Essentiels pour les personnes asthmatiques ou atteintes de BPCO, les inhalateurs ont un coût caché pour la planète: leurs gaz propulseurs sont de puissants gaz à effet de serre. Des solutions plus vertes sont amenées à être mises en place sur le marché en Europe.
262 millions de personnes souffrent d’asthme dans le monde, selon les données de l’Organisation mondiale de la santé. En Belgique, environ un million de personnes seraient concernées par cette maladie chronique des voies respiratoires, résultat d’une combinaison de facteurs génétiques, allergiques et environnementaux. La pollution atmosphérique, en particulier les particules fines et les gaz irritants, peut notamment déclencher ou aggraver les symptômes en provoquant une inflammation des voies respiratoires chez les personnes sensibles. Une nouvelle étude publiée dans le Journal of the American Medical Association, confirment que les inhalateurs doseurs utilisés pour traiter des maladies comme l’asthme et la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) sont l’une des causes de cette pollution .
Les inhalateurs à spray contiennent des gaz propulseurs (HFA), des gaz à effet de serre puissants contribuant au réchauffement climatique. Des chercheurs des universités de Californie et de Harvard ont analysé la pollution émise par ces petits appareils, indispensables à beaucoup de personnes face à ces problèmes respiratoires: elle est estimée à 24,9 millions de tonnes d’émissions d’équivalent dioxyde de carbone aux Etats-Unis entre 2014 et 2024, dont 98 % proviendraient des inhalateurs doseurs. Cela équivaut à la pollution émise annuellement par plus d’un demi-million de voitures ou bien à la quantité d’électricité consommée par environ 470.000 foyers.
Durant cette décennie, les pharmaciens ont distribué quelque 1,6 milliard d’inhalateurs aux États-Unis. Selon le gaz propulseur qu’il contient (HFA227ea ou HFA134a), un seul de ces appareils a une empreinte carbone équivalent à celui d’une voiture diesel parcourant plusieurs dizaines de kilomètres, selon les données relayées par le Centre belge d’information pharmacothérapeutique. «Ce sont de minuscules produits, et il est difficile d’imaginer qu’ils puissent être à ce point responsables, mais c’est un problème parfaitement réparable grâce aux autres produits disponibles et à l’arrivée de nouveaux produits. Il semble donc facile de s’attaquer au problème des émissions», estime sur CNN le Dr William Feldman, pneumologue et co-auteur de l’étude américaine publiée dans le JAMA.
Les inhalateurs à poudre privilégiés en Belgique
Le coût environnemental de ces appareils est connu depuis «plusieurs dizaines d’années», assure le docteur Olivier Michel, professeur à l’ULB. En 2019, des chefs de service de trois hôpitaux universitaires belges (UZ Leuven, UZ Gent, CHU de Liège) avaient ainsi alerté sur le fait que «l’utilisation actuelle des aérosols (NDLR: ou inhalateurs) s’accompagne d’une émission significative de plus de 50 kilotonnes de CO₂ en Belgique». Citant une étude de la British Thoracic Society, ils recommandaient alors l’utilisation d’une alternative plus écologique aux inhalateurs à spray «classiques»: les inhalateurs à poudre sèche. «L’inhalateur écologique soigne tout aussi bien le patient et ne pollue pas davantage l’air», assurait alors Maggie De Block, ancienne ministre de la Santé publique (Open VLD).
«Avec ce système, le patient doit inspirer profondément pour inhaler une poudre très fine», explique Olivier Michel, précisant toutefois que les inhalateurs «classiques» restent «obligatoires» pour certaines personnes qui «n’ont pas assez de débit respiratoire pour effectuer une inhalation assez puissante» pour utiliser un spray à poudre. «Avec un inhalateur dit « pressurisé », le patient le met en bouche et, quelle que soit son inspiration, c’est le système qui va pulvériser une dose. La déposition du produit dans les bronches serait aussi meilleure, car les particules produites sont plus fines et parviendraient plus loin dans les bronches, mais cette discussion n’est pas tout à fait tranchée.»
Si aucune donnée n’est disponible à ce sujet, les inhalateurs à poudre seraient privilégiés depuis plusieurs années en Belgique par les professionnels de santé au moment de la prescription. «Ils présentent aussi l’avantage d’être faciles à conserver et sont largement utilisés en Belgique comme traitement de fond par les patients», assure le pneumologue Didier Cataldo, président de la Belgian Lung Foundation, fondation d’utilité publique qui «promeut la santé respiratoire par l’éducation, la recherche et les politiques respectueuses de l’environnement». Ce qui est loin d’être le cas aux Etats-Unis, où 75% des personnes asthmatiques utilisaient encore des inhalateurs classiques en 2023.
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Une évolution plus écologique à venir
La composition de ces derniers est toutefois amenée à évoluer positivement. Jusque dans les années 1990-2000, ces inhalateurs utilisaient des chlorofluorocarbures (CFC), responsables de la destruction de la couche d’ozone, comme gaz propulseur. Leur utilisation a été progressivement abandonnée après la signature du Protocole de Montréal (1985), mais les hydrofluoroalcanes (HFA), qui les ont remplacés, restent des gaz à effet de serre: ils vont être eux aussi progressivement abandonnés d’ici 2050, selon une réglementation européenne adoptée en février 2024. «L’idée, c’est de remplacer les gaz utilisés par d’autres qui ne causent plus d’effet de serre et d’arriver à diminuer au maximum l’usage des anciens modèles d’inhalateurs, avec des stratégies thérapeutiques différentes, plus modernes et plus écologiques», explique Didier Cataldo, qui assure que des entreprises européennes pharmaceutiques sont «prêtes» à évoluer en ce sens.
«Certains pourraient arrêter leur traitement et risquer leur vie»
Didier Cataldo, pneumologue
En juillet dernier, l’European Medicines Agency a fait savoir que la Commission européenne avait autorisé la «reformulation» de deux inhalateurs en remplaçant leur gaz propulseur HFA par une alternative à faible potentiel de réchauffement global (PRG): une première qui en appelle d’autres. Didier Cataldo espère que ces inhalateurs «plus verts» devraient être disponibles en 2026 et que l’exemple européen inspirera d’autres géants pharmaceutiques, notamment asiatiques, à accélérer sur cette transition. En attendant, il met au passage en garde contre la dangerosité de faire culpabiliser les patients utilisant un inhalateur «classique»: «Qu’est-ce qu’il va se passer si on les pointe du doigt en leur disant: « Votre traitement est dangereux pour l’atmosphère »? Certains pourraient l’arrêter et risquer leur vie. Il faut leur rappeler que l’inhalateur, quelle que soit sa forme, est indispensable pour eux».