Belgian federal minister | Ministre federal belge 20/08/2025 © BELGA/BELPRESS

Le ras-le-bol du ministre Jean-Luc Crucke sur le climat: «La Flandre bloque de toute façon»

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

A la veille la COP30 au Brésil, où il compte se rendre, et alors que la Belgique a du mal à trouver des compromis sur les questions climatiques, le ministre Jean-Luc Crucke (Les Engagés) exprime ses regrets et ses espoirs.

Sur le plan climatique, la Belgique a une nouvelle fois brillé par… ses divisions. Elle a remis à l’UE un Plan national énergie et climat (PNEC) en rabotant l’objectif de 47% de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030, sous la pression de la Flandre. Elle risque de se faire crosser, une fois de plus, par la Commission européenne. Pis encore: la Belgique s’est abstenue lors du vote sur l’objectif européen de 90% de réduction d’ici 2040, faute d’avoir trouvé un compromis national. Au fédéral, les cabinets de Jan Jambon (N-VA) et de David Clarinval (MR) ont tout bloqué. Côté Région flamande, le ministre-président Matthias Diependaele (N-VA) a freiné des quatre fers, mettant hors-jeu sa ministre du Climat Melissa Depraetere (Vooruit). Le ministre fédéral du Climat, Jean-Luc Crucke (Engagés) dénonce l’attitude flamande vis-à-vis des enjeux climatiques. Bien que volontaire, il se sent bien seul au sein d’un exécutif où pointe de plus en plus un discours climatosceptique.

L’accord européen de ce 5 novembre sur l’objectif de 90% de réduction des gaz à effet de serre (GES) d’ici 2040 ( mais qui prévoit pas mal d’aménagements potentiels) est-il bon?

Dans la vie, il faut toujours voir la bouteille à moitié remplie plutôt qu’à moitié vide et donc garder de l’optimisme même quand le climat n’est pas à la fête. Et donc, l’élément positif, c’est qu’il y a un accord et que l’Europe va pouvoir défendre lors de la COP30 une position qui est certes moins ambitieuse que ce qu’on aurait voulu, mais qui n’en reste pas moins importante quand on regarde les grands équilibres sur le plan international. Maintenant, c’est vrai qu’on ne peut plus parler d’un objectif de 90%, mais plutôt de 85 % + 5 % de crédits carbones internationaux qui peuvent être rentabilisés à l’extérieur même de l’Europe. Mais bon, il y a un accord et c’est pour moi un élément positif.

La Belgique s’est abstenue…

Oui, la grosse déception, c’est l’abstention de la Belgique qui ne se trouve pas dans l’accord même si celui-ci s’appliquera à nous, alors que tous les éléments permettaient réellement un accord. Elle s’est abstenue pour des raisons qui me semblent aujourd’hui plus liées à l’idéologie de certains qu’à une forme de pragmatisme qui doit prévaloir dans les négociations sur le plan international.

L’«idéologie de certains», vous visez qui?

Je ne vais pas m’étendre là-dessus, mais il y a d’abord le problème de la Flandre dans les négociations sur le climat. Pour celle-ci, je n’étais pas présent personnellement au Conseil européen car je remplaçais le Premier ministre à Auschwitz pour une commémoration. Mais voilà, la Flandre l’a jouée en individuel en menant des négociations parallèles directement avec la présidence danoise de l’UE, ce qui n’est jamais bon en termes d’image ni pour la Flandre ni pour le pays. Puis, il ne faut pas s’en cacher, il y a au sein du gouvernement fédéral des personnalités climatosceptiques (NDLR: Jean-Luc Crucke a qualifié le ministre MR David Clarinval de climatosceptique, en août dernier, dans une interview à La Libre). Je l’ai déjà dit et je le maintiens. Or la règle du gouvernement est celle du consensus. Cela doit nous faire réfléchir pour l’avenir, a fortiori dans un pays où les compétences sur le climat sont partagées entre entités fédérées.

C’est compliqué pour vous de fonctionner avec des collègues au fédéral qui tiennent un discours climatosceptique?

Oui, tout le monde n’a clairement pas la même opinion sur le plan fédéral. Cela impose donc généralement un consensus non pas à la hausse en termes d’ambition, mais à la baisse. Dans ce cas-ci, cela s’est finalement traduit par de l’abstention. Mais il ne faut pas se leurrer, je pense qu’au fédéral on aurait quand même pu trouver un accord, mais la Flandre a bloqué, elle bloque de toute façon. Et ça renforce les éléments les plus conservateurs du gouvernement.

Elle a bloqué aussi le PNEC, Plan national énergie climat, remis à la Commission européenne, dont l’ambition de réduction des GES a été revue à la baisse à cause des Flamands… Avec le risque d’être sanctionné.

Il n’est pas certain qu’on sera sanctionné. J’ai de très bons contacts avec le commissaire au climat Wopke Hoekstra. J’espère que le dernier épisode belge ne ternira pas nos relations. Je crois qu’on atteindra malgré tout nos objectifs grâce à la période du Covid durant laquelle on a bien diminué nos émissions. Et comme on additionne chaque année les efforts effectués, cela devrait nous permettre d’y arriver. Il n’en reste pas moins que la Flandre nous met en difficulté en refusant de répondre à un certain nombre d’ambitions climatiques. Mais je veux tout de même saluer le travail fourni par Melissa De Praetere qui doit faire face à beaucoup d’opposition au sein de son exécutif. Je souhaite plutôt la soutenir et certainement pas la critiquer.

Aujourd’hui, le gouvernement fédéral est focalisé sur le budget. Le climat n’est donc pas son souci premier?

Je suis convaincu qu’on doit accorder au climat la même importance qu’au budget. En termes d’assainissement budgétaire, ce qui est partagé par tout le monde au gouvernement, c’est que nous devons faire aujourd’hui des efforts, même impopulaires, pour éviter que nos enfants et nos petits enfants doivent sinon en supporter les conséquences. Eh bien, je ne comprends pas que ceux qui défendent ce message-là ne soient pas capables d’avoir la même réflexion pour le climat. Les efforts que l’on demande aujourd’hui pour le climat, peu importe si par le passé ça a été perçu et vendu de manière trop punitive, si on ne le fait pas aujourd’hui, ce sont des catastrophes qu’on fera supporter par les générations suivantes. Les politiques qui ne le comprennent pas, c’est de l’inconséquence vis-à-vis des générations à venir. Le lien entre les deux est fondamental.

L’accord de l’UE sur l’objectif de réduction de 90% en 2040 est-il réaliste vu les objectifs fixés pour 2030 (-55%) et 2035 (-66 à 72,5%)? La courbe peut-elle s’infléchir autant en cinq ans?

Je ne suis pas capable de répondre à cette question, on sait bien que les prévisions sont là pour être contredites par la réalité. On ne sait pas de quoi demain sera fait et comment les choses vont évoluer, notamment le contexte international dont on doit tenir compte. Mais on doit aussi arrêter de se flageller. L’Europe aujourd’hui, c’est 6% des émissions mondiale. Les plus grands pollueurs sont la Chine et les Etats-Unis, deux pays qui sont en train, sur le plan économique, de tenter d’écraser l’Europe. On doit donc aussi pouvoir comprendre le message du maintien de la compétitivité économique et de la croissance, pour être à armes égales en particulier avec les Etats-Unis qui ont quitté les accords de Paris et font une pression sur toutes les COP. On l’a encore vu lors des négociations de l’Organisation maritime internationale où le gouvernement Trump a fait basculer le vote destiné à privilégier les navires les moins polluants.  

«On ne parle pas de poésie, d’idéologie, mais de faits scientifiques»

Cette année marque les dix ans de l’accord le Paris. Maigre bilan, une décennie plus tard?

Ecoutez, j’y étais comme parlementaire, à l’époque. On prévoyait alors que le réchauffement serait de 4°C à la fin du siècle si on ne faisait pas les efforts requis. Aujourd’hui, on parle de 2,6°C. C’est évidemment très insuffisant, mais cela montre que des efforts ont été réalisés. Mon secret espoir est qu’on diminue encore ce nombre de degrés en continuant à appuyer les vérités scientifiques sur l’état et l’évolution du climat et du réchauffement. On ne parle pas de poésie, d’idéologie ou de «j’aimerais que», mais de faits scientifiques. Et ceux-ci sont encore trop souvent contestés.

Vous serez à la COP30 de Belém, au Brésil. Quels sont vos espoirs pour cette grand-messe du climat dont a du mal à attendre beaucoup, vu les précédentes éditions?

Un élément est fondamental dans les COP: le multilatéralisme. C’est la clé qui permet de trouver des solutions aux problèmes que nous connaissons, qui permet aux nations démocratiques qui ont de l’ambition pour le climat de se ressouder, nonobstant leurs divergences et leurs pratiques socio-économiques différentes. Sans cela, on laisse la main aux Etats autoritaires. Et ce qui se passe aux Etats-Unis m’effraie énormément, même si l’opposition démocrate semble reprendre un peu de terrain, comme récemment à New York, en Virginie ou dans le New Jersey. Par ailleurs, le Brésil, c’est le pays de tous les espoirs. Il y a une vraie conscience climatique brésilienne, avec un dirigeant qui sait ce qu’est la lutte contre le réchauffement. Mais c’est aussi le pays de tous les risques, avec la forêt amazonienne très convoitée alors qu’elle est le plus grand puits de carbone mondial, conjointement à la forêt tropicale du Congo. Mais la COP30 va justement se pencher sur le sort des forêts.

Une COP où le Premier ministre Bart De Wever, il l’a annoncé, brillera par son absence…

C’est vrai. Pour le connaître un peu, je vois ce qu’est l’agenda d’un Premier ministre. Comme je l’ai dit, si je n’étais pas au Conseil européen du 5 novembre, c’était pour le remplacer en Pologne à sa demande. Je ne veux donc pas le blâmer a priori. Il a un agenda difficile. Pour le reste, c’est plus à lui qu’il faut lui poser cette question.

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