Le sens des affaires suffit-il pour imposer la fin du conflit entre le Congo et le Rwanda? A peine signé, le «deal de Washington» montre déjà ses limites.
Cette fois-ci sera-t-elle la bonne? Après 30 ans de conflits meurtriers dans l’est du Congo sur fond de prolifération de groupes armés, les ministres des Affaires étrangères du Congo et du Rwanda ont signé, le 27 juin, un accord de paix à Washington, sous l’égide des Etats-Unis, et en présence du président Trump himself. Il implique la fin des hostilités, le respect de l’intégrité territoriale du Congo, et donc le retrait des forces rebelles du M23, soutenues par Kigali. Celles-ci occupent toujours les deux grandes villes de l’est, Goma et Bukavu, et de vastes territoires miniers qui font l’objet d’un pillage en règle.
Le texte prévoit aussi un mécanisme conjoint afin de surveiller la frontière et de coordonner les opérations contre les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda, milices hutues liées aux responsables du génocide des Tutsi en 1994), qui ont été l’incessant prétexte du président rwandais Paul Kagame pour intervenir depuis trois décennies à l’est du Congo, directement ou par l’intermédiaire des milices inféodées, même si Kigali n’a cessé de nier l’évidence. L’ONU parle d’une présence d’une force d’occupation de 3.000 à 7.000 soldats rwandais.
Last but not least, l’accord prévoit aussi un «cadre d’intégration économique régionale», qui sera détaillé dans un texte distinct. Ce volet vise à attirer des investissements étrangers massifs dans les minerais (cobalt, lithium, cuivre…), un secteur dominé par les Chinois, et à développer des «chaînes de valeur régionales» incluant la RDC et le Rwanda. Tout profit pour les entreprises américaines proches des républicains, mais aussi celles liées aux pouvoirs à Kinshasa et Kigali. Le secrétaire d’Etat Marco Rubio a souligné que ce «corridor de paix et d’investissement» ouvrirait des opportunités inédites.
A première vue, c’est un grand succès pour la diplomatie américaine. Il souligne en creux la cruelle absence de l’Union européenne, à commencer par la Belgique, experte du dossier, mais dont les critiques à l‘égard du Rwanda ont poussé celui-ci à couper les ponts. Les médiateurs africains jouent également les seconds rôles, à l’image du président angolais qui a jeté l’éponge fin 2024. Dans sa course pour sauver son pouvoir, le président congolais Félix Tshisekedi avait ensuite fait miroiter les richesses de son pays aux Américains, et Washington avait repris l’initiative. Mais aujourd’hui, des ONG congolaises craignent qu’on entérine le pillage des ressources congolaises, sous couvert d’intégration économique.
«Kagame saura comment exploiter les lacunes de l’accord.»
Business avant tout
Entré dans la danse, le Qatar se focalise, lui, sur les négociations, toujours en cours, entre Kinshasa et les rebelles du M23. «Les Qatariens et les Américains ont le même agenda, à savoir profiter de l’exploitation des minerais sans qu’il n’y ait plus de conflits, déclare le politologue et spécialiste de l’Afrique centrale Dieudonné Wamu Oyatambwe. L’émirat est le principal partenaire commercial du Rwanda dans beaucoup de domaines (NDLR: notamment le secteur aéronautique). Mais le Qatar est bien conscient que presque tous les minerais qu’il importe depuis le Rwanda proviennent du Congo. Comme il a aussi lancé plusieurs programmes de coopération avec Kinshasa, il a intérêt à garder de bonnes relations avec les deux pays.»
«Si le business peut se poursuivre en toute sécurité, l’objectif des protagonistes est atteint, et peu importe la manière dont les choses vont s’ordonner en interne, poursuit le politologue. Par exemple, les efforts des Eglises catholique et protestante en vue du dialogue intercongolais ne semblent pas concerner les deux parrains du processus.» «Or, cette question se posera rapidement», enchaîne un diplomate belge, tant il est vrai que la violence dans l’est de la RDC est aussi alimentée par la faiblesse de l’Etat congolais, la mauvaise gouvernance, la corruption, les conflits fonciers… Et le diplomate de rappeler les accords restés lettre morte jusqu’à présent, à commencer par l’accord-cadre pour la paix en Afrique centrale, signé par onze pays à Addis-Abeba (Ethiopie) en… 2013.
Mise en garde
Mais l’incertitude règne sur un investissement à long terme des Etats-Unis. Avec ce risque: sans mesures coercitives, le nouvel accord pourrait, lui aussi, passer à la moulinette de l’histoire. C’est la mise en garde lancée dans une lettre ouverte à Donald Trump par Theogene Rudasingwa, ancien chef de cabinet du président Kagame, et ex-ambassadeur de son pays à Washington, où il vit désormais en exil. Ce Tutsi détecte les faiblesses du «deal de Washington»: pas de sanctions automatiques en cas de non-respect, mécanisme de surveillance peu dissuasif, rebelles du M23 non signataires, Etat congolais trop faible…
«Le général Kagame sait comment exploiter ces lacunes, pointe l’opposant. Il fera des gestes symboliques pour les caméras, tout en gardant au Congo des conseillers en civil, les armes circulant par des voies détournées. Il mettra en cause la lenteur de Kinshasa [à transposer l’accord], l’instabilité régionale ou la menace des rebelles FDLR pour justifier une nouvelle intervention « temporaire ».» Et le cycle reprendra, avec une nouvelle rébellion téléguidée depuis Kigali, dont les citoyens congolais seront les premières victimes.
«Ce sont eux les grands oubliés de l’accord de paix, conclut Dieudonné Wamu Oyatambwe. Les massacres, les violences, les viols, les personnes déplacées, personne n’en parle. Ni de justice. On a seulement négocié autour de l’exploitation minière. En clair, on a signé sur le dos des citoyens des arrangements pour permettre à ceux qui sont venus les massacrer de continuer à exploiter. Cela ne fera que renforcer les acteurs de ces pillages systématiques.» Quant aux rebelles, on ne sait ce qu’ils deviendront. Pour l’heure, aucun retrait n’est encore visible sur le terrain. Et, depuis l’accord, les présidents Kagame et Tshisekedi ne se sont toujours pas serré la main.