Sous la menace d’une dégradation par Moody’s, la Belgique voit à nouveau sa crédibilité financière questionnée. Un signal surtout symbolique, tant les marchés semblent désormais avoir un coup d’avance sur les agences de notation.
Après Fitch en juin, Moody’s pourrait embrayer et dégrader la note financière de la Belgique. Le troisième acteur majeur du milieu, Standard & Poors, devrait suivre la tendance au rabais, le 24 octobre prochain.
Mais de quoi parle-t-on, concrètement? Les agences de notation, des entreprises privées, évaluent la capacité ET la volonté d’un Etat à rembourser sa dette souveraine. En d’autres termes, elles jugent la solvabilité d’un pays pour les investisseurs. Et leurs décisions peuvent (en théorie) infléchir sur les taux d’intérêt, et donc le coût d’un emprunt d’Etat sur les marchés financiers. En clair: une meilleure note peut conduire à des taux d’intérêt plus bas, tandis qu’une note plus basse augmente le coût de la dette. Cette seconde option a pour effet d’éloigner les entreprises des pays mal notés, qui se redirigent alors vers des pays jugés «plus sûrs».
Agences de notation: une influence de plus en plus théorique
Une note revue à la baisse peut également contribuer à augmenter le spread (NDLR: l’écart entre les taux d’intérêt) d’un pays par rapport à un autre: ceux qui empruntent à taux élevés sont moins attractifs et, en plus, connaîtront des difficultés supplémentaires pour rembourser leur dette. Un effet boule de neige, ni plus ni moins.
Au regard de ce schéma (très théorique, voir plus bas), les agences de notation portent une responsabilité énorme sur leurs épaules. Leur influence sur la santé financière d’un Etat pourrait être colossale. Avec la possibilité d’amplifier une situation négative, ou, au contraire, de renforcer une situation positive.
Chaque agence dispose de sa propre échelle de notation. Fitch, par exemple, démarre de AAA («qualité la plus élevée, risque quasi nul») et descend graduellement jusqu’à D («l’emprunteur est en faillite»). Notée AA- («très fiable») en juin dernier, la Belgique est passée à A+ (bonne qualité, risque faible mais présent). Moody’s utilise une nomenclature légèrement différente, allant de Aaa (pour la meilleure note) à des échelons inférieurs: Aa, A, Baa, etc.
Agences de notation: un retard par rapport aux marchés
Ceci étant, les agences de notation, régulièrement critiquées pour leur rôle de «pompier-pyromane» se montrent désormais plus prudentes, et ont plutôt tendance «à suivre les marchés qu’à les précéder», souligne l’économiste Eric Dor (IESEG School of Management).
Premier exemple: Fitch a récemment dégradé la France. «Or, cela faisait un temps fou que les marchés étaient en décalage avec les notations en vigueur», fait remarquer l’économiste. De fait, les taux d’emprunt français avaient déjà augmenté avant la décision de Fitch.
«Si une agence dégrade une note, elle ne fait que rattraper son retard sur le marché.»
Second exemple: Moody’s note actuellement l’Espagne et le Portugal trois crans en-dessous de la Belgique. «Or, les marchés ne sont pas d’accord avec ce constat puisqu’ils demandent un taux d’intérêt plus élevé à la Belgique.» Si une agence dégrade, elle ne fait donc «que rattraper le marché avec retard. Une note revue à la baisse n’a donc plus un aussi grand impact sur le taux d’emprunt», assure Eric Dor.
Les agences de notation restent utiles… pour certains aspects
Les agences de notation ont donc «perdu de leur superbe, surtout à l’égard des grands pays développés», estime encore l’expert. Ces derniers disposent en effet d’un appareil statistique abondant et transparent. Et les acheteurs de dette publique (compagnies d’assurance, banques, fonds communs de placement, fonds souverains, fonds de pension, etc.) n’ont dès lors plus besoin des agences de notation pour analyser la solvabilité d’un pays européen. Ils sont en mesure de le faire par leurs propres moyens.
En revanche, les agences «restent utiles pour les pays sous-développés, à l’appareil statistique opaque», distingue Eric Dor, qui rappelle que «la base du job de l’agence de notation était de vendre ses ratings aux entreprises.» Ce qu’elles font toujours majoritairement, en réalité. Les Etats ne les sollicitent et ne les paient pas pour obtenir leurs notes. A l’inverse, «les entreprises ne trouveront pas d’investisseurs si elles ne font pas vérifier leur solvabilité par une agence».
Un manque de transparence sur les méthodes
L’économiste Bertrand Candelon (UCLouvain) rappelle que les agences de notation «ont produit un mauvais effet» lors de la crise financière de 2008. Leurs notes avaient alors participé à une amplification des taux, et donc à une aggravation du remboursement de la dette pour certains Etats. «Aujourd’hui, elles gardent cependant un rôle essentiel, en rendant publiques certaines informations privées d’une part, et en évitant les asymétries d’information d’autre part.»
«Les agences de notation, destinées aux entreprises, ont réussi à institutionnaliser leurs résultats. C’est brillant de leur part.»
Leur analyse, censée être anticipative, «a clairement moins d’impact depuis sept ou huit ans», reconnaît l’économiste, qui pointe également «les critères assez opaques de Moody’s». Un «manque de transparence sur les méthodes qui n’inspire pas confiance pour les investisseurs.» Ceci étant, ces agences privées, d’abord destinées aux entreprises, ont fait preuve d’habilité. «Elles ont réussi à institutionnaliser leurs résultats. C’est brillant de leur part», salue enfin Bertrand Candelon.