Se passer du plastique? Pas simple… Pourtant, il est urgent de (ré)agir tant la «pollution blanche» détruit l’environnement, mais aussi et surtout la santé.
Si vous êtes abonné au Vif, vous aurez constaté que votre hebdo préféré n’est plus protégé par du plastique mais du papier pour parvenir jusque dans votre boîte aux lettres. Un détail pour vous, un vrai progrès pour le groupe Roularta, qui affiche des ambitions de durabilité depuis des années. Passer du plastique au papier paraît simple. «Cela a tout de même nécessité l’achat d’une nouvelle machine et la conversion de deux autres, existantes, souligne Steven Renders, directeur général du printing. Aujourd’hui, trois de nos quatre machines font de l’emballage papier. Cela concerne 80% de nos publications. Les 100% seront atteints un peu plus tôt que prévu, avant la fin de 2025.»
Il a fallu trouver de nouveaux fournisseurs et choisir le bon papier, plus fin que celui du magazine (soit 38 g au mètre carré contre 70 g) mais plus résistant, plus flexible et moins brillant. Tout cela coûte un peu plus cher. «Mais le principal est que nous économisons 30 kilomètres de film plastique pour 100.000 exemplaires imprimés», chiffre Steven Renders. En outre, le papier perdu dans le processus de production (il y a toujours un peu de déchet au démarrage) est récupérable et entièrement recyclable, ce qui n’était pas le cas du plastique très fin et souple de l’emballage précédent. L’imprimerie de Roulers ne peut que se satisfaire de ce pas en avant.
500 millions de tonnes de plastiques sont produites par an. D’ici à 2060, ce sera trois fois plus.
En Belgique, en Europe et ailleurs sur la planète, de plus en plus d’entreprises réfléchissent dans le même sens. Elles prennent conscience que renoncer au plastique, surtout à usage unique, est devenu une nécessité. Selon Bruxelles Environnement, depuis les années 1950, plus de neuf milliards de tonnes de plastiques ont été produites dans le monde. Cela équivaut à l’ensevelissement de la totalité de la Belgique sous plus de sept mètres de cette matière. Or, la production ne cesse d’augmenter. Entre 2000 et 2024, elle est passée de 234 à 500 millions de tonnes par an, soit plus du double. L’OCDE prévoit qu’elle sera multipliée par trois d’ici à 2060.
Même si le recyclage de nombreux polymères –les principaux matériaux dont sont constitués les plastiques– s’est fortement développé ces dernières années, la pollution plastique n’en est pas moins terrifiante. Le sommet de l’ONU sur les océans, organisé à Nice, vient encore de le démontrer. Huit millions de tonnes de plastique sont répandus chaque année dans les mers du globe. «C’est l’équivalent d’un camion poubelle chaque seconde, avertit Nadia Cornejo, porte-parole et conseillère chez Greenpeace, qui plaide d’urgence pour une réduction de la production, puisque le recyclage ne suffit pas –loin de là– à canaliser la masse.
Facile à dire. Facile à faire? Pourquoi est-il si compliqué de se passer de ce polymère? Environ 5% du plastique produit dans le monde sert à fabriquer des équipements électriques (appareils ménagers, écrans de télévision, laptops, GSM, gaines de câbles…), près de 10% est utilisé dans le secteur automobile (notamment pour le design intérieur), quelque 20% dans le bâtiment (les fenêtres en PVC, canalisations, isolants…), approximativement 30% pour fabriquer des équipements en dur (bacs, jouets, mobilier, matériel sportif…) et plus d’un tiers pour des emballages ménagers, commerciaux et industriels. Le secteur des emballages est donc le plus grand producteur de déchets plastiques. Et il s’agit le plus souvent de contenants à usage unique destinés aux aliments et aux boissons.
Concombre et courgette
Pour la plupart d’entre elles, les entreprises concernées en ont conscience, d’autant que la demande des consommateurs pour supprimer le plastique ne cesse de grandir. «Mais pour certaines dans la grande distribution, il est existentiel, atteste Pierre-Alexandre Billiet, CEO du groupe et du magazine Gondola, spécialiste de la grande distribution. Un exemple parlant: un concombre et une courgette sans film plastique restent bons quatre jours alors que sous plastique, on peut compter au moins dix jours. Ils peuvent donc rester plus longtemps en rayon. Dans la consommation de masse actuelle, le plastique reste essentiel pour l’ultrafrais.»
Chez Comeos, la fédération du commerce et des services, Nathalie De Greve, directrice durabilité, rappelle que la propriété première du plastique est de protéger le produit pour garantir l’hygiène et le frais. «Des études ont démontré que cela augmente sensiblement la durée de vie des produits, notamment bio, confirme-t-elle. L’avantage est aussi de permettre au consommateur de voir ce qu’il achète. C’est important. Le gobelet de tomates cerises est désormais généralement en carton, sauf le couvercle pour laisser une visibilité sur le produit. L’acceptation par le consommateur joue un rôle important dans la politique plastique de la grande distribution.»
Il existe néanmoins, à l’échelon européen, des objectifs de réduction des emballages à usage unique, même pour les fruits et légumes. Ceux-ci, lorsqu’ils pèsent moins de 1,5 kilo, sont nommément ciblés par la nouvelle réglementation UE sur les emballages, entrée en vigueur le 11 février dernier. «Cela risque néanmoins d’avoir un effet pervers, prévient le CEO de Gondola. Car si la durée de vie des produits est réduite à cause de l’absence de plastique, cela entraînera davantage de gaspillage alimentaire. Or, les Belges sont les deuxièmes plus gros gaspilleurs en Europe, avec 30 kilos de nourriture jetés à la poubelle par personne et par an. Cela pose aussi question sur le plan environnemental.»
Les supermarchés n’ont pas attendu ce nouveau règlement pour restreindre les emballages. «Des plans de prévention sectoriels sont réfléchis et mis en place depuis des années au niveau interrégional, commente Nathalie De Greve. L’offre en vrac a sensiblement augmenté ces derniers temps et les sachets en papier sont devenus la règle. La grande distribution s’est également engagée à supprimer les autocollants non compostables sur les fruits et légumes à marque propre.» Les avancées sont souvent imperceptibles mais nombreuses.
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Pour permettre un meilleur recyclage, les barquettes blanches (en polystyrène extrudé) contenant la viande et le poisson se sont généralisées. Celles de champignons ont troqué la couleur bleue contre le blanc, davantage recyclable, et une barquette consignée réutilisable pour l’ensemble des supermarchés verra le jour en 2026 sous forme de projet pilote. On pourrait multiplier les exemples. Tout cela contribue aux chiffres encourageants dont se targue FostPlus. L’organisme qui coordonne le tri et le recyclage de tous les emballages en Belgique en a recyclé 840.000 tonnes l’an dernier, soit 18% de plus qu’en 2023. L’augmentation concerne aussi les quantités de PMC récoltées et recyclées.
Certains plastiques sont cependant beaucoup moins commodes à recycler que d’autres, notamment lorsqu’ils sont très fins comme les films alimentaires. Pour les bouteilles, en revanche, c’est plus simple. Il faut savoir aussi que le recyclage coûte cher et nécessite l’utilisation de produits chimiques. En outre, contrairement au verre ou au métal, le plastique n’est pas recyclable à l’infini, mais deux ou trois fois maximum. Enfin, le processus dépend grandement de la qualité du tri. Là, il subsiste encore beaucoup d’efforts à réaliser, par exemple sur les logos permettant de voir ce qui est recyclable ou pas.
«Le consommateur ingère jusqu’à cinq grammes de plastique par semaine, l’équivalent d’une carte de crédit.»
Une vieille addiction
Se passer du plastique n’est pas simple tant il s’est incrusté, depuis les années 1950, dans la vie quotidienne, jouant un rôle important dans le confort de vie. Bon marché, pratique, polyvalent, il s’est rendu indispensable, voire addictif. Si sa production croît de manière presque exponentielle depuis 20 à 30 ans, c’est aussi parce que 99% des plastiques sont produits à partir de pétrole, ou plus exactement du naphta qui, obtenu après raffinage du brut, sert de matière première à la pétrochimie. Et comme depuis les années 1990, exceptés quelques soubresauts, le prix de l’or noir est resté relativement peu cher, le plastique a systématiquement remplacé le carton, le papier et bien d’autres matériaux. Tant que le prix du plastique sera hypercompétitif, sa destitution restera difficile.
Pourtant, cette matière pétrochimique est toxique. On en découvre de plus en plus les ravages. «Le plastique est un énorme perturbateur endocrinien essentiellement au travers des boissons en bouteille, constate Pierre-Alexandre Billiet. Il y a de plus en plus d’études sur ce sujet encore méconnu et aussi beaucoup de lobbying. Mais il faut savoir que le consommateur ingère en moyenne jusqu’à cinq grammes de plastique par semaine.» Soit l’équivalent d’une carte de crédit. C’est en effet ce qu’a révélé, en 2019, une étude de l’université de Newcastle ayant compilé les résultats de dizaines d’autres recherches.
«Cela provient évidemment des contenants alimentaires, mais aussi des microplastiques rejetés dans l’environnement par des industriels, pointe Nadia Cornejo. On en produit énormément en Belgique, surtout avec de grosses usines comme Ineos à Anvers, 3M à Zwijndrecht ou Total à Feluy, toutes trois responsables d’importants rejets de Pfas.» On se souvient de la carte de pollution éternelle publiée par Le Monde montrant surtout le nord de notre pays constellé de points rouges.
Le problème, on le sait désormais, c’est que ces microsubstances se retrouvent partout, en particulier dans les aliments et l’eau de consommation, jusqu’à atteindre les grands fonds des océans à plus de 3.000 mètres de profondeur. «Greenpeace demande que le pollueur paie pour la dépollution, expose sa porte-parole. Aujourd’hui, ces entreprises dont la production nuit à la santé et à l’environnement ne paient aucun dédommagement. Cela incombe à la collectivité. Ce n’est pas normal. Il faut leur imposer le principe du pollueur-payeur.» L’idée est aussi et surtout de mettre fin à la production de plastique. Car celui-ci est tellement envahissant que ni le recyclage, ni le nettoyage de sites, ni l’assainissement des zones océaniques les plus touchées ne suffisent pour juste contenir ce fléau.
Cibler la production est au cœur des négociations engagées par le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) à Busan (Corée du Sud) en décembre dernier, et qui reprendront à Genève (Suisse) début août. Ce sera alors le sixième round de discussion autour d’un traité mondial sur le plastique entre les 170 Etats réunis. Ce qui coince surtout, c’est la résistance des Etats producteurs de pétrole, comme l’Iran, l’Arabie saoudite, Oman, la Russie ou le Venezuela, pour qui la production de plastiques est un business juteux. L’industrie fossile en général tente d’influencer ces pourparlers, comme elle le fait dans les coulisses des COP annuelles, en y envoyant des dizaines de lobbyistes qui y vantent les vertus du recyclage pour empêcher qu’on évoque le sujet de la restriction de la production. Les discussions du dernier sommet de Nice devraient permettre de mettre un peu plus la pression sur les négociateurs qui se retrouveront à Genève.
Pour Pierre-Alexandre Billiet, il y a aussi une autre manière de diminuer l’utilisation de plastique. «En repensant la consommation, dit-il. Nous venons de lancer une réflexion avec douze CEO de multinationales, dont Michel Moortgat de Duvel ou Hein Deprez, ancien directeur général de Greenyards Food, mais aussi des sociétés locales de fruits et légumes, pour tenter de définir une vision de la nouvelle société de consommation. C’est très bien d’avoir interdit les sacs plastiques aux caisses des supermarchés, mais les décisions prises par la Commission européenne ou la Belgique fédérale ont finalement peu de sens, car il n’y a pas de vision globale rassemblant l’agroalimentaire, la grande distribution, l’agriculture, les consommateurs. Tout est décorrélé et cela contribue à ce que les uns se méfient des autres.» Les premières lignes de ce «G12» sortiront en septembre.