Politique igratoire
Un homme est arrêté par le Service d’immigration et de la douane (ICE) pour être expulsé après son audition devant un tribunal de New York. © GETTY

Politique migratoire de Trump: «Il y a plus d’étrangers qui quittent les Etats-Unis qu’il n’en entre»

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La coopération du Mexique, premier pays latino-américain touché, n’est pas nécessairement récompensée. Pour lui et d’autres, les conséquences économiques pourraient être importantes.

Expulsé à tort et emprisonné au Salvador en mars, ramené aux Etats-Unis en avril après la reconnaissance par l’administration d’une «erreur administrative», réarrêté en juin pour aide présumée au séjour illégal de migrants, libéré le 22 août de la prison du Tennessee où il était détenu, et à nouveau placé en détention le 25 août après avoir été auditionné par les services de l’immigration de Baltimore: tel est, depuis six mois, le parcours de Kilmar Abrego Garcia, un Salvadorien travailleur du bâtiment dans le Maryland, marié à une Américaine et père de famille. Cet homme de 30 ans est devenu le symbole de l’acharnement et des dérives de la politique migratoire mise en œuvre par Donald Trump depuis son retour à la Maison-Blanche.

Kilmar Abrego Garcia a refusé le «plaider coupable» qui lui était proposé et qui aurait prévu son maintien en détention et une expulsion vers le Costa Rica. Résultat, il est sous le coup d’une expulsion vers l’Ouganda, qui a annoncé le 21 août avoir conclu un accord avec les Etats-Unis pour l’accueil de déportés, au même titre que le Salvador, le Rwanda et l’Eswatini. Un juge fédéral a bloqué cette décision le 25 août. «Le fait qu’ils utilisent le Costa Rica comme une carotte et l’Ouganda comme un bâton pour tenter de le convaincre de plaider coupable d’un crime est une preuve évidente qu’ils utilisent le système d’immigration comme une arme d’une manière totalement inconstitutionnelle», a commenté l’avocat du Salvadorien.

Au-delà de la question des moyens utilisés, quelles sont les conséquences déjà palpables de cette nouvelle doctrine sur les pays de «l’hinterland» américain? Eléments de réponse avec Catherine Bourgeois, socio-anthropologue, spécialiste des questions migratoires au Mexique, chercheure associée à l’Urmis (Unité de recherche migrations et société, France), et à l’ULB.

Le Mexique est-il le principal Etat affecté par la politique migratoire de l’administration Trump?

Le Mexique a une diaspora très importante aux Etats-Unis. Officiellement, près de 38 millions de ressortissants y vivraient, un chiffre auquel il faudrait ajouter les personnes en situation irrégulière qui ne sont pas répertoriées dans ces statistiques. Le Mexique est donc très concerné par cette politique migratoire. Entre janvier et juin 2025, on a comptabilisé 82.000 citoyens mexicains déportés. Cette expulsion est facilitée par la proximité géographique et par le fait que le gouvernement mexicain a accepté de recevoir ses ressortissants, ainsi que certains d’autres nationalités. Ils sont expulsés par des points de la frontière du sud des Etats-Unis, via les villes mexicaines de Tijuana, Mexicali, Reynosa, Ciudad Juárez… Autre stratégie, l’expulsion de migrants par avion vers des Etats du sud du Mexique, tels que le Chiapas, à plusieurs milliers de kilomètres de la frontière des Etats-Unis. Une énorme pression s’opère donc sur le Mexique.

Quels sont les autres Etats principalement concernés par cette politique?

Dans la région, les autres pays concernés au premier chef sont le Guatemala, le Honduras, le Salvador mais aussi le Venezuela et Haïti. Ces deux derniers Etats sont touchés de façon différente. Sous le gouvernement de Joe Biden, ils ont bénéficié d’un programme prévoyant un statut de protection temporaire (TPS), qui permet à leurs ressortissants, parce qu’ils proviennent de pays jugés dangereux, de demeurer sur le territoire des Etats-Unis, en toute légalité, et de pouvoir y travailler pour un temps déterminé. En général, si l’évolution du pays est positive, le TPS est abrogé et les personnes sont susceptibles d’y retourner. Si la situation ne s’améliore pas, le statut est prolongé. Ni le Venezuela ni Haïti n’ont connu un mieux ces derniers mois, au contraire. Malgré cela, le gouvernement de Donald Trump a abrogé le TPS pour le Venezuela en février et le 4 août pour Haïti. Cela concerne un peu plus de 600.000 Vénézuéliens, et des centaines de milliers d’Haïtiens. Ces personnes se sont retrouvées du jour au lendemain sans statut de protection et susceptibles d’être déportées vers leur pays d’origine.

Catherine Bourgeois, chercheure en socio-anthropologie à l’ULB. © DR

Le Salvador se montre très coopératif avec les Etats-Unis dans cette politique. Quelles sont les modalités de ce partenariat?

Le Salvador a conclu des accords avec les Etats-Unis pour la déportation de migrants, y compris non salvadoriens, notamment vers la mégaprison de Cecot –le Centre de confinement du terrorisme, à Tecoluca, d’une capacité de 40.000 personnes, détenues dans des conditions effroyables. Lors d’une rencontre avec le secrétaire d’Etat américain Marco Rubio, les autorités salvadoriennes se sont aussi déclarées prêtes à recevoir des condamnés pour délits majeurs venant des Etats-Unis. Là, il s’agit d’une externalisation du système pénitentiaire états-unien sur le territoire du Salvador. C’est inédit. Cette partie de l’offre du Salvador aux Etats-Unis n’est pas encore en application. On a donc à la fois une externalisation de la gestion de la migration et, à terme, une externalisation de la gestion pénitentiaire. La déportation et la détention sont complètement prises en charge financièrement par les Etats-Unis, à un coût moindre que celui qu’ils devraient débourser dans leurs infrastructures. Selon les dires du président salvadorien Nayib Bukele, cet accord devrait permettre de maintenir et de faire fonctionner le système pénitentiaire de son pays.

D’autres Etats coopèrent-ils ainsi?

A ma connaissance, il n’existe pas d’accords semblables avec d’autres pays de la région. Deux Etats participent néanmoins d’une manière ou d’une autre à l’externalisation de la gestion de la migration: le Costa Rica et le Panama. Tous deux ont subi des pressions économiques et redouté des répercussions, notamment en matière de droits de douane. Ils ont donc été contraints de conclure des accords, notamment sur la question de la déportation de personnes originaires de pays tiers, par exemple la Chine, l’Iran, le Turkménistan, l’Afghanistan, la Russie… Une liste de pays avec lesquels les Etats-Unis n’ont pas de bonnes relations diplomatiques, voire n’en ont pas du tout. Le Costa Rica et le Panama sont devenus par la force des choses des sas avant une éventuelle déportation vers leur pays d’origine. Le coût de ces déportations et détentions est supporté par les Etats-Unis. Mais au Costa Rica, à la suite des premières arrivées d’expulsés, des pressions ont été exercées sur le gouvernement par des groupes de défense des droits humains. Celui-ci a dès lors décidé d’octroyer un permis humanitaire qui autorise les personnes à demeurer pendant une durée déterminée dans le pays, de circuler librement sur le territoire, mais sans permis de travail. La plupart restent au Costa Rica mais sont dans une situation juridique très incertaine. On assiste ainsi à la fabrication d’une population migrante en situation irrégulière et à sa précarisation.

La prison Cecot à Tecoluca, au Salvador, accueille des expulsés des Etats-Unis. Ils y sont détenus dans des conditions très difficiles. © GETTY

Est-ce le chantage aux sanctions économiques qui contraint la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum à coopérer avec les Etats-Unis?

Oui. Cette pratique du chantage économique n’est pas nouvelle. Elle a déjà été appliquée pendant le premier mandat de Donald Trump. En juin 2019, des pressions avaient été exercées en matière de droits de douane. Le gouvernement mexicain de l’époque, sous la présidence d’Andrés Manuel López Obrador, avait souscrit à certaines demandes américaines en matière de migration. Claudia Sheinbaum doit faire face à une situation similaire. Elle a accepté le déploiement à la frontière nord du Mexique de 10.000 agents de la Garde nationale, un corps militaire particulièrement présent aux frontières, pour renforcer les contrôles mais aussi pour essayer de lutter contre le trafic de fentanyl –les questions liées aux trafics d’armes et de drogues s’ajoutent à ce panorama. Elle a aussi décidé de faciliter la réintégration de ses ressortissants expulsés. Malgré cela, les droits de douane pratiqués par les Etats-Unis ont été portés à 25%, mais ils ne concernent en réalité que 16% des produits mexicains puisque ceux qui ressortent du T-Mex, l’accord commercial Canada-Etats-Unis-Mexique, en sont exemptés.

«Cela signifie que moins d’argent entre dans l’économie du Mexique.»

Au stade actuel, le coût de l’accueil des expulsés et la perte de revenus des travailleurs aux Etats-Unis transférés à leur famille peuvent-ils affecter de façon importante la situation financière du Mexique?

Il est difficile de déterminer exactement la part du transfert d’argent de ressortissants aux Etats-Unis vers le Mexique dans le PIB du pays. Récemment, lors d’une de ses conférences de presse, Claudia Sheinbaum a signalé qu’il y avait eu une diminution de 5% des transferts d’argent depuis janvier 2025, et qu’entre juin et juillet, une baisse de 16% avait été observée. Cela signifie que moins d’argent entre dans l’économie du Mexique, et à plus grande échelle, dans le PIB. C’est aussi une situation qui affecte concrètement des milliers de familles qui comptaient sur ces ressources. Pour elles, l’effet est immédiat. On verra à moyen et à long termes quelle est l’incidence globale. A côté de cette perte liée aux transferts d’argent, il faut aussi considérer le coût du programme «Mexico te abraza» («Le Mexique t’embrasse») pour accueillir les déportés. Il prévoit notamment le logement, l’alimentation pendant une certaine durée, la remise d’une carte bancaire avec 2.000 pesos –soit environ 100 euros– et une aide médicale et psychologique. Tout cela a un coût pour le gouvernement, aussi en matière de salaires, d’infrastructures, de services administratifs… Enfin, un coût auquel on pense moins est celui qui résultera du retour des Mexicains des Etats-Unis et de la présence dans le pays des migrants qui étaient en route pour les Etats-Unis et qui ne pourront pas y accéder. Ces gens viendront grossir la masse de la main-d’œuvre. Elle sera plus importante que la demande. Et cela pourrait avoir des conséquences sur l’économie et les salaires.

La présidente du Mexique, Claudia Sheinbaum, sous la pression du chantage économique de Donald Trump. © GETTY

Globalement, cette politique migratoire américaine n’a-t-elle pas déjà produit des effets concrets, notamment la forte diminution des entrées aux Etats-Unis?

Complètement. Des premiers chiffres ont été rassemblés par le think tank américain non partisan Pew Research Center, situé à Washington. Selon ses analyses, il y avait, en janvier 2025, 53,3 millions d’étrangers aux Etats-Unis, personnes en situations régulière et irrégulière confondues. En juin, ils étaient 51,9 millions, soit une diminution nette d’environ 1,5 million. Il y a plus d’étrangers qui quittent le territoire des Etats-Unis qu’il n’en entre. Il devient de plus en plus compliqué d’accéder aux Etats-Unis en raison d’un renforcement des contrôles à la frontière (un mur qui mesure plus de 3.000 kilomètres, double à plusieurs endroits; une installation de surveillance avec des patrouilles du Service des douanes et de la protection des frontières des Etats-Unis (CBP), des miradors de surveillance, des senseurs dans le sol qui détectent les mouvements, etc.). C’est un obstacle certain à l’émigration. Les chiffres donnés par le CBP et la Border Patrol (USBP) montrent une diminution des détentions de migrants à la frontière. Entre janvier et mai 2024, on recensait 900.000 interceptés à la frontière sud des Etats-Unis. Pour la même période cette année, cela concerne 108.000 personnes, soit une diminution de 88%. L’érosion du droit à l’asile aux Etats-Unis est aussi un dernier facteur qui joue sur cette diminution des personnes migrantes. Celles qui se présentent à la frontière sont confrontées à des procédures extrêmement expéditives de révision de leur demande et, le plus souvent, les réponses sont négatives. Tout cela engendre effectivement une diminution des personnes migrantes aux Etats-Unis.

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