On l’a oublié, mais l’engagement des Etats pris lors de l’Accord de Paris tablait sur un réchauffement maximum de 2° C et non 1,5. © Getty Images

Accord de Paris: dix ans après, à la poubelle? «Le bilan n’est pas rose»

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

La COP de Belém marque les dix ans de l’Accord de Paris. Le bilan est décevant, mais pas encore désespéré. La Belgique peut mieux faire, mais la Flandre freine.

Il y a presque dix ans, l’Accord de Paris clôturait la COP21. Pas moins de 195 Etats convenaient alors d’un objectif à long terme pour que la hausse de la température moyenne de la planète ne dépasse pas 1,5° C. Les négociations avaient failli capoter, encore à la toute dernière minute quand les Américains s’étaient rendu compte que, dans le texte approuvé, le mot «shall» (doit) avait remplacé celui de «should» (devrait) pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). L’équipe française qui accueillait cette COP avait fait alors passer ce changement pour une erreur de typographie… La plupart des COP connaîtront ce genre d’épisode de dramatisation finale avant qu’un texte unanime sorte des imprimantes. Mais pour quels résultats aujourd’hui?

Selon les dernières études, en particulier celle publiée le 19 juin dernier dans la revue Earth System Science Data par une équipe de 61 scientifiques de 17 pays s’appuyant sur les méthodes du Giec, le seuil de réchauffement climatique fixé à 1,5° C sera dépassé en 2028. L’accord historique de Paris est-il dès lors caduc? Peut-on déjà le jeter à la poubelle, alors que s’ouvre la COP30 de Belém au Brésil? Pas si vite! «Il y a eu un marchandage terrible à Paris en 2015, rappelle Nicolas Van Nuffel, du CNCD, ex-président de la Coalition Climat. En réalité, l’accord final ne fixait pas 1,5° C comme objectif, mais disait qu’il fallait rester en-deçà de 2° C et si possible le plus proche de 1,5° C. Ensuite, l’évolution de la science climatique au sein du Giec et les mobilisations citoyennes ont imposé 1,5° C comme plafond officiel.»

Le ministre fédéral du Climat, Jean-Luc Crucke (Les Engagés), s’en souvient aussi. Il était présent à cette COP en tant que parlementaire. «A Paris, on prévoyait que, sans réactions de la part des Etats, le réchauffement serait de près de 4° C à la fin du siècle, se souvient-il. Aujourd’hui, on parle de 2,6° C. C’est évidemment insuffisant, mais cela montre que des efforts ont été réalisés.» Par ailleurs, si on peut craindre que l’objectif de 2° C sera dépassé dans 75 ans, le texte de Paris demeure un outil de pression. «Cet accord a été surtout poussé par les pays les plus vulnérables, éclaire Romain Weikmans, professeur de relations internationales à l’ULB. Pour eux, il était essentiel d’acter que le changement climatique est grave. En juillet dernier, dans un avis historique, la Cour de justice internationale, soit la plus haute juridiction mondiale, s’est référée à l’Accord de Paris et au plafond de 1,5° C pour rappeler aux Etats leurs obligations. Ce texte peut donc avoir une influence concrète.»

Baisse des émissions chinoises

Jusqu’à Glasgow en 2021, le rôle des COP a été de négocier la mise en œuvre des engagements pris en 2015, soit le « Paris rulebook« . Ensuite, ces sommets annuels mondiaux se sont penchés sur des chantiers plus précis, comme le pétrole à Dubaï en 2023, avec des succès très mitigés. «Le bilan n’est pas rose, mais ce n’est pas une surprise vu l’ampleur du défi face à la dépendance de nos sociétés aux énergies fossiles, observe Romain Weikmans. Il faut tout de même souligner qu’actuellement, les investissements dans les énergies bas carbone sont deux fois plus élevés que ceux dans les fossiles. Même si la situation reste très précaire, l’équilibre est en train de s’inverser et cela continuera dans ce sens parce que les énergies renouvelables sont de plus en plus compétitives.»

Au premier trimestre 2025, la Chine, qui est le premier pollueur planétaire, a réussi, pour la première fois de son histoire, à baisser ses émissions de CO2 (de 1,6% sur un an), une diminution qui s’explique par ses investissements gigantesques dans le solaire, l’éolien et le nucléaire. Malgré tout, on observe des reculs un peu partout dans le monde en matière de transition écologique, en particulier aux Etats-Unis où le président Trump, qui n’a envoyé aucune délégation au Brésil, a relancé à fond la production pétrolière, avec son tristement célèbre «drill, baby, drill». «Il a redonné une légitimité à l’industrie de l’or noir partout dans le monde, déplore Adel El Gammal, professeur en géopolitique de l’énergie à l’ULB. Il a lancé une phase de contre-révolution inquiétante. Des majors comme Total ou Shell ont d’ores et déjà renoncé à leurs engagements de décarbonation de leurs opérations de production…»

En Europe aussi, le retour de bâton climatique et écologique, très organisé, fait des dégâts. «Il y a eu les années d’avancées, à partir de 2018, avec les marches pour le climat qui ont poussé l’exécutif européen à proposer le Pacte vert, retrace Nicolas Van Nuffel. Ensuite, on s’est pris le Covid en pleine figure, mais l’UE a tenu bon avec le fameux emprunt Next Generation EU de 750 milliards dont 37% doivent être consacrés à la transition. Même le plan RepowerEU, adopté suite à l’invasion de l’Ukraine pour aider à se passer du gaz russe, était censé soutenir en partie les efforts d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables. Puis, vers 2022-2023, on a assisté à un rétropédalage, sous la pression de lobbies. La droite traditionnelle du PPE, le parti d’Ursula von der Leyen, s’est alliée à maintes reprises avec des députés de la droite radicale et extrême pour détricoter des législations vertes.»

Un objectif UE très flexible

L’accord obtenu au sein de l’UE le 5 novembre pour la COP de Belém marque-t-il une reprise des avancées pour le climat? Pas vraiment. Les tergiversations ont été longues. Un objectif compris entre 90 et 95% de réductions des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2040 (la neutralité carbone étant prévue pour 2050) avait d’abord été évoqué par les Vingt-Sept. Le minimum, 90%, a finalement été retenu, un chiffre assorti de nombreuses flexibilités comme ces 5% de crédits carbone qui peuvent être achetés hors Union européenne et qui font que l’objectif est en réalité de 85% + 5% de crédits. «Tout cela est en outre fictif, si on regarde les précédents objectifs, remarque le professeur El Gammal. A savoir celui de 55% d’ici à 2030 et celui de 66,2 à 72,5% d’ici à 2035. Et on monterait à 90% d’ici à 2040. Il suffit de tracer une courbe tendancielle entre ces années pour s’apercevoir que c’est inatteignable.» En 2023, on était à 37%…

Poudre aux yeux européenne avant la grand-messe brésilienne? «On sait que les prévisions sont là pour être contredites par la réalité, reconnaît le ministre du Climat. Mais voyons la bouteille à moitié pleine. Il y a eu un accord qui permet à l’Union de défendre une position tout de même importante à Belém. Il faut aussi arrêter de se flageller. L’Europe représente aujourd’hui 6% des émissions mondiales, contre 12% pour les Etats-Unis et près de 30% pour la Chine, et ces deux pays sont en train de nous écraser sur le plan économique. On doit aussi pouvoir comprendre le message de la compétitivité et de la croissance si on veut être à armes égales.» Jean-Luc Crucke regrette tout de même amèrement que la Belgique se soit abstenue, lors du vote au sein du Conseil Environnement de l’objectif de 90%.

«Une abstention liée à l’idéologie de certains, fustige-t-il. Il y a au sein du gouvernement des personnalités climatosceptiques, je l’ai déjà dit (NDLR: à propos de David Clarinval, MR). Mais c’est surtout la Flandre qui a bloqué.» Ce fut le cas d’ailleurs, une fois de plus, pour le Plan national énergie-climat (PNEC), remis avec un an de retard, pour lequel la Belgique risque d’encore se faire recaler par la Commission européenne. Ce plan détaille la politique climatique du pays, en fonction de la répartition des charges entre Etats membres fixée par l’UE. La Belgique doit atteindre 47% de réduction des GES d’ici à 2030. Mais la Flandre… bloque. Finalement, 42,7% est inscrit dans le PNEC belge.

Ce qui est interpellant avec ces atermoiements des autorités politiques face à l’urgence climatique, c’est que la population reste majoritairement favorable aux mesures pour lutter contre le réchauffement climatique. Les Eurobaromètres consacrés à la question comme les sondages CNCD-Le Vif le confirment. «La marche pour le climat du 5 octobre dernier a réuni 30.000 personnes dans les rues de Bruxelles, observe Nicolas Van Nuffel. Pour un enjeu comme celui-là, cela reste une mobilisation impressionnante, d’autant que le climat trouve désormais peu de place dans l’espace politique.» En revanche, dans le dernier sondage CNCD-Le Vif, les Belges se montraient moins généreux quant au financement international d’actions permettant aux pays du Sud de s’en sortir face à la menace grandissante du dérèglement.

La population reste majoritairement favorable aux mesures pour lutter contre le réchauffement climatique.

Les besoins des pays en développement sont justement un thème qui occupe beaucoup les débats des COP. «C’est un serpent de mer, soupire Romain Weikmans. L’aide a historiquement augmenté de manière sensible ces dix dernières années, mais, avec le retrait des Etats-Unis et les coupes budgétaires dans les pays occidentaux, tout est mis à mal. Quant aux 100 milliards du Fonds vert pour le climat, les pays riches affirment y être parvenus en 2022, mais d’autres estimations le contestent. Il y a un énorme flou entre ce qui est compté et ce qui ne l’est pas.» Les relations Nord-Sud sont à nouveau au programme de la COP, avec un avantage, selon Adel El Gammal: «Le Brésil est un pays pont entre l’Occident et le Sud global». Un atout dont il faut profiter.

«Trump a redonné une légitimité à l’industrie pétrolière partout dans le monde.»

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