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Votre pension anticipée en péril: «Jan Jambon ferait mieux de s’inspirer du système aux Pays-Bas»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Le malus pension que souhaite introduire le ministre N-VA Jan Jambon fait bondir le syndicat socialiste FGTB. Un expert évoque des solutions moins pénalisantes. Le but, toutefois, reste le même: maintenir les gens plus longtemps au travail. Et pour l’harmonisation des régimes? Doux rêve, pour certains. Cauchemar pour d’autres, dans le pays des mesurettes politisées.

Avant de boucler ses valises pour l’été, Jan Jambon veut d’abord boucler un dossier sensible. Celui du malus pension. Le ministre des Finances (N-VA) met les bouchées doubles pour faire décoller la mesure, actuellement en gestation dans les groupes de travail inter-cabinets. Son objectif: que le texte franchisse une première étape cruciale, celle de la validation en première lecture. Et vite: le Conseil des ministres prévu le 18 juillet est ciblé, dit-on.

Concrètement, le malus pension pénalise(ra) tout travailleur qui veut partir à la retraite avant 66 ou 67 ans, à partir de 2030. Par année de départ à la pension plus précoce que l’âge légal, un malus de -2% sera appliqué jusqu’en 2030, de -4% jusqu’en 2040, et de -5% après 2040. But affiché: décourager les départs en pension anticipée, maintenir au travail plus longtemps, et, structurellement, tenter de sauver le financement des pensions, mis à mal par le vieillissement de la population.

Tout est une question de balance: si le nombre de retraités augmente davantage par rapport à celui des actifs, c’est tout le système qui penche et risque de s’effondrer. Il n’y aurait alors plus assez de cotisants pour soutenir ceux qui ne travaillent plus. L’équation paraît simple, mais, pour l’Arizona, la soutenabilité des pensions paraît de plus en plus… insoutenable. Et les mesures évoquées, impopulaires.

Pension: le malus pénalise au lieu de stimuler

Actuellement, l’âge moyen du départ à la retraite est de 62 ans, rappelle Franky Stevens, expert chez Vanbreda Risk & Benefits. «On est donc encore loin du cap de départ fixé à 67 ans en 2030.»

Pour le spécialiste des pensions, la question est surtout de savoir si pénaliser les travailleurs est la bonne manière pour les stimuler à travailler plus longtemps. «Je crois que le malus est surtout problématique pour les personnes qui pratiquent des métiers durs, moins bien payés, qui se retrouvent forcées à travailler plus âgées, car elles ont absolument besoin de leur pension complète, épingle-t-il. A l’inverse, les personnes avec un meilleur salaire auront plus de « facilité » à prendre leur pension anticipée. Et à risquer d’être pénalisées sans se mettre en danger financièrement.»

«La question n’est pas de savoir si on doit tous travailler plus longtemps, mais plutôt comment et dans quelles conditions.»

L’impact du malus est très dur. Il ne fait pas non plus de distinction quant à la pénibilité du travail. «Pour un ouvrier, 5% de moins sur la pension légale, c’est énorme, insiste Franky Stevens. Le malus pourrait aussi être contre-productif, et pousser certains à se mettre en maladie durant les dernières années de carrière.»

Le système belge actuel manquerait donc de flexibilité. «Il pénalise au lieu de stimuler. Aujourd’hui, soit on part à la retraite, soit on travaille. C’est l’un ou l’autre.»

Le malus défavorise les femmes

Selena Carbonero Fernandez, Secrétaire fédérale de la FGTB, estime que le malus est une mesure «totalement déséquilibrée, qui fera du tort aux travailleurs salariés, aux fonctionnaires et en particulier aux femmes

Une travailleuse sur quatre sera touchée par le malus pension, calcule la syndicaliste, «ce qui représente 17.500 travailleuses par an.» Celles-ci sont particulièrement exposées, car «elles sont contraintes de travailler à temps partiel –80% des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes».

«Oui, il est correct de dire que les femmes seront défavorisées par le malus, abonde Franky Stevens. Car seuls les jours de travail effectifs sont reconnus dans la proposition de Jan Jambon.» D’après l’expert, le malus ne changera pas profondément le régime. «Il ne devient pas plus harmonisé. On met juste en péril le montant de la pension légale pour pousser à travailler plus longtemps.»  

La pension anticipée va devenir «un luxe»

Selon la FGTB, le gouvernement diminue là les droits à la pension anticipée, «qui devient un luxe». «On a l’impression que ce sont des économies faites sous couvert d’harmonisation, soupçonne Selena Carbonero Fernandez. Les 2,4 milliards d’économies annoncées sur un budget de 60 milliards ne résoudront pas le fond du problème des pensions. En revanche, ils auront impact non négligeable sur toute une série de personnes.»

«On a l’impression que ce sont des économies faites sous couvert d’harmonisation.»

D’autant plus que la mesure du malus ne touchera pas les indépendants, pointe la FGTB, qui cite le Bureau fédéral du Plan. Logique, au vu de la méthode de calcul qui diffère entre les statuts. La retraite d’un salarié est en effet déterminée sur base des années prestées et, au sein de celles-ci, des jours effectifs travaillés (156 jours par an pour obtenir une année complète de travail prise en compte dans la pension légale). La pension d’indépendant, elle, repose sur les cotisations payées par le travailleur et non les jours de travail effectifs (deux trimestres de cotisations minimales suffisent pour une année). «Il n’est pas pertinent, dès lors, de comparer deux systèmes totalement différents», nuance Franky Stevens.

La pension partielle, l’inspiration hollandaise à creuser?

Si la nécessité de travailler plus longtemps semble inévitable pour faire infléchir la courbe des coûts de la pension légale, existe-t-il toutefois des alternatives au malus, dont l’aspect punitif ne réjouit personne? Oui, répond Franky Stevens, qui plaide par exemple pour l’introduction d’un système de pension dit «partiel», tel qu’il existe aux Pays-Bas. Une combinaison de pension légale et de travail à mi-temps. Entre, par exemple, 62 et 67 ans. Ou après 35 ou 40 années de carrière, au choix. «Cette méthode est largement plus stimulante, et serait certainement plus efficace que le malus, estime-t-il. Tant sur l’aspect financier que pour le confort de vie des personnes en fin de carrière. Aux Pays-Bas, la retraite anticipée peut se faire dès 58-60 ans (NDLR: âge légal à 67 ans), et il est aujourd’hui tout à fait normal et populaire de travailler par la suite à temps partiel.»

Et l’option du bonus pension, alors? Inutile. «Je ne pense pas que travailler deux ans en plus pour recevoir 2 ou 3% supplémentaires de pension légale soit un vrai stimuli», tranche le spécialiste.

Malus: une mesure isolée

Toujours est-il que le malus reste une mesure isolée, non-inscrite dans une réforme plus globalisée. «Les conditions pour obtenir la pension anticipée sans être pénalisé vont devenir très strictes. Nécessaire? Oui, en quelque sorte. Mais la question n’est pas de savoir si on doit tous travailler plus longtemps, mais plutôt comment et dans quelles conditions», distingue Franky Stevens.

Théoriquement, la «réforme» est donc largement insuffisante. «En pratique, il est très ambitieux de vouloir harmoniser les différents statuts. Il manque au moins dix étapes pour y parvenir. Politiquement, c’est presque impossible de convaincre la majorité actuelle, estime encore Franky Stevens. Si Jan Jambon veut réellement une réforme de pension légale uniforme, il devra se débarrasser de certains tabous et mettre sur la table un ensemble de mesures impopulaires. Or, il propose actuellement des petits changements qui provoquent beaucoup de mécontentement, sans grands résultats structurels.»

L’objectif de Jan Jambon serait de faire officiellement entrer le malus dès janvier 2026. Or, le texte ne devrait pas être voté avant le mois de décembre 2025 au Parlement. «C’est un timing beaucoup trop rapide pour légiférer. Et si la mesure entre réellement en vigueur, cela signifie qu’une série de droits acquis ne seront pas respectés», s’inquiète enfin Selena Carbonero Fernandez.

Comment échapper au malus?

Concrètement, le malus pension vise tout travailleur qui veut partir à la pension avant 66 ou 67 ans (à partir de 2030). Par année de départ à la pension plus précoce que l’âge légal, un malus de -2% sera appliqué jusqu’en 2030, -4% jusqu’en 2040, et -5% après 2040.


Pour échapper au malus tel que voulu par Jan Jambon, il faudra accumuler au moins 42 ans de carrière à 63 ans. Ce n’est pas tout: au sein de ces 42 ans, au moins 35 années de carrière devront chacune compter 156 jours de travail effectif. Les jours de maladie, d’interruption ou de réduction de carrière sans motif de soins, les aménagements de fin de carrière ou le chômage ne sont pas comptabilisés comme jours de travail effectif, tout comme le chômage temporaire pour des raisons économiques ou techniques.


Enfin, ces 42 années doivent compter au moins 7.020 jours de travail effectif, soit environ 175 jours effectivement travaillés sur 40 ans.

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