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Comment Trump a transformé la Maison-Blanche en théâtre: «Chaque jour, il crée son épisode»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Depuis son retour au pouvoir, Donald Trump a fait de la Maison-Blanche un plateau de télévision grandeur nature. Entre bling-bling assumé, provocations verbales et mises en scène calculées, il orchestre chaque jour un spectacle politique qui captive autant qu’il dérange.

En une demi-année depuis son retour au pouvoir, Donald Trump a fait de la Maison-Blanche un véritable lieu théâtral en trois dimensions, où le décor (1), la prise de parole (2), et la procédure (3) constituent les pierres angulaires d’une construction médiatique en béton armé.

1. Sur le décor: Trump l’architecte d’intérieur

Comme chaque président américain, Donald Trump a redécoré la Maison-Blanche à sa sauce. Le contraste avec son prédécesseur Joe Biden est saisissant. Exit la sobriété, place à l’abondance: décoration clinquante dorée, drapeaux géants, portraits XXL… Le républicain s’est appliqué à tisser une toile de fond tape-à-l’œil. Un environnement toujours plus brillant pour les caméras des médias.  

Et puis, Trump veut tout illustrer. En grand, très grand. Tableau comparatif pour justifier ses droits de douane, décrets présentés à coups de signatures géantes, carte de l’Ukraine immense lorsqu’il reçoit Zelensky, photo de sa récente rencontre avec Poutine fièrement affichée… Trump démontre avec l’image.

2. Sur la parole: Trump le professeur

Tel un professeur, il donne aussi les bons ou les mauvais points à ses interlocuteurs. Et fait fuser ses remarques, souvent sur la forme ou l’apparence. Tantôt pour faire rire, tantôt pour humilier, tantôt par ignorance.

Ainsi, et de façon non exhaustive, il félicite le chancelier allemand pour son bronzage; mime de ne pas voir le président finlandais (avec qui il joue au golf) juste en face de lui; appelle le Premier ministre japonais «Mr. Japan»; s’étonne des chaussettes de JD Vance aux motifs de trèfles lors d’une rencontre avec le Premier ministre irlandais; humilie Zelensky sur sa tenue, avant de l’encenser quelques mois plus tard; interrompt Macron pour dire qu’il n’a rien compris, mais que le français «est la langue la plus élégante qu’il ait entendue»; explique au Premier ministre canadien qu’il est une personne très artistique et que leurs deux pays «forment un si bel ensemble»; demande au président du Libéria, dont la langue natale est l’anglais, «où il a appris à le parler si brillamment», etc.

Donald Trump combine flatterie et humiliation, de façon à toujours montrer qu’il est le seul à pouvoir juger dans la pièce.

3. Sur la procédure: Trump le metteur en scène

C’est aussi lui qui dirige le déroulé du «spectacle». Il est le metteur en scène de sa propre représentation. Exemple le plus récent (et le plus probant), lorsqu’il reçoit les principaux dirigeants européens, et qu’il les place, tous ensemble, dans une salle d’attente devant les caméras du monde entier. L’image est saisissante: tel un dentiste débordé, il fait attendre ses patients (les politiques les plus puissants d’Europe) avant de s’en «occuper». Trump est le maître des lieux: lui et lui seul décide quand et comment la «cérémonie» se déroule.

Contraster avec Joe Biden

En agissant de la sorte, Trump laisse transparaître son obsession: celle d’afficher sa différence avec Joe Biden, qu’il qualifie régulièrement d’endormi (Sleepy Joe). «Il veut montrer qu’il travaille, au contraire, selon lui, de Biden, dont les images à la télévision étaient plutôt rares, remarque Serge Jaumain, historien et spécialiste des Etats-Unis (ULB). L’équipe du démocrate le protégeait face aux médias. Au contraire, Trump raffole des contacts médiatiques. Ce sont d’ailleurs les médias qui l’ont construit. En faisant la Une tous les jours, il renforce l’image qu’il veut donner d’un président dynamique –quelques pas de danse à chacun de ses meetings– et au travail. Si on se limite à ses postes sur Truth Social, on se dit effectivement qu’il ne s’arrête jamais.»

Quand Trump s’exprime, «on voit le président, mais surtout le personnage de télé qu’il a été à ses débuts, ajoute Mathilde Aubinaud, communicante et auteure de La Saga des Audacieux (1). Il maîtrise les rouages médiatiques à la perfection.»

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Après le passage de pouvoir fin 2024 entre Biden et Trump, la déco de la Maison-Blanche a quelque peu évolué… © Getty Images

Ethos et théâtre

La toile de fond prend ici une importance prépondérante. «Lorsqu’il montre ses casquettes rouges à Macron et Zelensky, on se demande ce que cette démarche peut bien signifier dans le contexte de crise actuel. Mais Trump agit tel un acteur de théâtre, il fait de la représentation. Il se sait sur les planches médiatiques et montre qu’il en est le protagoniste principal», décrypte Mathilde Aubinaud. Comme un écho à son attirance pour le catch, Trump veut montrer qu’il est au combat (fight, fight!) tous les jours. «Il accorde une importance maximale à l’éthos, à savoir l’image que l’orateur donne de lui-même.»

«Trump accorde une importance maximale à l’ethos. Toutes ses postures sont pensées selon le prisme d’une reprise médiatique.»

Ainsi, dans le choix des couleurs (presque uniquement des cravates flashy) ou des accessoires (il offre ses stylos aux personnes qui l’entourent), rien n’est laissé au hasard. «Toutes ses postures sont pensées selon le prisme d’une reprise médiatique.»

La décoration bling-bling qu’il affiche renvoie également à ses goûts de milliardaire. «Il souhaite démontrer sa richesse, et chaque élément de décoration constitue un symbole», observe Serge Jaumain. En 2016, lors d’un dîner, Barack Obama avait d’ailleurs été visionnaire, en se moquant déjà du côté tape-à-l’œil de Trump.

Comme un tournage TV

Selon l’historien, la décoration de la Maison-Blanche n’a d’ailleurs jamais été aussi abondante que sous Trump. «On n’a jamais été aussi loin dans l’histoire des présidents d’Amérique, assure-t-il. En revanche, des transformations majeures ont eu lieu à plusieurs reprises, notamment lorsque John Fitzgerald Kennedy est arrivé au pouvoir. La First Lady, Jacqueline Kennedy-Onassis, avait alors complètement restauré le mobilier. Cette époque correspondait aussi à une volonté d’ouvrir davantage la Maison-Blanche au public.»

«En termes de décor, on n’a jamais été aussi loin dans l’histoire des présidents d’Amérique.»

«Le Bureau ovale renvoie également une image très forte dans notre imaginaire collectif, ajoute Mathilde Aubinaud. Trump utilise ce lieu comme s’il tournait une série: chaque jour, il crée « son » épisode. Dans le brouhaha médiatique, il tente systématiquement d’émerger, en provoquant saturation et exaspération.»

Lors de chaque conférence de presse, Trump crée de la sorte des «happenings». «En préparant des rebondissements quotidiens, il crée une adrénaline chez les médias. Il fixe des rendez-vous et donne envie de découvrir « l’épisode de téléréalité suivant »: que va-t-il se passer aujourd’hui? Trump donne le la de chacune de ses apparitions.» Cette stratégie «permet de faire ressortir les petites phrases au détriment du fond.»

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Quand Trump signe un décret, ce n’est pas un secret. © AFP via Getty Images

Lorsque, par exemple, il met en scène la signature de chacun des décrets avec une rangée de personnalités derrière lui, «il sait que l’image est beaucoup plus « TV compatible » qu’une signature apposée dans la discrétion, compare Serge Jaumain. D’ailleurs, juste après la virulente altercation avec Zelensky de février, Trump a directement lancé « This is going to be great television ».»

Par conséquent, les médias du pays se retrouvent souvent dans une position délicate: difficile, pour eux, d’ignorer les interventions du président des Etats-Unis, même les plus futiles. «Quelque part, il les force à la dépendance. Il a la capacité de trouver des éléments qui choquent.»

Etouffer les incohérences

Car dans son propos, Trump conserve toujours «un côté très manichéen, en simplifiant au maximum son rapport au monde sous le prisme binaire du bien ou du mal. Il fait partie intégrante d’une société sans nuance, qui porte moins d’importance au temps long qu’à la culture de l’instant», estime Mathilde Aubinaud.

Trump joue aussi avec son sens de la formule. «Depuis 2015, il affuble ses adversaires de sobriquets, rappelle Serge Jaumain. Une partie de son électorat s’en délecte.»

«Depuis 2015, Trump affuble ses adversaires de sobriquets. Une partie de son électorat s’en délecte.»

Son approche médiatique avait en effet déjà été élaborée lors de son premier mandat par le conseiller d’extrême droite Steve Bannon («inonder la zone médiatique»), et «force est de constater qu’elle fonctionne à merveille dans le paysage audiovisuel américain, reconnaît Serge Jaumain. De la sorte, on retient surtout les petites remarques, qui cachent l’ensemble de ses nombreuses incohérences. Avec Biden, les médias se focalisaient sur ses erreurs factuelles. Avec Trump, ils se concentrent davantage sur le bon mot, la critique, ou l’élément qui sort des cases habituelles.»

Mais toute pièce de théâtre n’est pas infaillible. Et avec l’émergence de soupçons quant à son implication dans l’Affaire Epstein, «Trump a été pris à son propre jeu. Désormais, ses apparitions médiatiques quotidiennes ont aussi pour but de cacher cette histoire qui l’embarrasse énormément.»

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De l’or, beaucoup d’or, en fond de la deuxième rencontre Trump-Zelensky. © AFP via Getty Images

(1) La Saga des audacieux: Ces dirigeant qui ont fait le pari de la singularité, par Mathilde Aubinaud, Editions VA, 2019.

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