Près de 30 ans de massacre et des espoirs brisés. Une carte blanche de Lydia Mutyebele Ngoi, députée fédérale, membre de la Commission des Relations Extérieures
Depuis près de 30 ans, l’est de la République démocratique du Congo vit au rythme des guerres, des massacres et des violences sexuelles systématiques. Depuis 1996 et la première guerre du Congo, en passant par la «Première Guerre mondiale africaine», plus de 6 millions de vies ont été fauchées dans cette région riche en coltan, or et cobalt.
Le Mouvement du 23 mars (M23) a lancé en mars 2022 une offensive qui a plongé à nouveau l’est de la RDC dans l’horreur. Depuis, le M23 est accusé par l’ONU, les ONG et les organisations locales de commettre exécutions sommaires, viols de masse, déplacements forcés, pillages et recrutements forcés, notamment d’enfants.
Les chiffres donnent la mesure de l’horreur: 7,4 millions de déplacés internes – un record en Afrique –, une crise humanitaire qui s’aggrave, et, selon l’UNICEF, un enfant violé toutes les 30 minutes dans certaines zones du Nord-Kivu.
Cette résurgence s’explique par le soutien actif du Rwanda et de son président Paul Kagame, dont l’appui militaire vise à contrôler les ressources minières stratégiques de la RDC. Kigali nie, mais les preuves s’accumulent.
L’accord de Washington: un espoir mort-né?
Le 27 juin 2025 à Washington, un accord a été signé entre le Rwanda et la RDC.
L’accord de Washington affirme l’intégrité territoriale congolaise, prévoit le retrait des troupes rwandaises sous conditions, la fin du soutien du Rwanda et de la RDC aux milices, la mise en place d’un mécanisme conjoint de sécurité et un cadre d’intégration économique régionale.
Mais cet accord, signé en grande pompe devant les caméras, n’a pas changé la réalité du terrain. Les derniers rapports soulignent même une accélération du nombre de morts, tandis que le M23 et le Rwanda s’affairent à développer une administration parallèle dans les zones conquises, signe évident d’une volonté d’annexion.
Si la diplomatie reste au centre des mécanismes de médiation, l’implication active de la population et de la société civile reste jusqu’ici trop négligée. Alors que la situation humanitaire ne cesse de se dégrader et que les fonds se réduisent à vue d’œil, les besoins des communautés locales— notamment celui d’une justice réparatrice — doivent nécessairement être entendues, ou les signataires risqueront de se priver des moyens nécessaires pour assumer leur rôle de pacificateurs.
Cet accord est en l’état un malheureux symbole du désintérêt de l’Occident pour une crise et une région dans lesquelles il est plus impliqué qu’il aimerait l’admettre. Dans une région où les tensions communautaires trouvent leur source dans les déplacements forcés sous Léopold II, le M23 et le Rwanda pillent le sous-sol congolais en quasi-impunité. Les Etats «développés» et les multinationales profitent d’un commerce meurtrier, tandis que la population paie le prix du silence.
L’Accord de Washington n’a prévu aucun mécanisme de sanction ou de suivi. Voilà peut-être l’erreur fondamentale. La signature d’un nouvel accord à Doha tentera de pallier ce manquement.
Les dérives d’un ordre mondial
Le président rwandais Paul Kagame mène sa guerre, conscient d’être protégé par la passivité internationale. Il agit à l’instar de nombreux leaders qui ferment les yeux sur les violations du droit et privilégient leurs intérêts, dans un monde qui sombre dans le cynisme le plus profond, aussi profondément que le mutisme dans lequel le droit international a coulé.
Les conflits tels que celui qui dévaste la RDC ou Gaza sont les expressions d’un ordre multilatéral universaliste, tel que défini en 1945, qui a cédé face à un néolibéralisme défait de toutes considérations éthiques et morales. Certains diront que c’est surtout l’empire colonial occidental qui n’a jamais réellement voulu mourir. Et partout, le droit, vidé de sa substance par des considérations économiques ou idéologiques a échoué à apporter la justice aux victimes, laissant le champ libre à l’impunité pour semer la haine et le chaos.
Effrayés de déstabiliser un monde dans lequel l’Occident est maître, nos Etats semblent incapables d’inverser les dynamiques de la haine et de la guerre, en Afrique ou au Moyen-Orient.
Les quelques décisions politiques continuent d’éviter les racines du problème: l’ordre mondial actuel a relégué l’humain et le droit derrière l’argent et l’idéologie. Sans un soutien réel envers le droit international et les valeurs humanistes et universalistes, cette sombre logique emportera notre humanité dans son sillage.
Et c’est dans cette logique-là que s’inscrit la guerre de Kagame. Appâté par le gain, rassuré par la mansuétude occidentale et les faiblesses du droit international, conforté par l’impunité presque totale, les troupes rwandaises agissent librement pour réaliser les rêves de leur président.
L’accord de Washington a échoué parce qu’il a écarté la société civile et relégué la justice au second plan. Dépourvu de garanties sécuritaires et mécanismes de prévention, il n’a pas offert une réponse crédible aux défis de la RDC et de la région. L’idéologie dominante de la politique internationale s’est chargée de clouer le cercueil.
A mes yeux et celui de mon parti, il faut appliquer des sanctions ciblées contre Paul Kagame, les responsables militaires rwandais et les chefs du M23, ainsi que contre les entreprises profitant illégalement des minerais congolais. Une traçabilité stricte des ressources est indispensable pour tarir le financement de la guerre.
Nous appelons à la création d’un mécanisme international de justice chargé de juger les crimes de guerre, à un financement massif de l’aide humanitaire et à une politique étrangère belge et européenne fondée sur le droit international, rejetant la diplomatie transactionnelle.
L’histoire jugera notre inaction. Comme hier au Rwanda, comme aujourd’hui en RDC, en Palestine ou au Soudan, il est temps de se tenir du bon côté de l’Histoire: celui de l’humanité.