les produits issus de l’Union européenne et du Mexique, importés dans son pays. La décision est tombée alors que des discussions entre Américains et Européens étaient menées sur base de droits de douane limités à 10%. Le journal Le Monde rapporte même que la Commission européenne pensait être parvenue à geler des exceptions pour les secteurs des cosmétiques, de l’aéronautique et des spiritueux tout en s’assurant la promesse de pouvoir aménager les taxes sur les automobiles et les métaux.

Donald Trump justifie ce choix par sa volonté de combler le déficit commercial américain avec les 27 pays de l’Union européenne. Selon des chiffres du bureau du représentant américain au commerce, les Etats-Unis accusaient un déficit commercial de 236 milliards de dollars avec l’UE en 2024. Qui, pour le républicain, menace sa nation… «En réalité, si l’on calcule la balance commerciale globale, soit en prenant en compte l’échange de biens, mais aussi les nombreux services que les Américains vendent aux Européens, l’UE reconnaît un excédent commercial de 50 milliards d’euros, détaille Michel Liégeois, professeur de relations internationales à l’UCLouvain. C’est plus équilibré que ce que veut bien dire Trump.» Mais la vérité factuelle ne suffit pas toujours. Voici donc un nouveau rebondissement dans la grande croisade des droits de douane que le président américain mène depuis son investiture. On se souvient qu’il avait consacré «Jour de la libération» la date du 2 avril 2025, quand il avait fixé des droits de douane «réciproques» pour une soixantaine de pays et notamment 20% pour les produits européens. Face au raz-de-marée que cette annonce avait suscité dans les marchés financiers, il avait fait machine arrière, baissé le taux à 10% pour laisser la place à des négociations… avant de rappliquer fin mai armé d’une menace relevée à 50% avec effet annoncé au 1er juin, puis repoussé au 9 juillet. A l’époque, l’UE avait répliqué en brandissant la menace d’imposer ses propres droits de douane sur les produits américains à hauteur de 100 milliards d’euros en cas d’échec dans les négociations.

Le paquebot européen à flot

Face à ce nouveau revirement de situation, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a d’abord réagi sur le réseau social X en affirmant que ces mesures «perturberaient les chaînes d’approvisionnement transatlantiques essentielles, au détriment des entreprises, des consommateurs et des patients des deux côtés de l’Atlantique.» Dimanche, alors que Donald Trump s’incrustait sur le podium réservé aux footballeurs de Chelsea, tout juste vainqueurs de la Coupe du monde des clubs, l’Allemande a ensuite annoncé que l’UE n’allait pas directement riposter aux droits de douane américains. Toujours décidés à mener les négociations jusqu’au bout, les 27 suspendent donc jusqu’au 1er août l’application de contre-mesures tout en se disant prêts à se défendre si cela ne suffit pas, un deuxième paquet de représailles ayant d’ailleurs récemment été approuvé pour un montant frôlant les 100 milliards d’euros. «Nous devons nous préparer à toutes les éventualités […] pour rétablir l’équilibre de notre relation transatlantique», a déclaré le commissaire européen chargé du Commerce Maros Sefcovic, celui-là même qui annonçait quelques jours plus tôt qu’un «certain rééquilibrage» semblait toutefois inévitable. Il faut dire que Donald Trump a déjà prévenu qu’en cas de mesures de rétorsion, Washington ajouterait aux 30% l’équivalent des droits de douane imposés par les Européens. «Il faut saluer le fait que le paquebot européen se maintienne à flot malgré la situation très compliquée dictée par un acteur imprévisible, soutient Michel Liégeois. Jusqu’à présent, aucune faille majeure ne s’est fait ressentir entre les pays européens alors que les impacts seraient différents d’un membre à l’autre. C’est une bonne chose pour pouvoir exister dans ce rapport de force.»

Selon le professeur de l’UCLouvain, rares sont ceux qui croient réellement à la mise en œuvre du tariff de 30%. «Toutes les taxes les plus spectaculairement annoncées ont toujours été postposées et fortement réduites à mesure que la négociation avançait, rappelle l’analyste. Il s’agit plutôt de positions de départ visant à effrayer le partenaire et à créer un effet d’ancrage: il espère donner l’impression de faire une grosse concession en passant de 30% à 10%, alors que ces 10% constituent déjà une énorme augmentation par rapport à la situation actuelle (NDLR: le taux moyen des droits de douane avoisine les 3%).» Michel Liégeois s’étonne par ailleurs que l’administration Trump ne se montre pas plus préoccupée par les menaces de plus en plus précises de récession. «L’effet cumulé de toute une série d’événements comme la course à l’armement, les tarifs douaniers ou encore l’instabilité au Proche-Orient sont autant de signes du ralentissement de l’économie mondiale, qui aura donc forcément un impact sur les Etats-Unis.» Si un tariff de 30% est appliqué sur l’ensemble des biens européens exportés vers les Etats-Unis et que l’UE décide en retour d’appliquer sa taxation, le PIB de ces deux puissances en sera inévitablement impacté. «D’un point de vue du réalisme économique, ça ne paraît pas très logique», engage le professeur, qui privilégie donc la piste du calcul de politique intérieure, à quelques mois des élections de mi-mandat. «Il ne faut pas oublier que Trump s’est profilé comme porteur de paix en Ukraine et au Moyen-Orient sans beaucoup de succès jusqu’ici. La taxe douanière est une thématique porteuse pour son électorat: c’est une posture plus facile à assumer, puisqu’il détient les clés pour décider à quel rythme et comment le deal éventuel pourrait être fait. Il pourra aussi facilement présenter le résultat obtenu comme un succès.»

Tester l’unité, se réveiller

Fut un temps pas si lointain où l’administration Trump affirmait vouloir sceller 90 accords douaniers en 90 jours. Mi-juillet, seuls ceux liant Big Sam au Royaume-Uni, au Vietnam et à la Chine avaient été officialisés et encore, avec de nombreuses inconnues pour les deux premiers et après un renversement du rapport de force du troisième. «Rien n’est certain. Même si l’on atteint un accord d’ici août, qui peut dire que ça s’arrêtera là?, questionne Bertrand Candelon, professeur en finance internationale à l’UCLouvain, pour qui le caractère imprévisible de la situation empêche toute projection. On est entré dans une guerre commerciale qui va durer plusieurs années…» Le risque que des entreprises européennes délocalisent leurs usines aux Etats-Unis pour être exemptées de ces tariffs n’inquiète toutefois pas Michel Liégeois pour le moment. «Exporter des usines de production là où les biens sont consommés n’a du sens qu’en cas de tendance de fond, juge-t-il. Le problème de la stratégie de Trump, c’est qu’elle est extrêmement inconfortable pour les investisseurs sur le long terme. Eux attendent d’avoir des certitudes. Là, personne ne peut assurer qu’il ne va pas changer d’avis quand il verra les chiffres de projection théorique de récession … ou que son successeur ne va pas tout modifier dans trois ans.»

En attendant, pour peser dans la balance sans devoir tout miser sur l’imposition des taxes douanières de contre-offensive, Bertrand Candelon imagine l’UE utiliser d’autres outils comme la taxation des grandes entreprises numériques comme les Gafam ou l’interdiction stricte des grandes sociétés américaines sur son territoire. «Avant cela, il faudra d’abord que les partenaires européens s’entendent. Certains pays sont plutôt en faveur d’un accord rapide comme l’Allemagne et l’Italie –la Belgique aurait également tout intérêt à se positionner en faveur de taxes douanières à 10%–, mais d’autres tels que la France sont plus en déficit avec les Etats-Unis, notamment dans le secteur viticole. La situation actuelle risque de tester l’unité européenne, sachant que les décisions en termes commerciaux doivent être prises à l’unanimité.» Quoi qu’il en soit, à court terme, l’imposition de taxes douanières ne devrait être profitable ni aux Américains ni aux Européens. «La libéralisation des échanges a permis le maintien du taux de croissance entre 0,5% et 1% depuis les années 1970. La circonscrire produira un impact négatif», affirme Bertrand Candelon, pour qui le Vieux Continent doit se réveiller pour ne pas se retrouver marginalisé. «Le Rapport Draghi sur l’avenir de la compétitivité européenne n’a eu quasi aucune conséquence jusqu’ici tandis que les TEC (NDLR: pour Tarif Extérieur Commun, cet ensemble de droits de douane appliqués par les membres d’une union douanière aux biens importés de pays tiers) sont insuffisamment développés en UE… Il y a du boulot. »

«La situation actuelle risque de tester l’unité européenne, sachant que les décisions en termes commerciaux doivent être prises à l’unanimité.»

 

Le Mexique et le Brésil punis

Mi-juillet, le Mexique a vu sa surtaxe passer de 25 à 30%, une sanction liée à la lutte contre l’immigration illégale et le narcotrafic, que Washington juge insuffisante à Mexico. C’est la treizième fois depuis janvier que le président Trump fait des annonces concernant des modifications de taxes douanières à l’égard de son voisin. La présidente Claudia Sheinbaum s’est donc permis un peu d’ironie en affirmant qu’elle a «déjà un peu d’expérience avec ces choses. » La cheffe d’Etat rassure toutefois en se disant confiante quant à l’aboutissement d’un accord garantissant de «meilleures conditions» d’ici le 1er août. Le Brésil, lui, a vu grimper sa taxe à 50% simplement parce que Donald Trump estime injuste le procès de l’ancien président Jair Bolsonaro, actuellement jugé pour une tentative de coup d’Etat.

 

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