Le départ d’Elon Musk, son bilan mitigé en matière d’efficacité gouvernementale et ses critiques de la loi budgétaire, en plus de la contestation de la stratégie des droits de douane…: les tensions se sont accrues subitement au sein de la coalition de Trump.
Donald Trump a assuré sur son réseau Truth Social qu’il avait mis fin à la mission gouvernementale d’Elon Musk, selon lui «devenu fou» à cause d’une décision du président américain défavorable aux véhicules électriques. «Le plus simple pour économiser des milliards et des milliards de dollars dans notre budget serait d’annuler les subventions et contrats gouvernementaux» du patron de SpaceX et Tesla, a-t-il menacé dans un autre message sur Truth.
En réplique, le milliardaire a lancé des accusations, sans preuve, sur l’éventuelle présence du nom de Donald Trump dans le dossier Jeffrey Epstein, un scandale de crimes d’exploitation sexuels. Face à ces dérapages et ses invectives entre les deux hommes, l’action Tesla a chuté de 14% jeudi.
Le départ de l’homme le plus riche du monde, Elon Musk, de l’équipe de l’homme le plus puissant du monde, Donald Trump, était écrit depuis longtemps. Et le débat va se poursuivre pour savoir s’il signe un aveu d’échec pour la mission qui lui avait été confiée, la tête du Département de l’efficacité gouvernementale (Doge) et donc, des coupes drastiques dans les effectifs de l’administration, et, en parallèle, pour la santé de ses entreprises.
Il n’empêche, la fin de son engagement politique «de terrain» marquée par une cérémonie apaisée à la Maison-Blanche, à peine perturbée par une question sur les révélations de sa consommation intensive de drogue pendant la campagne électorale présidentielle, marque une forme de tournant dans le second mandat de Donald Trump, d’autant qu’il s’inscrit dans un climat de confusion entourant la politique des droits de douane du président, objet de tensions entre lui et les patrons de la tech.
Objectif loin d’être atteint
Aucune surprise donc dans cet épisode, le retrait du patron de X, Tesla et de SpaceX est intervenu avant l’échéance des 130 jours après sa nomination, un cap qui, s’il avait été franchi, l’aurait forcé à respecter des obligations de transparence et de contrôle devant le Congrès auxquelles il n’entendait pas se soumettre. A priori, «en regard des ambitions qu’il avait affichées, lui qui voulait réaliser 2.000 milliards d’économies, le résultat de son passage à la tête du Doge est loin du compte, estime l’historienne Maya Kandel, chercheuse associée à l’université Sorbonne Nouvelle Paris 3 (lire par ailleurs) et autrice de l’essai Une première histoire du trumpisme (Gallimard, 192 p.). Mais on ne peut pas encore tirer de bilan définitif parce que la mission continue à développer ses effets.»
«Si on devait faire un bilan maintenant de l’action du Doge, il serait désastreux.»
Certains évaluent à 150 ou 160 milliards de dollars les économies réalisées par le Doge après les réductions de personnel opérées dans quelques pans choisis de l’administration. D’autres estiment que seuls 5% des objectifs ont été atteints. «En outre, il y a eu quelques couacs, complète Maya Kandel. Des fonctionnaires des agences qui s’occupent du nucléaire ont été licenciés, puis réembauchés. Des employés ont saisi l’opportunité de quitter leur job tout en gardant leur salaire et leurs indemnités pendant six mois et, parce qu’ils occupaient des fonctions cruciales, ils ont dû être remplacés, ce qui fait que l’administration paie désormais deux salaires sur leur poste… Bref, si on devait faire un bilan maintenant, il serait désastreux. Mais l’effet à long terme des restrictions n’est pas encore mesurable. Et il y en aura un.»
Il devrait intégrer –mais il est difficilement comptable financièrement– le discrédit opéré sur l’image des Etats-Unis par la suppression de la quasi-entièreté des programmes de l’USAID, l’agence de coopération internationale.
Image dégradée
«Retour au travail 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, et à dormir dans les salles de conférence, les serveurs, et les usines. Je dois me concentrer sur X/xAI et Tesla (ainsi que sur le lancement de Starship la semaine prochaine). Car nous déployons des technologies critiques», a commenté Elon Musk, le 24 mai, sur son réseau. L’urgence de rétablir la bonne gestion de ses entreprises justifierait donc de refermer la parenthèse de la séquence politique pour le milliardaire.
Il est vrai que la marque de voitures électriques de l’empire Musk a lourdement pâti de l’image «disruptive» que l’engagement à l’extrême droite de l’échiquier politique de l’homme d’affaires a véhiculé. Un changement brutal. De défenseur d’une mobilité écologique et douce, le propriétaire d’une Tesla s’est mué à l’insu de son plein gré en porte-drapeau d’une idéologie libertarienne et raciste… L’essor de la société automobile en a été pénalisé. Dans un marché déjà baissier depuis 2024, les ventes de Tesla ont diminué en Europe de 13% au premier trimestre 2025. L’impact est sérieux. D’autant que la marque ne va pas se débarrasser facilement de l’empreinte de son patron, sauf abstinence médiatique et coup stratégique qui substituerait une image nouvelle à celle dégagée par presque un an de compagnonnage avec Donald Trump.
Mais les faits resteront tenaces. Elon Musk a massivement financé la campagne du président américain, à hauteur de 300 millions de dollars, et il aura été l’exécutant d’une des ses politiques les plus emblématiques, à défaut d’être couronnée de succès, le dégraissage de l’appareil d’Etat, tant honni par une partie des électeurs de Donald Trump avant qu’ils ne soient, pour certains, victimes eux-mêmes de cette stratégie. Or, Elon Musk pourrait, lui, finalement en réduire les conséquences négatives sur son business. Car Tesla n’est qu’une partie de celui-ci.

SpaceX renforcée
«Ce qu’il a perdu avec Tesla, il va le regagner avec SpaceX», commente Olivier Lascar, auteur d’Enquête sur Elon Musk. L’homme qui défie la science (Alisio, 2022) interrogé dans l’émission C dans l’air sur France 5. «Les entreprises d’Elon Musk, qui avaient déjà un certain nombre de contrats fédéraux, en ont obtenu encore davantage», prolonge Maya Kandel. La Federal Aviation Administration (FAA), l’agence réglementant l’aviation aux Etats-Unis, qui avait coutume d’accorder cinq autorisations de décollage par an, en a délivré 25 cette année. Tout bénéfice pour SpaceX.
Petit bémol potentiel pour les ambitions spatiales d’Elon Musk, Donald Trump a décidé, le 31 mai, de retirer sa proposition de nommer Jared Isaacman, milliardaire et astronaute, à la tête de la Nasa, l’agence responsable d’une grande part du programme spatial civil des Etats-Unis. Or, l’homme était un proche de Musk, et, selon The Wall Street Journal, il avait été choisi pour accroître l’influence du patron de SpaceX sur la Nasa… Faut-il voir dans la décision du président une parade aux critiques de la presse ou un signe de défiance à l’égard de son ancien conseiller à l’efficacité gouvernementale? Il est trop tôt pour se prononcer.
«Ces procès sont l’illustration du fossé entre les conservateurs attachés au libre-échange et les alliés idéologiques du président.»
Sujets de tension
Mais les tensions affleurent entre les deux hommes. Dans une interview à CBS, Elon Musk a critiqué le projet de loi budgétaire de Donald Trump déposé pour examen au Congrès. Celui-ci a notamment pour but de prolonger les crédits d’impôt aux entreprises. Mais il a aussi un coût qui, selon une agence parlementaire, pourrait aboutir à une augmentation de 3.800 milliards de dollars du déficit budgétaire des Etats-Unis sur dix ans. «J’ai été déçu de voir ce projet de loi de dépenses massives qui augmente le déficit budgétaire», a-t-il commenté. Et en réponse à la formule du président qui évoquait «une loi grande et belle», Elon Musk s’est demandé: «Je pense qu’une loi peut être grande ou qu’elle peut être belle, mais je ne sais pas si elle peut être les deux…». Le milliardaire a encore enfoncé le clou, le 3 juin, dans un message sur X: «Ce projet de loi budgétaire énorme, scandaleux et clientéliste est une abomination répugnante. Honte à ceux qui l’ont voté», a-t-il commenté.
Ce n’est pas le seul sujet de tensions entre les patrons de la tech et l’administration Trump. Les sociétés de la nouvelle technologie ont un besoin vital de main-d’œuvre d’un niveau technique élevé qu’elles trouvent notamment à l’étranger. La politique de renvoi et de restriction d’entrée de migrants ne facilite pas leur recrutement. Surtout, leur dépendance au marché extérieur, en particulier asiatique, pour la fabrication de leurs produits les positionne en chantres du libre-échange. Or, la stratégie d’augmentation des tarifs douaniers développée par Donald Trump dès l’entame de son deuxième mandat va à l’encontre de ce principe.
Elle s’est révélée, il est vrai, erratique jusqu’à présent. Annonces matamoresques le jour du «Liberation Day» le 2 avril, suspension des hausses, négociations tous azimuts avec des résultats limités, reformulation de menaces d’augmentation des tarifs, et désormais hypothèques en raison de décisions de justice: le flou domine, peu propice à la croissance économique. Même si Donald Trump a de grandes chances d’obtenir gain de cause au bout de la procédure juridique après la décision, le 28 mai, du Tribunal international de commerce de New York de suspendre les droits de douane réciproques annoncés le 2 avril et ceux de 25% imposés au Canada, au Mexique et à la Chine, la démarche pourrait peser sur le prolongement de la stratégie.
Les contestations en justice ont certes émané de douze Etats dirigés par les démocrates, mais aussi de fondations classées politiquement à droite, dont la New Civil Liberties Alliance (NCLA), le Liberty Justice Center et la Pacific Legal Foundation. Pour la spécialiste de questions de justice aux Etats-Unis Anne Deysine, qui signe une contribution sur le blog Le Club des juristes, «ces procès sont l’illustration du fossé qui se creuse entre les conservateurs traditionnels attachés au libre-échange et les alliés idéologiques du président». La coalition forgée autour de Donald Trump connaît donc des moments difficiles.