Golden Dome
Le Golden Dome de Trump pourrait lancer une nouvelle course aux armements. © Getty

Golden Dome, le projet phare de Donald Trump: «Son bouclier antimissile est une plaisanterie»

Ce sera peut-être le projet américain le plus coûteux depuis le programme Apollo et le projet Manhattan. Donald Trump accélère les plans du Golden Dome, un système de défense antimissile dans l’espace. Mais sera-t-il vraiment efficace et inaugurera-t-il réellement une ère dorée pour la sécurité des Etats-Unis? Rien n’est moins sûr.

En janvier, Trump parlait encore d’un «Iron Dome» pour les Etats-Unis. Il avait alors chargé le ministère de la Défense de concevoir un «bouclier antimissile de nouvelle génération». Apparemment, le président ne trouvait pas le nom «Iron Dome» assez éclatant. De toute façon, l’entreprise publique israélienne Rafael détient les droits sur ce nom. Le prestigieux projet de Trump fut donc rebaptisé «Golden Dome».

Mardi dernier à Washington, il a annoncé, avec son habituelle assurance, que son choix était arrêté. Le système s’inspire du dispositif israélien de défense antimissile, mais est bien plus ambitieux. Le Dôme de fer israélien ne convient qu’aux missiles de courte portée, tandis que les Etats-Unis veulent se protéger contre des armes intercontinentales dont une partie de la trajectoire passe par l’espace.

C’est pourquoi le Golden Dome ne sera pas uniquement calibré pour des missiles tirés depuis le sol. Un réseau de satellites devra pouvoir intercepter en orbite des projectiles provenant par exemple de Russie, de Corée du Nord ou de Chine. «Avec cela, nous pourrons même neutraliser des missiles venus de l’autre bout du monde», affirme Trump.

Retour aux années 1980

Dans les années 1980, le président Ronald Reagan a dépensé des milliards dans le Strategic Defense Initiative (SDI), surnommé le «projet Star Wars». La construction d’un bouclier contre les missiles longue portée de l’Union soviétique a échoué en raison des coûts élevés et des limitations techniques. Trump semble convaincu que le Golden Dome ne connaîtra pas le même sort. «Nous allons y arriver, a-t-il déclaré. Ce sera un système de tout premier ordre.»

Mais de sérieux doutes subsistent quant à sa faisabilité, tant sur le plan économique que technique. Le président américain a déjà demandé, dans un projet de loi actuellement en discussion au Congrès, un montant de 25 milliards de dollars (22 milliards d’euros). Au total, le Golden Dome coûterait 175 milliards de dollars.

«Mettre en œuvre un tel système et le maintenir opérationnel pendant vingt ans reviendrait à 542 milliards de dollars.»

Selon le Congressional Budget Office, un organe consultatif indépendant du Congrès, ce montant sera probablement bien plus élevé. Il a calculé les coûts d’un système de défense capable d’intercepter un ou deux missiles nord-coréens. Mettre en œuvre un tel système et le maintenir opérationnel pendant 20 ans reviendrait à 542 milliards de dollars. Et cela ne tient pas encore compte d’un conflit mondial impliquant également la Russie ou la Chine. Chance Saltzman, haut gradé de la Space Force américaine, a refusé de commenter ce chiffre, mais a déclaré: «En 34 ans de carrière dans ce secteur, je n’ai encore jamais vu une estimation de coûts surestimée.»

Corrigé de l’inflation, ce serait le projet le plus coûteux depuis les missions lunaires Apollo et la bombe atomique du projet Manhattan. Pour le sénateur républicain Tim Sheehy, partisan du Golden Dome, cela pourrait même coûter des milliers de milliards. Les Etats-Unis peuvent-ils se permettre une telle dépense? Car les projets budgétivores ne manquent pas. Le département de la Défense s’attelle ainsi à un autre chantier d’armement colossal: la modernisation de la force nucléaire. Plus de 400 missiles nucléaires Minuteman III doivent être remplacés par des missiles Sentinel d’ici 2036. Notamment en raison du creusement de nouveaux silos, l’estimation des coûts s’élève déjà à 141 milliards de dollars.

Des milliers de satellites

A cela s’ajoute le fait que le calendrier de Trump pour le projet est considéré comme extrêmement ambitieux. Mardi dernier, il a annoncé que le Golden Dome devrait être «pleinement opérationnel» avant la fin de son mandat en janvier 2029, donc dans un délai de quatre ans. Pourtant, le bouclier antimissile n’en est encore qu’«à la phase de conception», a déclaré le nouveau chef de l’armée de l’air, Troy Meink, aux sénateurs lors d’une audition. Si le président a bien choisi un concept, la mise en œuvre technique est une toute autre affaire. Une personne bien informée du programme a fait savoir qu’il est plus probable que le système de défense ne soit pas opérationnel avant 2029.

Le Dôme de Fer d’Israël est considéré comme un modèle de réussite: ce système a déjà intercepté de nombreux missiles ennemis. Mais les Etats-Unis sont plus de 400 fois plus grands qu’Israël. Le Golden Dome pourra difficilement protéger l’ensemble du pays et ses 340 millions d’habitants, comme Trump l’a suggéré lors de sa présentation en brandissant une carte dorée du territoire national.

Le plus grand défi technologique réside probablement dans la composante spatiale. Celle-ci nécessitera un grand nombre de satellites. Ils devront détruire les missiles ennemis avant qu’ils ne larguent leurs ogives nucléaires. Mais comme les satellites tournent autour de la Terre à une vitesse fulgurante, ils ne se trouvent que brièvement au-dessus d’une zone donnée. Pour assurer une couverture suffisante, il faudra donc déployer un nombre considérable de satellites.

«Pour assurer une couverture suffisante, il faudra donc déployer un nombre considérable de satellites.»

Selon un rapport récent de l’American Physical Society, 1.600 satellites seraient nécessaires pour intercepter à tout moment un seul missile nucléaire nord-coréen. Pour une salve de dix missiles nucléaires: 16.000 satellites. De plus, remarque le rapport, plusieurs hypothèses «optimistes et simplistes» sont formulées, et plusieurs «villes d’Alaska, des parties nord des côtes Est et Ouest ainsi que du Midwest» ne sembleraient pas incluses dans la ceinture de défense.

Outre le très grand nombre de satellites requis, il existe un autre problème fondamental: les systèmes en orbite autour de la Terre peuvent être facilement neutralisés. Les Etats-Unis, mais aussi la Russie, la Chine et l’Inde ont testé des systèmes d’armes capables de le faire. Il suffit même de perturber les satellites depuis le sol au bon moment. Il n’est même pas nécessaire de les abattre.

Nouvelle course aux armements

Les experts sont divisés sur les chances de réussite du projet. Tom Karako, du Center for Strategic and International Studies à Washington, est un spécialiste des systèmes de défense antimissile. Il estime que le Golden Dome est réalisable et pertinent. «Nous ne vivons plus dans les années 1980. Ni en ce qui concerne la menace, ni en ce qui concerne les possibilités technologiques. L’espace est devenu un champ de bataille.» Tom Karako prévoit «des investissements considérables» dans les capteurs spatiaux et les armes spatiales.

«Nous ne vivons plus dans les années 1980. Ni en ce qui concerne la menace, ni en ce qui concerne les possibilités technologiques. L’espace est devenu un champ de bataille.»

Tobias Fella, de l’Institut pour la recherche sur la paix et les politiques de sécurité à Hambourg, voit surtout surgir de grands obstacles à la mise en œuvre du plan de Trump. Il redoute «des risques technologiques et toutes sortes de problèmes liés à la sous-traitance», mais aussi «des tensions en matière de politique étrangère et de sécurité».

Dans le domaine des armes nucléaires, il existe en effet jusqu’à présent un équilibre de la dissuasion. Le principe de la destruction mutuelle assurée (mutually assured destruction, ou MAD) empêche les pays de lancer une attaque nucléaire en premier; ils savent que leur propre territoire serait ensuite détruit par les armes nucléaires de l’adversaire.

Le nouveau projet de Trump pourrait remettre ce principe en question et mener à une plus grande instabilité internationale. Plus personne ne souhaiterait probablement conclure de nouveaux traités de contrôle des armements. Une Amérique se croyant invulnérable pourrait, en temps de guerre, envisager de lancer la première une attaque nucléaire. C’est pourquoi la Russie et la Chine commenceront d’ores et déjà à élargir leur arsenal nucléaire. Ainsi, les Américains pourraient continuer à se sentir vulnérables, malgré leur système de défense.

«Une Amérique se croyant invulnérable pourrait, en temps de guerre, envisager de lancer la première une attaque nucléaire. C’est pourquoi la Russie et la Chine commenceront d’ores et déjà à élargir leur arsenal nucléaire.»

Le chercheur Tobias Fella affirme que le Golden Dome pourrait se retourner stratégiquement contre les Etats-Unis. «Les adversaires de l’Amérique pourraient produire davantage de missiles et d’ogives nucléaires, ou équiper les missiles de plusieurs têtes nucléaires, ou concevoir des systèmes de leurrage pour tromper la défense américaine.» Un système antimissile comme le Golden Dome pourrait «mener à une course aux armements et à la prolifération des armes offensives». Dans la plupart des cas, les armes sont en effet beaucoup moins coûteuses à produire que les systèmes de défense.

Thomas Withington, analyste militaire au Royal United Services Institute de Londres, parvient à une conclusion similaire. Le Golden Dome pourrait inciter d’autres à développer également des armes spatiales. «De telles armes ne représenteraient pas seulement une menace pour les Etats-Unis, mais pour tous les pays qui dépendent d’une manière ou d’une autre des satellites

Finalement, le Golden Dome pourrait bien connaître le même sort que le projet Star Wars de Reagan: entrer dans l’histoire comme «une plaisanterie. C’est en réalité une escroquerie», affirme John Tierney du Center for Arms Control & Non-Proliferation à Washington. «Stratégiquement, cela n’a aucun sens. Techniquement, cela n’a aucun sens. Et économiquement, cela n’a aucun sens.» Selon lui, Trump investit des milliards dans quelque chose «qui ne fonctionnera pas».

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