
Comment les Etats-Unis et le Qatar ont débloqué la voie vers une trêve à l’est du Congo
Les leviers financiers de l’axe Washington-Doha ont permis de faire converger les intérêts des belligérants à l’est du Congo. Une évolution inattendue, mais fragile.
Est-ce le début de la désescalade? En guerre ouverte depuis plusieurs mois, la République démocratique du Congo et le Rwanda pourraient bien enterrer la hache de guerre. Le dernier épisode en date est la déclaration de principes signée le 25 avril à Washington sous l’égide du secrétaire d’Etat américain Marco Rubio, en présence des chefs de la diplomatie des deux pays. Le Congo et le Rwanda s’engagent à respecter leur souveraineté respective et à s’abstenir de soutenir des mouvements rebelles, tandis que Washington serait prêt à consentir des «investissements considérables» dans les minerais du Congo. Un avant-projet d’accord de paix devait être finalisé avant le 2 mai.
Depuis plusieurs mois, le Rwanda est accusé d’appuyer en hommes et en armements le mouvement rebelle AFC (Alliance Fleuve Congo)/M23, qui a fait main basse sur des territoires entiers de l’est du Congo, dont les deux capitales provinciales Goma et Bukavu. Au point que l’Union européenne a commencé à édicter des sanctions contre Kigali. De son côté, Kigali reproche à son voisin de soutenir les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), accusées de perpétuer l’agenda génocidaire mis en œuvre contre les Tutsis en 1994 au Rwanda, avec le massacre de près d’un million de citoyens.
Le président congolais Félix Tshisekedi avait déjà fait miroiter aux Américains combien son pays était un maillon essentiel pour les défis de la transition énergétique et des chaînes d’approvisionnement en minerais critiques. Ce n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd. «Ce qui a fait bouger les Américains, c’est la guerre commerciale avec la Chine. Pékin a restreint l’exportation de minéraux des terres rares et il fallait d’urgence trouver une autre source», confie une source diplomatique belge. Le Rwanda est également en discussion avec l’équipe Trump pour garder ses intérêts financiers à l’est du Congo, en concertation cette fois avec Kinshasa.
Rejet du discours de haine
Mais le Qatar est aussi à la manœuvre. La déclaration de Washington intervient deux jours après un communiqué conjoint signé à Doha entre le gouvernement congolais et l’AFC/M23, et qui a débouché sur un engagement en faveur d’une cessation immédiate des hostilités, alors que Félix Tshisekedi avait juré que jamais il ne parlerait avec des «terroristes». L’émirat, fidèle allié des Américains, et qui multiplie les efforts dans différentes crises (Gaza, Afghanistan…), avait déjà organisé en mars, à la surprise de tous, une rencontre entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame, au cours de laquelle les deux dirigeants ont laissé tomber les invectives pour appeler à un cessez-le-feu.
«L’axe américano-qatarien a permis de dévoiler la véritable cause du conflit, à savoir l’exploitation des ressources naturelles, commente le politologue Dieudonné Wamu Oyatambwe. Les génocidaires, les réfugiés, les déplacés, ce sont presque des questions subsidiaires. Washington et Doha veulent raffermir l’axe Congo-Rwanda, c’est une partie à quatre qui est en train de se jouer. Ils sont également motivés par la concurrence avec les Chinois, déjà très présents au Katanga.»
Dans le communiqué conjoint signé à Doha, l’AFC/M23 et Kinshasa réaffirment aussi le rejet catégorique de tout discours de haine et d’intimidation et appellent toutes les communautés locales à respecter ces engagements. «Avec l’accélération des pourparlers, les deux parties se préparent maintenant à un cycle de discussions plus approfondies pour aborder les questions fondamentales à l’origine du conflit et jeter les bases d’un règlement politique global», commente-t-on officiellement à Doha.
Le plus dur reste à faire
«Finalement, tout le monde s’y retrouve», commente la source diplomatique belge. Tshisekedi avait un urgent besoin de desserrer l’étreinte autour de son pouvoir. Le Rwanda aussi était en difficulté, car mis en cause dans les rapports de l’ONU et sous sanctions de l’UE. Washington s’offre un accès au sous-sol congolais, et le Qatar peut maintenir ses deux fers au feu, à la fois préserver ses intérêts au Rwanda –notamment aériens, avec le financement du nouvel aéroport de Kigali–, tout en ménageant ses bonnes relations avec Kinshasa, avec qui il a signé plusieurs accords-cadres de coopération économique.
Mais le jeu est et loin d’être terminé. Un dialogue interne entre le pouvoir congolais et son opposition devra être enclenché. «Le président Tshisekedi n’est pas en position de force et n’a plus la même autorité qu’au début de son deuxième mandat, quand il se croyait tout permis, commente Dieudonné Wamu Oyatambwe. Il devra partager son pouvoir. Parmi l’opposition armée et l’opposition politique, beaucoup voudront avoir voix au chapitre. De leur côté, les Qatariens et les Américains voudront sauver la face de ceux qui ont pris les armes et pousser à leur intégration dans l’appareil congolais.»
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Mais c’est là que le bât blesse: «Beaucoup de Congolais refusent ou redoutent le procédé de brassage déjà utilisé auparavant et qui consiste à intégrer des éléments rebelles dans l’armée nationale, souligne le politologue. Si on répète ce scénario, on tue le processus de recréation ou de reconsolidation de l’armée congolaise.» Le mouvement citoyen Lucha a déjà mis en garde: il ne s’agit pas de «récompenser les criminels au détriment des victimes» ni de consacrer une amnistie générale pour les auteurs de crimes graves. «Le pays a déjà montré par le passé combien la légitimation du recours aux armes comme mode d’accès au pouvoir politique pouvait entraîner des effets délétères.» Lesquels déstabilisent le Congo depuis plusieurs décennies.
«C’est une partie à quatre qui est en train de se jouer.»
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