L'abrasion des pneus libèrent des molécules dangereuses pour l'homme et l'environnement.

«Un cocktail toxique»: comment vos pneus vous mettent en danger

L’abrasion des pneus libère des milliers de molécules nocives pour l’homme et la nature, dont certaines cancérigènes. Une association tire le signal d’alarme, chiffres à l’appui.

«Un cocktail toxique pour la santé et l’environnement»: dans une étude au titre évocateur, l’association française Agir pour l’environnement se penche sur la composition chimique des pneumatiques automobiles. Des analyses ont été effectuées par un laboratoire indépendant britannique sur le modèle de pneu «tout temps» de six grandes marques (Bridgestone, Continental, Goodyear, Hankook, Michelin et Pirelli) pour savoir ce qui était relâché dans l’air lors de l’abrasion du caoutchouc. Les résultats sont sans appel: 1.954 molécules ont été identifiées, dont 785 présentaient de «graves risques sanitaires et environnementaux», soit 40% des substances.

L’association explique que parmi ces molécules, 112 sont «cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques», 85 sont «potentiellement mortelles en cas d’ingestion et de pénétration dans les voies respiratoires» ou encore que des dizaines sont «mortelles en cas d’ingestion, d’inhalation et de contact cutané». Parmi elles, le benzène, hydrocarbure hautement toxique, présente plusieurs risques cancérigènes, que l’on retrouve notamment dans le pétrole. «Ces particules exposent l’ensemble de la population, en particulier les enfants, à des risques accrus de cancers, de troubles neurologiques, ainsi que de maladies respiratoires et cardiovasculaires», peut-on également lire dans le rapport, largement relayé en France, où «l’abrasion des pneus entraîne le rejet de 50.000 tonnes de substances dans l’air, les sols et les eaux» chaque année.

Dans l’air, l’eau et sur des fruits et légumes

De nombreuses études ont déjà pointé la dangerosité sur la santé des pneus, dont la composition exacte est inconnue car protégée par le secret industriel. Ici, les composés organiques, dont la dangerosité est connue, sont clairement identifiés. Surtout, il semble impossible ou presque pour l’instant d’éviter d’y être exposé, alors qu’un pneu de voiture perd en moyenne 2,5 kilos de matière, pour 200 kilos pour un poids lourd et sa remorque, selon les chiffres confirmés par le syndicat des fabricants de pneus dans Le Parisien. Ces particules microscopiques et extrêmement volatiles restent en suspension ou sont dispersées dans l’air et se retrouvent dans l’eau, le sol et l’environnement. Les pneus, étant des déchets peu recyclés, peuvent aussi contaminer les eaux de ruissellement ou souterraines lorsqu’ils sont stockés à l’extérieur.

«Nous ingérons ces particules de plastique à travers notre nourriture et nos boissons»

Agir pour l’environnement

Une étude relayée par National Geographic un peu plus tôt cette année avait ainsi mis en évidence la présence de particules issues de l’abrasion de pneus empoisonnant les saumons dans des fleuves aux Etats-Unis. En Suisse, 31% de fruits et légumes portaient des traces d’additifs utilisés dans la fabrication des pneus, selon des analyses menées en 2024. «Le régime alimentaire étant globalement le même dans toute l’Europe de l’Ouest, on peut imaginer que ces chiffres sont représentatifs de l’exposition à ces particules dans les pays voisins», soulignait dans Le Temps Florian Breider, l’un des chercheurs derrière cette étude. De quoi confirmer un peu plus l’une des conclusions de l’association Agir pour l’environnement: «Ces particules de plastique finissent par s’accumuler dans tous les organismes, y compris le nôtre; nous les ingérons à travers notre nourriture et nos boissons; nous les inhalons dans l’air que nous respirons et, pour les plus fines, nous les absorbons par contact avec la peau».

«Vraiment effrayant»

«C’est vraiment effrayant», s’alarme Céline Bertrand, médecin spécialiste en santé environnementale au sein de la Société scientifique de médecine générale (SSMG). «L’inhalation des microparticules évoquées est particulièrement dangereuse pour la santé: plus elles sont fines, plus elles vont pénétrer profondément dans l’arbre respiratoire. Elles peuvent aussi rejoindre le système sanguin et contaminer des organes comme le cerveau. De manière chronique, cela peut conduire à des troubles neurodéveloppementaux ou encore à des cancers», explique-t-elle, s’inquiétant du fait que nous sommes «exposés en continu» à celles-ci, encore plus en milieu urbain avec des voitures omniprésentes qui freinent ou accélèrent sans cesse, dégageant ainsi ces molécules dangereuses. «Les enfants, l’un des publics les plus vulnérables, sont encore plus « à hauteur » des voitures et donc encore plus fragilisés», ajoute la médecin.

«Quand on parle de la pollution des voitures, on pense beaucoup au pot d’échappement et aux gaz qu’ils rejettent, mais moins voire pas du tout aux pneus. Ces résultats doivent renforcer l’attention à porter à ces pollutions, car le grand public n’est probablement pas conscient des dommages causés ici», commente Alain Geerts, chargé de mission mobilité auprès de Canopea. Cette problématique, alors que le secteur des transports représentait 25,1 % des émissions de gaz à effet de serre en Belgique en 2023, ne concerne d’ailleurs pas uniquement les véhicules thermiques, mais aussi les modèles électriques, pourtant plus «verts». Moins polluants au niveau du moteur, ils sont en revanche plus lourds (en raison de la présence de la batterie notamment), et vont donc user plus rapidement leurs pneus, avaient souligné des chercheurs britanniques dans une étude en 2023.

Lever le secret industriel

Pointés du doigt, les «grands manufacturiers n’ont pas attendu cette étude pour agir et travaillent déjà sur ce sujet depuis une quinzaine d’années», a assuré le syndicat du pneu à TF1 Info. Des pneus «verts» existent déjà, mais ils ne sont pas exempts de toute pollution. Les grands fabricants travaillent pour proposer des pneus plus écologiques, avec des matières moins dangereuses pour la santé et s’usant moins vite. Dans Le Parisien, Michelin se dit ainsi «favorable à l’établissement de seuils réglementaires d’abrasion des pneus pour limiter les émissions de particules partout dans le monde». L’entreprise française a d’ailleurs contacté l’ONG après la publication de son étude, explique Oliver Charles, coordinateur des campagnes climat, énergie et transports pour Agir pour l’environnement: «Ils assurent vouloir travailler avec nous, entre autres, pour trouver des solutions. Ils avaient déjà fait la même chose après notre premier rapport publié l’année dernière sur l’abrasion des pneus».

Agir pour l’environnement appelle de son côté à lever le secret industriel pour connaître la composition exacte des pneus et leur toxicité, à interdire certaines substances toxiques dans leur fabrication, à modifier la législation encadrant leur commercialisation et leur étiquetage. L’association encourage aussi à interpeller les fabricants de pneumatiques et les députés européens, tout en incitant les citoyens à éviter d’acheter des SUV ou des véhicules lourds et à privilégier les transports en commun, la marche ou le vélo quand cela est possible. «Adoptez la conduite la plus souple possible, ce qui permet d’atténuer (un peu) le phénomène d’abrasion», souligne-t-elle.

La balle est désormais surtout dans le camp des autorités publiques. «Nous ne sommes qu’une ONG environnementale et n’avons pas autant de moyens que des grandes agences européennes, qui se doivent de prolonger ce genre d’étude», glisse Oliver Charles. «Nous n’avons pu analyser que six pneus et nous avons tout de même trouvé plusieurs centaines de molécules dangereuses. Il y a un manque d’informations sur les réelles conséquences sur la santé humaine ou à quel point nous sommes exposés, ce qui pourrait être révélé avec des analyses plus poussées».

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