Qui paye l’Etat sociale en Belgique: «Sans surprise, les revenus issus du travail sont les plus taxés» © Getty Images

Pourquoi les impôts, taxes et cotisations pèsent près de la moitié du PIB (et qui paie le plus)

En Belgique, plus de quatre euros de richesse produite sur dix finissent dans les caisses publiques. Le dernier rapport de l’OCDE confirme une pression fiscale parmi les plus élevées du «club des pays riches». Derrière ce chiffre se cache un choix de société assumé, mais aussi une structure de recettes très dépendante du travail pour la soutenabilité de l’Etat social.

Selon le dernier rapport de l’OCDE, 42,6% du PIB de la Belgique (620,3 milliards d’euros en 2024) proviennent de ses recettes fiscales (264 milliards d’euros), et donc de ses impôts, taxes et cotisations en tout genre. La moyenne des pays de l’OCDE fluctue à un taux inférieur de 34,1%. Ce qui place la Belgique dans le top cinq des pays étudiés à plus forte pression fiscale.

En d’autres mots, pour 100 euros bruts produits, un peu plus de 42 euros vont dans les caisses publiques. Olivier Malay, chercheur en économie à l’UCLouvain, anticipe d’emblée le potentiel polémique de ce chiffre: «La vraie question n’est pas tant de savoir si 42,6% est trop ou pas assez, mais de voir sur qui repose cet effort. Sans surprise, on voit qu’en Belgique, les revenus issus du travail sont les plus taxés. Comparés aux autres pays de l’OCDE, les revenus du capital le sont moins. La plus-value sur les actions n’est pratiquement pas taxée. Il n’y a pas d’impôt général sur le capital et la taxation des revenus du capital est assez peu efficace, avec de nombreuses possibilités d’évitement. C’est ce qui explique que le 1% le plus riche a un taux effectif d’imposition qui tourne autour de 23–24%, alors que la moyenne de la population se situe à 43%.»

Ce qu’analyse Olivier Malay au vu des chiffres de l’OCDE, c’est que ce sont les classes moyennes travailleuses, les indépendants et les entrepreneurs qui supportent l’essentiel des recettes fiscales du PIB. Il justifie son constat par les statistiques du rapport de l’OCDE. Ensemble, les cotisations sociales et l’impôt sur le revenu représentent 58,7% des recettes fiscales de la Belgique. Là où la moyenne de l’OCDE atteint 49,2%.

Même exercice avec les taxes foncières qui représentent 7,4% des recettes fiscales belges, pour 5,1% de la moyenne.

A l’inverse, si l’on se base sur les chiffres en pourcentage de l’OCDE, la Belgique est en dessous de la moyenne sur son imposition des revenus de sociétés (9,3% contre 11,9%). Mais aussi pour ses pourcentages de recettes fiscales issues de la TVA (15% contre 20,50% pour la moyenne de l’OCDE), et sur les autres taxes sur des biens et services (accises carburants, alcool, tabac, taxes énergie, transports…)

Le professeur en finances publiques à l’UCLouvain, Tom Truyts, nuance ce qu’il appelle «un effet d’optique». «Le graphique donne l’impression que la Belgique taxe peu la consommation, parce que la TVA ne représente qu’une part limitée des recettes. C’est trompeur. Ce pourcentage est calculé sur un total de recettes qui est beaucoup plus élevé qu’ailleurs. Dans des pays où la pression fiscale globale est plus faible, la TVA peut représenter une grande part des recettes, alors que les consommateurs ne paient pas nécessairement moins chez nous. Ce que ces chiffres indiquent surtout, c’est que la Belgique finance son Etat social beaucoup plus par les cotisations sociales et l’impôt des personnes physiques, que par la TVA

Forte pression fiscale

Selon les critères de l’OCDE, la Belgique est donc bien un pays à forte pression fiscale. Une part importante de la richesse créée transite par les budgets publics, qui dépendent eux-mêmes de ces recettes. Cette situation soulève des questions sur la soutenabilité des finances publiques à long terme, dans un contexte où les dépenses de pensions et de soins de santé augmentent chaque année.

Tom Truyts invite à replacer ce constat dans l’histoire sociale du pays. «Oui, la pression fiscale en Belgique est très élevée. Cela tient à deux choses. D’une part, il s’agit d’un choix de société. La population et les responsables politiques ont, historiquement, opté pour une sécurité sociale large et généreuse. Un tel système a un coût. D’autre part, la complexité institutionnelle belge n’aide pas à contenir cette dépense. Dans un tel cadre, ceux qui cotisent sont en principe ceux qui bénéficient de la couverture, même si, dans la pratique, les personnes à revenus plus élevés contribuent souvent davantage qu’elles ne reçoivent. Le système combine donc une logique d’assurance et une dimension redistributive.»

Pour le professeur, le chiffre de 42,6% ne suffit pas, en soi, à conclure à une situation anormale ou d’alerte: «Certains y voient une charge excessive, d’autres un prix à payer pour bénéficier d’une couverture large. Le système n’est pas parfait. Il comporte des inefficacités. Mais, le niveau élevé des cotisations et la part importante de l’impôt des personnes physiques qui finance la sécurité sociale ont une contrepartie bénéfique: une protection relativement généreuse contre les principaux risques sociaux.»

Les statistiques de la Banque nationale montrent que deux postes dominent les dépenses de sécurité sociale: les pensions et les soins de santé. Avec le vieillissement de la population, ce sont précisément ces postes qui enregistrent les plus fortes hausses. Cette dynamique crée une tension structurelle entre le niveau actuel de prélèvements et l’évolution attendue des dépenses sociales.

La «richesse humaine»

La question n’est pas seulement de savoir combien l’Etat prélève, mais ce qu’il fait de ces recettes. Pour Tom Truyts, l’économie belge repose d’abord sur sa «richesse humaine», bien davantage que sur des rentes naturelles:«La richesse de la Belgique dépend très fortement de l’entrepreneuriat et de son capital humain. Nous ne disposons pas de ressources naturelles comme des gisements pétroliers qui généreraient des revenus automatiques. Cela suffit à justifier l’importance d’investir les recettes publiques générées par la population dans un enseignement de haut niveau, largement accessible, dans les soins de santé, les retraites.

Toujours selon le professeur en finances publiques, l’enjeu est de réduire la pression fiscale sans affaiblir les fondations économiques du pays. «Personnellement, je pense qu’il est important de réduire un peu la pression fiscale, même dans les circonstances difficiles actuelles. Mais il faut le faire d’une façon qui ne détruit pas notre capacité à produire de la richesse. Sans certaines dépenses publiques, la Belgique ne produirait pas autant de PIB. Il faut donc trouver un compromis entre un niveau de prélèvements soutenable et le maintien des investissements publics qui conditionnent la croissance future. Il faut bien choisir où réduire cette pression fiscale.»

Dans cette lecture, l’Etat social n’est pas uniquement présenté comme une charge comptable. Il constitue aussi un «socle productif» où le système scolaire a un rôle de formation de la main-d’œuvre, où les soins de santé maintiennent la population au travail, les pensions évitent une chute brutale de revenus en fin de carrière, les infrastructures facilitent les échanges et les déplacements… Autant de dépenses qui pèsent sur le budget, tendent le fil de la pression fiscale, mais qui pour les deux économistes, «participent à la capacité du pays à créer de la valeur.»

Pour Tom Truyts, c’est dans cet équilibre que se joue l’avenir de l’Etat social belge: «Le pays doit composer avec une pression fiscale déjà élevée, des dépenses sociales en hausse et une croissance qui dépend étroitement de la qualité de son capital humain. La question devient alors moins de savoir si 42,6% est un chiffre « trop haut » en soi que de déterminer comment ces recettes sont levées, sur quels types de revenus, et à quoi elles servent concrètement.»

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