La mer du Nord a besoin de davantage d’émerveillement et d’amour de la part de ses habitants les plus proches, estiment les spécialistes. «L’image de la mer du Nord comme « mer sale » est infondée.»
«Grise, trouble et industrielle.» La mer du Nord n’a pas immédiatement l’image exotique d’un lagon bleu. Le film et la série télévisée De Wilde Noordzee, du plongeur et caméraman sous-marin néerlandais Peter van Rodijnen, corrigent cette image de manière spectaculaire. Le film révèle un monde sous-marin foisonnant de vie, de récifs et de champs d’algues, qui sont des alliés dans la lutte contre le dérèglement climatique.
«Notre mer du Nord est trop méconnue du grand public, estime Jan Seys du Flanders Marine Institute (Vliz), qui a collaboré au documentaire. L’image de la mer du Nord comme « mer sale » est injuste. La mer du Nord est plus propre que la Méditerranée, qui semble certes plus bleue.»
«La mer du Nord est plus propre que la Méditerranée, qui semble certes plus bleue.»
Pour démonter l’image de l’une des mers les plus fréquentées du monde comme une «zone industrielle grise», Jan Seys énumère des exemples des nombreuses avancées déjà réalisées dans la lutte contre la pollution. «La quantité de métaux lourds dans la mer a diminué grâce à des mesures prises sur terre, les égouts ne sont plus rejetés directement en mer, et depuis que le tributylétain (TBT) –une substance présente dans la peinture de coque de navire, perturbatrice hormonale pour de nombreuses espèces marines– a été interdit au niveau international, la pourpre (un mollusque) est réapparue sur nos côtes après 30 ans.»
Mais le plus grand succès tient sans doute dans la réduction de la pollution pétrolière. «Dans les années 60, la probabilité de croiser une nappe de pétrole en mer frôlait les 100%, aujourd’hui elle est tombée à moins de cinq pour cent, explique Jan Seys. Cela s’explique entre autres par le fait que les navires peuvent désormais déposer leurs huiles usées dans des installations spéciales dans les ports.»
Pourtant, l’affaire est loin d’être réglée. Le fond marin reste pollué historiquement par les PCB, les pesticides, l’écume marine contient encore une quantité importante de PFAS, et environ 30.000 tonnes de munitions de guerre –dont du gaz moutarde– ainsi que près de 300 épaves de navires reposent au large de nos côtes.
Par ailleurs, la pollution sonore sous-marine liée à l’activité humaine reste un problème sous-estimé. Le bruit a un impact important sur les animaux marins qui utilisent le son pour communiquer ou s’orienter dans une mer souvent sombre.
Climatisation de la planète
Un message que le Vliz transmet depuis 25 ans déjà, mais qui n’est pas toujours bien entendu, est que la mer n’est pas seulement un lieu de loisirs ou une source d’inspiration pour les artistes, mais aussi un allié naturel essentiel dans la lutte contre les perturbations climatiques. «Plus de 90% de la chaleur excédentaire de la planète est absorbée par l’océan. En hiver, cela rend le climat plus doux en bord de mer et en été, il se réchauffe moins vite. En d’autres termes, la mer est la climatisation de la planète.»
«Plus de 90% de la chaleur excédentaire de la planète est absorbée par l’océan. En hiver, cela rend le climat plus doux en bord de mer et en été, il se réchauffe moins vite.»
En outre, la mer aide à traiter le CO₂. «Environ un quart des émissions humaines de CO₂ est absorbé par l’océan. C’est en partie un processus physique: lorsque la pression du CO₂ dans l’atmosphère augmente, davantage de CO₂ se retrouve dans l’océan. Mais il existe aussi un processus actif, dans lequel le phytoplancton, qui constitue la base de toute la chaîne alimentaire marine, tout comme les plantes vertes sur terre, absorbe le CO₂ et le transforme en ses propres sucres, produisant en même temps de l’oxygène.»
Mais comme le plancton est si invisible, ce rôle crucial de la mer comme «poumon bleu est resté longtemps dans l’ombre. Un atout supplémentaire du plancton est d’ailleurs que lorsqu’il meurt, une partie du carbone qu’il contient coule au fond, est recouverte de sable et de limon, et y reste ensevelie pendant des centaines de milliers d’années.
Encore des récifs d’huîtres naturels
La mer du Nord est cependant sous pression en raison de l’activité humaine. En particulier, la pêche industrielle à grande échelle au chalut, que David Attenborough dénonce dans son film Ocean de manière inédite et effrayante, constitue une attaque contre les fonds marins et la biodiversité.
Dans De Wilde Noordzee, cette dénonciation est moins marquée. «On ne peut pas comparer notre petite pêche côtière, qui utilise aussi des chaluts, avec les navires-usines russes et chinois qui se soucient peu de la législation et déploient leurs filets même dans des zones protégées, défend Jan Seys. Cela n’enlève rien au fait que la pêche au chalut a également un effet négatif, même à plus petite échelle. Il suffit de penser aux prises accessoires qui perturbent l’équilibre naturel de l’écosystème.»
«On ne peut pas comparer notre petite pêche côtière, qui utilise aussi des chaluts, avec les navires-usines russes et chinois qui se soucient peu de la législation et déploient leurs filets même dans des zones protégées
Il y a pourtant de l’espoir: en 2023, plus de 100 Etats membres des Nations Unies sont parvenus à un accord pour protéger 30% des mers d’ici 2030. Aujourd’hui, cette protection ne s’élève qu’à 8,3%. Le chemin est donc encore long: les pays doivent encore ratifier le «Traité de la haute mer» dans leur législation nationale. Notamment dans les zones situées en dehors des frontières nationales, la protection est aujourd’hui quasi inexistante.
Une bonne nouvelle est que la Belgique fait pour une fois figure de pionnier. Pour l’ensemble de la mer du Nord, on atteint déjà une protection de 20%, et la partie belge de la mer du Nord est même protégée à hauteur de 37%. «Mais protection ne signifie pas automatiquement qu’il s’agit désormais d’un paradis sous-marin, nuance Jan Seys. Dans la grande majorité de ces 37%, les activités perturbant les fonds marins sont encore autorisées. La protection consiste donc principalement aujourd’hui à préserver ce qui existe déjà et à éviter de grandes infrastructures dans le futur. Nous avons toutefois besoin d’une politique active afin que les fonds marins puissent réellement se régénérer et que les récifs naturels d’huîtres aient à nouveau une chance.»
«Même de petites mesures politiques peuvent très rapidement produire des résultats, souligne Jan Seys. Un bel exemple est le retour du thon dans la mer du Nord ces dernières années grâce à la gestion de la pêche en Méditerranée, où se trouvent les zones de frai du thon rouge de l’Atlantique.»
Les parcs éoliens offshore sont également, de facto, des zones protégées. «La pêche y est interdite pour des raisons de sécurité et on y observe une régénération de la vie marine. Pour les gadidés, les parcs représentent une oasis de sécurité, tandis que les pylônes des éoliennes offrent une nourriture supplémentaire à d’autres poissons.»
Et la crainte que les éoliennes hachent les oiseaux en purée? Celle-ci s’avère en grande partie infondée. «Certains oiseaux cherchent même les parcs éoliens comme lieux de repos, tandis que d’autres espèces les évitent, ce qui réduit leur zone de recherche de nourriture», conclut Jan Seys.
Calmar à la plancha sur la mer du Nord?
S’il est possible de faire beaucoup pour protéger la nature locale et lutter contre la pollution environnementale, qu’en est-il des dérèglements climatiques? «C’est une autre paire de manches, soupire Jan Seys. En raison de l’ampleur du problème des émissions de CO₂, nous avons moins de prise là-dessus. Pourtant, le climat est un facteur décisif pour l’aspect futur de notre mer du Nord: le degré d’acidification déterminera si les organismes calcaires continueront d’exister à long terme (NDLR: les animaux marins ont besoin de carbonate de calcium pour survivre, notamment pour construire des structures dures comme des coquilles ou des squelettes). La température de l’eau de mer éloignera des espèces comme le cabillaud, qui migre déjà vers des eaux plus froides, ainsi que la crevette de la mer du Nord. D’autres espèces d’eaux chaudes prendront leur place.»
«La température de l’eau de mer éloignera des espèces comme le cabillaud, qui migre déjà vers des eaux plus froides, ainsi que la crevette de la mer du Nord.»
Mais pour ceux à qui les sardines ou le calmar à la plancha accompagnés d’un verre de rosé sur la digue d’Ostende paraissent être une perspective prometteuse, il y a une mauvaise nouvelle: «Il ne s’agit pas simplement d’un déplacement d’espèces, avertit Jan Seys. Vers les pôles, la vie marine s’épanouira temporairement, mais sous les tropiques et les subtropiques, rien ne viendra compenser cette perte, bien au contraire. A l’échelle mondiale, cela signifie un appauvrissement de la vie marine. Des températures plus chaudes créent un cocktail de conditions dangereuses –moins de nourriture, moins d’oxygène– qui rendront la vie beaucoup plus difficile pour les espèces marines. Nous savons ce que nous devons faire, il ne nous reste qu’à le faire», conclut Jan Seys.