Le président américain se vante d’avoir réglé six guerres en six mois. Son bilan diplomatique n’est sans doute pas aussi brillant mais il n’est pas non plus dénué de succès.
Qu’est-ce qui unit le président de l’Azerbaïdjan Ilham Aliyev et les Premiers ministres cambodgien Hun Manet, pakistanais Shehbaz Sharif, israélien Benjamin Netanyahou et arménien Nikol Pashinyan? Ils aspirent tous à l’élévation de Donald Trump au titre de lauréat du prix Nobel de la paix.
A côté des difficultés rencontrées par le président des Etats-Unis d’honorer ses promesses de mettre fin à la guerre en Ukraine en 24 heures et de transformer la bande de Gaza en riviera balnéaire, il est vrai que la diplomatie américaine s’active sur de nombreux fronts si pas pour installer des paix durables, au moins pour stopper des conflits. Lors de sa rencontre avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky, le 18 août à Washington, Donald Trump a évoqué «six guerres réglées en six mois» pour évaluer en toute objectivité son action depuis son retour à la Maison-Blanche.
Le Bureau ovale a en effet été le théâtre depuis le début de l’année de rencontres inattendues entre les ministres des Affaires étrangères de la République démocratique du Congo (RDC) et du Rwanda et entre le président azerbaïdjanais et le Premier ministre arménien tandis que l’administration œuvrait, de manière décisive ou marginale, à l’arrêt des combats entre le Pakistan et l’Inde ou entre la Thaïlande et le Cambodge. Alors ces processus justifieraient-ils que leur initiateur soit couronné du prix Nobel de la paix? Revue des arguments pour et contre.
Coup de maître dans le Caucase
Le «fait d’armes» le plus récent de Washington a consisté à rapprocher les positions de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie, deux pays du Caucase du Sud qui se sont livrés trois guerres dans la période contemporaine, entre 1988 et 1994 au moment de la dislocation de l’Union soviétique, en 2020 et en 2023, à propos d’un reliquat de ce passé douloureux, la région du Haut-Karabakh à majorité arménienne mais située en Azerbaïdjan. Le dernier conflit a conduit Bakou à reprendre possession de son territoire face aux séparatistes et habitants arméniens purement et simplement chassés. La supériorité militaire de l’Azerbaïdjan faisait craindre qu’il ne pousse son avantage plus loin en s’emparant de terres de l’Arménie.
L’accord du 8 août met a priori un terme à cette menace puisqu’il prévoit la cessation définitive du conflit, l’ouverture de relations commerciales et diplomatiques et le respect de la souveraineté et l’intégrité territoriale des deux pays. Il dessine aussi une réponse à la revendication de l’Azerbaïdjan d’instaurer une forme de continuité géographique entre son territoire et son exclave en Arménie, le Nakhitchevan. Une zone de transit devrait être créée en Arménie le long de la frontière avec l’Iran, dans ce qu’on appelle le corridor de Zanguezour, pour permettre les échanges entre les deux parties de l’Azerbaïdjan. Elle prendra pour nom l’humble appellation de «Voie Trump pour la paix et la prospérité internationales». En échange, les bonnes grâces financières des Etats-Unis et de leurs sociétés s’abattront sur les deux pays.
Des hypothèques planent encore sur la solidité de cet arrangement, notamment sa contestation en Arménie même, mais force est de constater que Donald Trump et son équipe ont réussi là un coup de maître, qui, il est vrai, ne rentre sans doute pas dans les critères de sélection du comité Nobel. Au-delà des avancées sur la résolution d’un contentieux vieux de près de 40 ans, les Etats-Unis prennent position dans ce qui était encore une partie du pré carré de la Russie, mais que celle-ci, concurrencée aussi par la Turquie, a négligée du fait de sa focalisation sur la guerre en Ukraine.
«Le commerce est excellent pour résoudre les conflits.»
Les ressources du Congo
Autre conflit qui a forcé les portes du Bureau ovale de la Maison-Blanche, celui qui oppose la République démocratique du Congo et le Rwanda depuis le génocide contre les Tutsis en 1994. Kigali s’estime en droit d’agir chez son voisin pour mettre fin aux activités des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR, héritières des responsables du génocide) directement par l’envoi de soldats ou indirectement par l’entremise de groupes armés alliés, en l’occurrence aujourd’hui le M23. Le dossier fait l’objet de deux processus.
Les Etats-Unis ont convaincu la RDC et le Rwanda de signer un accord de paix le 27 juin. Il implique la fin des hostilités, le respect de l’intégrité territoriale du Congo et le retrait des troupes rwandaises. Le Qatar, autre médiateur, chapeaute des négociations entre la RDC et le M23 pour garantir le respect de la cessation des combats. Elles ont conduit à la signature par les deux parties, le 19 juillet à Doha, d’une déclaration de principe rappelant «leur engagement en faveur d’un cessez-le-feu permanent». Un cycle de discussions doit s’ouvrir dans quelques jours au Qatar pour déboucher sur un véritable accord de paix malgré le fait que des affrontements entre l’armée congolaise et le M23 ont été observés autour de la localité de Mulamba, au Sud-Kivu, depuis le 8 août. Et aucune source indépendante n’a attesté du retrait des soldats rwandais déployés en appui du groupe rebelle (de 3.000 à 7.000 hommes) depuis l’arrangement signé entre les deux Etats en juin.
Le processus est donc précaire. Mais la perspective du développement de l’industrie d’extraction des minerais de l’est du Congo promise par l’administration Trump en cas d’accord de paix est une carotte susceptible de satisfaire les Congolais et les Rwandais. Elle permettrait aux premiers de retirer des dividendes de l’exploitation de leurs ressources dans cette région et aux seconds de «blanchir» une exploitation illégale de minerais qu’ils refusent de reconnaître. Pour les Etats-Unis, une mainmise sur ces ressources consacrerait une revanche face à la Chine qui, ces dernières années, s’est octroyé un accès préférentiel aux minerais africains. Ce possible atout économique vaut bien que Donald Trump s’intéresse au Kivu.
L’amortisseur de conflits
Depuis le début de l’année, l’Asie a connu deux conflits surprises sur fond de vieilles revendications territoriales. L’Inde et le Pakistan se sont affrontés entre le 22 avril et le 10 mai après un attentat attribué à un groupe pakistanais au Jammu-et-Cachemire indien, territoire disputé entre les deux pays depuis l’éclatement de l’Empire britannique des Indes et la création des deux Etats en 1947. Des bombardements de part et d’autre de la frontière, des avions de chasse abattus, une cinquantaine de civils tués…: toute confrontation entre l’Inde et le Pakistan, qui disposent de l’arme atomique, suscite une inquiétude particulière.
Donald Trump n’a pas hésité à affirmer qu’il avait évité un conflit nucléaire quand les armes se sont tues après 18 jours de tensions. Sauf que le Premier ministre indien Narendra Modi a démenti que l’action des Etats-Unis ait évité quoi que ce soit; ce sont les deux belligérants qui auraient décidé de mettre fin à la confrontation. Le Pakistan, désigné vainqueur de l’épisode par la majorité des observateurs, s’est en revanche félicité de l’intervention de Trump.
Entre la Thaïlande et le Cambodge, qui se sont opposés militairement entre le 24 et le 28 juillet en raison d’un contentieux territorial autour du temple de Preah Vihear sur fond de dégradation des relations bilatérales, il n’y a pas eu de remise en cause du rôle des Etats-Unis. La promesse du développement des relations commerciales des Etats-Unis avec les deux pays et la relative mansuétude de l’administration Trump dans la hausse des droits de douane qui leur ont été infligés le 7 août a facilité la bienveillance de Phnom Penh et Bangkok.
Les succès dont se targue Trump sont souvent pour la plupart superficiels et ne règlent pas les problèmes de fond.
Une guerre, mais de douze jours
La prévention peut aussi servir la paix. Donald Trump a ainsi assuré, à l’occasion d’une rencontre avec le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, le 27 juin à Washington, qu’il avait empêché une reprise de la guerre entre la Serbie et son ancienne province albanophone, le Kosovo. «La Serbie et le Kosovo étaient au bord du conflit. Ils se dirigeaient vers une guerre majeure. Je leur ai dit: « En cas d’affrontement, plus de commerce avec les Etats-Unis ». Ils m’ont répondu qu’ils pourraient finalement ne pas s’affronter.» Des tensions éclatent de façon récurrente entre Belgrade et Pristina. Mais l’imminence d’une escalade menant à une confrontation n’est pas apparue évidente ces derniers mois.
C’est en revanche une guerre bien réelle que les Etats-Unis ont menée contre l’Iran à partir du 13 juin pour affaiblir cet ennemi déclaré d’Israël et empêcher qu’il ne se dote de l’arme nucléaire. La participation américaine s’est limitée à l’attaque de sites censés abriter des infrastructures, souvent souterraines, construites à cette fin. Une fois cette mission réussie, dans l’entendement de Washington, Donald Trump a, il est vrai, sifflé la fin du conflit et retenu Benjamin Netanyahou de l’étendre. De là à mettre «la guerre de douze jours» seulement au crédit d’un futur lauréat du prix Nobel de la paix, il y a certainement une marge.
Les succès dont se targue le président américain depuis le début de son second mandat sont pour la plupart superficiels et ne règlent pas les problèmes de fond qui en sont la source. Il n’empêche que parfois les armes se taisent, parfois des processus de paix qui étaient absents sont mis en œuvre. Et en tous les cas, le Département d’Etat dirigé par Marco Rubio se déploie sur plusieurs fronts avec tantôt des échecs –une initiative pour stopper la guerre la plus imbécile qui soit au Soudan entre deux chefs de guerre, avec des dizaines de milliers de victimes, n’a même pas pu réunir les acteurs régionaux concernés, Egypte et Emirats arabes unis, qui supportent un des deux camps, ne surmontant pas leurs divergences– et tantôt des résultats, fragiles (au Congo) ou plus solides (entre Azerbaïdjan et Arménie). Ces démarches sont souvent portées par une dimension économique que Donald Trump revendique. «C’est un sujet (NDLR: les « tensions » entre Serbie et Kosovo ) pour lequel j’ai utilisé le commerce, a-t-il affirmé. C’est souvent le cas, mais c’est excellent pour résoudre les conflits.» La diplomatie transactionnelle de Donald Trump peut-elle aussi être consacrée à Oslo le 10 décembre?
G.P.