La diffusion publique, au plus tard le 19 décembre, des dossiers judiciaires de l’affaire Epstein annonce une nouvelle onde de choc dans ce scandale scabreux. Mais il n’est pas certain que tout soit révélé…
Poussé dans le dos par les élus de son propre parti et après avoir résisté pendant plusieurs mois, Donald Trump a finalement fait volte-face à propos de la diffusion des documents de l’affaire Epstein. Le président américain a promulgué la loi, nommée «décret de transparence des documents Epstein», adoptée, le 19 novembre, à l’unanimité (moins une voix) par le Congrès, donc républicains compris. Cette loi oblige le ministère de la Justice à publier tous les éléments non-classifiés de l’enquête en sa possession dans un délai de 30 jours, soit avant le 19 décembre. Cette affaire liée au milliardaire pédo-criminel Jeffrey Epstein, retrouvé mort dans sa cellule de prison en août 2019, secoue la jet-set américaine. Avec des rebondissements à n’en plus finir et des noms de personnalités qui tombent au compte-goutte chaque semaine.
La liste des amis d’Epstein est interminable. Son réseau était très étendu. Beaucoup le consultaient et, s’ils n’ont pas participé à ses festivités sexuelles, ont en tout cas semblé fermer les yeux sur ses crimes sexuels, notamment après son premier séjour en prison de treize mois en 2008 pour racolage de mineures. Le dossier judiciaire contient plus de 100.000 pages dans lesquelles sont consignés environ 20.000 emails échangé par Epstein avec ses connaissances. Parmi celles-ci, Larry Summers, ancien secrétaire au Trésor et ponte économique des démocrates qui l’a consulté après sa sortie de prison il y a quinze ans. Summers lui demandait, entre autres, s’il n’avait pas un plan pour l’aider «à passer à l’horizontale» avec une jeune professeure de l’université Harvard où il enseigne toujours. Noam Chomsky, le penseur de la gauche américaine radicale, se trouve, lui aussi, éclaboussé à cause de mails échangés. Il a également eu des «contacts réguliers» avec Epstein après sa première condamnation.
La jet-set économique et du secteur de la tech n’est pas en reste: dans les «Epstein files», on retrouve les milliardaires Leon Black (PDG d’Apollo Global Management), Leslie Wexner (industrie textile dans l’Ohio), Jes Staley (ancien directeur de JP Morgan, qui a admis avoir eu avec une relation intime avec une «assistante» d’Epstein), Peter Thiel (cofondateur de PayPal et mécène du vice-président JD Vance) ou Elon Musk qui aurait été sur l’île privé du trafiquant sexuel. Le co-fondateur de LinkedIn Reid Hoffman a également été épinglé pour s’être rendu au moins une fois sur l’île. Il s’en est excusé depuis lors. Bill Gates, le richissime fondateur de Microsoft, a également copiné avec le «monstre», tel que l’ont baptisé certains médias américains. Selon le Wall Street Journal, cette fréquentation serait même une cause de son divorce avec Melinda, très militante pour le droit des femmes, qui, dès 2013, s’inquiétait de la relation de son mari avec cet homme qui la mettait mal à l’aise.
Comme un boomerang
La liste des personnalités ayant fréquenté Jeffrey Epstein ne cesse de s’allonger et cela risque de continuer, voire de s’amplifier, avec l’échéance du 19 décembre. Toutes les personnes mises en cause n’ont pas participé aux crimes sexuels d’Epstein et ne sont pas inquiétées par la justice, mais elles ont continué à le voir ou à correspondre avec lui bien après sa condamnation et son fichage officiel comme délinquant sexuel en 2008. D’où l’ostracisme social dont elles font l’objet aujourd’hui. Larry Summers a dû quitter tous ses postes, celui d’expert sur Bloomberg TV, d’éditorialiste du New York Times, d’administrateur d’OpenAI ou de président du conseil consultatif de la banque Santander. Jes Staley s’est vu interdire par la Financial Conduct Authority (FCA) d’occuper des postes de dirigeant dans le secteur des services financiers, une décision confirmée cet été par un tribunal. Leon Black, lui, s’est retiré du fonds Apollo suite aux révélations le concernant. L’affaire Epstein revient encore et toujours comme un boomerang.
«Les revirements de Trump sur le dossier Epstein risquent de déplaire aux complotistes qui l’on élu»
Celui dont l’image pourrait le plus en souffrir reste Donald Trump. Ses volte-faces dans ce dossier sont curieuses et risquent de lui coûter cher. Lors de sa campagne, il avait promis de rendre le dossier Epstein public, tout comme celui sur l’assassinat de Kennedy. Puis, quand le dossier s’est retrouvé sur le bureau de la ministre de la Justice, son revirement a été total. «Il avait la possibilité, en tant que président, de décider seul de rendre les documents publics, sans passer par la Chambre, explique Serge Jaumain, professeur d’histoire contemporaine (ULB) et spécialiste de l’Amérique du Nord. Il ne l’a pas fait. Il a même tout entrepris pour que le congrès ne vote pas le décret de transparence, en faisant pression sur des députés républicains. C’est lorsqu’il s’est aperçu que ceux-ci ne le suivraient pas qu’il a stratégiquement donné son aval à la publication des documents, sinon il serait apparu comme désavoué par les élus de son camp, ce qui aurait diminué son pouvoir. Ses revirements risquent néanmoins de déplaire aux complotistes qui raffolent de ce genre de dossier et qu’il avait réussi à rallier à lui lors de l’élection présidentielle.»
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Reste à voir si les documents rendus publics n’auront pas été amputés de certains passages. Pour se prémunir d’un caviardage, l’idée de mettre en place une commission parlementaire fait son chemin. Elle est ardemment défendue par l’un des principaux avocats des victimes d’Epstein, Spencer Kuvin, qui a déclaré que «cette affaire n’était pas qu’une simple opération de trafic, mais un effondrement catastrophique des institutions fédérales, étatiques et locales» et que cela nécessitait «une commission de type 11 septembre» pour faire toute la lumière sur ce scandale inédit et «identifier les défaillances systémiques». «Une telle commission peut, en effet, être à un moment nécessaire pour éviter que les révélations partent dans tous les sens et soient exploitées par les complotistes, avance Serge Jaumain. Surtout, certains élus vont certainement émettre des doutes sur le fait que des documents ont été trafiqués. N’oublions pas que Trump a placé des gens à tous les échelons de l’administration.»
Pour qu’une telle commission voit le jour, le vote de députés républicains sera nécessaire, les démocrates n’ayant pas la majorité. Mais ce vote républicain est très incertain d’autant que, dans moins d’un an, auront lieu les élections de mi-mandat qui doivent renouveler les 435 sièges de la Chambre des représentants et un tiers des 100 sièges du Sénat. Ce scrutin est précédé d’élection primaire au sein des partis et il suffit d’un claquement de doigt de Trump-faiseur-de-roi pour qu’un candidat ne soit pas retenu. «L’enjeu pour ces républicains sera de peser les conséquences de leur choix, observe Serge Jaumain. Rester fidèle à Donald Trump ou fidèle à une promesse de campagne extrêmement importante, en particulier pour les mouvements religieux, à commencer par les évangéliques, qui ont toujours soutenu Trump malgré ses frasques sexuelles, sauf qu’ici il s’agit d’enfants.» Le président MAGA apparaît de plus en plus comme l’arroseur arrosé…