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Guerre au Soudan: massacres à huis clos et dans l’indifférence –presque– générale

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La conquête de la ville d’El-Fasher par les Forces de soutien rapide s’accompagne de massacres contre la population civile. Ce tournant dans la guerre du Soudan ne suscite pas plus de réactions internationales que les autres.

L’organisation humanitaire Médecins sans frontières, présente dans la ville de Tawila, regrette de ne pas avoir vu arriver davantage de déplacés de celle d’El-Fasher, située à 60 kilomètres de distance, après sa conquête par les Forces d’action rapide (FSR), un des belligérants de la guerre du Soudan qui a commencé en avril 2023. Cette attitude, qui peut sembler paradoxale, reflète les immenses craintes que nourrissent les acteurs humanitaires au Soudan sur le sort réservé à la population de cette ville du Darfour du Nord.

«Un dépistage de malnutrition pour les enfants de moins de 5 ans a révélé que 100% étaient malnutris.»

Malnutrition sévère

Elles sont alimentées par les massacres dont les FSR se sont rendues responsables dans la ville d’Al-Geneina, en juin 2023, et dans le camp de déplacés de Zamzam, en janvier 2025, tous deux situés au Darfour. Elles le sont aussi par les témoignages fournis par les premiers habitants d’El-Fasher accueillis par MSF à Tawila. «Ils décrivent des massacres et évoquent des personnes retenues sur place, victimes de tortures, d’enlèvements contre rançon, de violences sexuelles et d’exécutions sommaires», explique MSF. «Entre le 20 et le 30 octobre, on a reçu à Tawila plus de 2.000 déplacés d’El-Fasher, , détaille Aurélie Lécrivain, coordinatrice de la communication de MSF au Soudan, qui était encore présente à Tawila fin octobre. C’est davantage que ce que Médecins sans frontières avait l’habitude de recevoir auparavant, qui était de l’ordre de 50 patients par jour. En revanche, ce n’est rien comparé aux personnes qui, estime-t-on, sont toujours à El-Fasher, évaluées à plus de 200.000. C’est notre inquiétude. On se demande vraiment ce qui leur est arrivé.» «D’après ce que nous disent les patients, la réponse la plus probable, bien qu’effrayante, est qu’elles sont tuées, retenues et pourchassées lorsqu’elles tentent de fuir», avance Michel Olivier Lacharité, responsable des opérations d’urgence de MSF, dans un communiqué publié le 3 novembre.

La catastrophe humanitaire à El-Fasher est annoncée depuis quelque temps. Les Forces de soutien rapide assiègent la ville depuis 18 mois. «La plupart des familles accueillies dans notre centre de santé à l’entrée de Tawila nous ont déclaré ne pas avoir eu d’autre choix que de manger du fourrage. C’est évidemment une conséquence dévastatrice du siège imposé par les FSR, souligne Aurélie Lécrivain. Un dépistage de malnutrition pour les enfants de moins de 5 ans effectué le 27 octobre a révélé que 100% d’entre eux étaient malnutris, dont 57% de façon sévère.» Le lendemain, 120 hommes étaient examinés, 20% présentaient un niveau de «malnutrition aiguë sévère».

Le général Hemetti, chef des FSR, dont un frère a mené une grande partie du siège d’El-Fasher. © Anadolu Agency via Getty Images

Huis clos inquiétant

Les violences des FSR à El-Fasher sont aussi attestées par la révélation de l’assassinat de plus de 450 personnes dans l’hôpital al-Saudi, le seul encore opérationnel, dont MSF avait dû se retirer en août 2024 en raison de l’insécurité, et par des images satellites de l’Humanitarian Research Lab de l’université de Yale aux Etats-Unis. Les images prises avant et après la conquête d’El-Fasher recensent 31 regroupements correspondant à des corps humains dans et autour de la ville. A MSF, des témoins oculaires ont, en outre, rapporté que 500 civils ainsi que des soldats des Forces armées soudanaises, ayant tenté de fuir le 26 octobre, avaient pour la plupart été tués ou capturés par les Forces de soutien rapide. Près de deux semaines après la chute de la capitale du Darfour du Nord, l’accès de sources d’information indépendantes et d’opérateurs humanitaires n’a pas encore été autorisé, ce qui fait craindre un massacre de masse à huis clos.

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