Plutôt qu’un saut d’index généralisé, l’Arizona a opté pour un plafonnement du mécanisme d’indexation automatique des salaires. © Getty Images

Calculateur: voici combien le saut partiel d’index va vous faire perdre d’argent

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Pour réaliser 883 millions d’économies, le gouvernement fédéral a décidé de procéder à un saut partiel d’index, en 2026 et 2028. Une mesure qui concernera un peu moins d’un salarié sur deux. Etes-vous concerné? Réponse grâce à un calculateur.

A chaque crise budgétaire majeure, il revient hanter les travailleurs. Le spectre d’un saut d’index, pratiqué pour la dernière fois en 2015, avait à nouveau été brandi par le Premier ministre Bart De Wever (N-VA) début octobre pour sortir la Belgique du précipice financier. Un ballon d’essai aussitôt balayé par ses partenaires de coalition, jugeant la proposition trop extrême.

Un mois et demi plus tard, l’idée choc a finalement été remaniée. Et avalisée dans une version édulcorée. Plutôt qu’un saut d’index généralisé à l’ensemble des travailleurs, l’Arizona a décidé de plafonner l’indexation automatique des salaires et des allocations à un certain montant. Ainsi, seuls les 4.000 premiers euros brut de salaire (2.000 euros pour les allocations) seront pleinement indexés. Les tranches supérieures (par exemple, 500 euros pour le travailleur touchant 4.500 euros mensuellement) en seront exclues. Un «effort de solidarité exceptionnel» qui sera appliqué à deux reprises, en 2026 et en 2028. Décryptage en cinq questions.

1. Qui est concerné?

Le plafonnement de l’indexation des salaires devrait concerner un peu moins de la moitié des travailleurs belges à temps plein. Selon les données de Statbel, le salaire médian s’élevait en effet à 3.728 euros brut par mois en 2022, alors que le salaire moyen avoisinait les 4.076 euros. D’après les calculs menés lundi par le prestataire de services RH Partena Professional (portant sur quelque 150.000 salariés), la réforme touchera précisément 41% des travailleurs belges. A noter que le gouvernement a aussi décidé de ne pas indexer les salaires des ministres et des parlementaires d’ici à la fin de la législature.

Concernant les allocataires sociaux, ce sont surtout les pensionnés qui feront les frais de la mesure. «A priori, les chômeurs ou les personnes en invalidité touchent généralement un revenu de remplacement inférieur à 2.000 euros brut, et verront donc leur indexation garantie», note Muriel Dejemeppe, professeure d’économie à l’UCLouvain. Environ la moitié des retraités devraient être concernés. En effet, en janvier 2024, le revenu de pension légale brut s’élevait à 1.998 euros en moyenne (2.203 euros pour les hommes, contre 1.803 euros pour les femmes), d’après Pension Stat. Les ex-fonctionnaires seront les plus touchés. «La pension des « petits retraités » sera préservée, ce qui s’apparente donc à un moindre mal par rapport à un saut d’index généralisé, souligne l’économiste. D’autant qu’on peut supposer que les pensionnés qui touchent plus de 2.000 euros par mois ont pu investir dans d’autres produits financiers qui leur permettent de ne pas subir une trop grosse détérioration de leur pouvoir d’achat.»

2. A combien s’élève la perte financière?

L’incidence pour les salariés et les allocataires sociaux concernés dépendra évidemment de leur revenu initial: plus il est élevé, plus la perte en valeur absolue sera grande. Prenons un salaire de 5.000 euros dans le secteur public. A situation inchangée, le travailleur bénéficierait d’une indexation de 2% à chaque dépassement de l’indice pivot et ce, sur la totalité de ses revenus. Soit 100 euros d’indexation pour un salaire indexé de 5.100 euros brut. Or, en 2026 et en 2028, l’indexation portera uniquement sur les 4.000 premiers euros. Le salarié bénéficiera alors de 80 euros brut d’augmentation, portant son salaire corrigé à 5.080 euros. Soit 0,39% de perte brute, ou 0,29% de perte nette, d’après les estimations de l’économiste Philippe Defeyt.

Cumulées sur un an et tenant compte d’un treizième mois et d’un double pécule de vacances, les pertes absolues pourraient grimper jusqu’à 331 euros pour un salaire mensuel de 7.000 euros brut (-0,63% par rapport à la situation initiale). «Les effets de la mesure restent donc relativement limités, reconnaît Philippe Defeyt. On est loin du désastre social d’un saut d’index généralisé. Je pense d’ailleurs qu’un certain nombre de salariés concernés pourront négocier des compensations

Pour Muriel Dejemeppe, ces négociations seront surtout le fait d’employés à haute qualification, actifs dans des secteurs en pénurie ou dans des entreprises aux marges bénéficiaires élevées. «Dans les secteurs où des difficultés de recrutement existent, le rapport de force est clairement en faveur des employés, qui pourront prétendre à des augmentations salariales qui pallieront la non-indexation et pourront compenser l’inflation», estime l’économiste.

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3. Qui en sortira gagnant ou perdant?

A priori, ce sont surtout les secteurs économiques engageant des salariés à haute qualification (et donc, mieux rémunérés) qui profiteront du plafonnement de l’indexation. «Les gagnantes de la mesure sont des entreprises déjà prospères pour le moment, comme les banques, les sociétés chimiques ou pharmaceutiques», observe Philippe Defeyt. Au total, les économies pour les entreprises sont estimées à 800 millions d’euros. Un «gain» qui sera partiellement récupéré par l’Etat via l’impôt sur les sociétés (Isoc), indique toutefois Philippe Defeyt. Pour rappel,  le taux d’imposition des sociétés est fixé à 25% et se calcule sur la base des bénéfices fiscaux de l’entreprise.

Le contrecoup sera moindre, voire inexistant, pour les petits employeurs qui, souvent, proposent des salaires sous la médiane (commerce, Horeca…) ou dont la proportion de salariés qui gagnent plus de 4.000 euros par mois est plus faible. «Une fois de plus, on prend une mesure favorable aux grandes entreprises, ce qui donne à penser que certains partis au gouvernement sont plus proches des grands groupes que des PME», fustige Philippe Defeyt.

D’où l’urgence, selon Muriel Dejemeppe, de continuer à réduire les cotisations patronales pour les plus bas salaires. «Garantir l’indexation automatique de ces salaires est effectivement important, mais en compensation, il faut essayer d’atteindre une exonération complète des cotisations patronales pour ne pas confronter les PME à une double peine au moment de l’indexation», insiste l’économiste.

4. Combien la mesure va-t-elle rapporter à l’Etat?

La réforme sera logiquement favorable à l’Etat fédéral, d’abord car une partie du salaire de ses propres travailleurs ne sera pas indexée. Malgré des pertes attendues sur l’impôt des personnes physiques (IPP), calculé sur le revenu, l’Arizona estime que la mesure permettra de réaliser 883 millions d’euros d’économie d’ici à 2029. Selon les tableaux budgétaires transmis par le Premier ministre, la réforme engendrera déjà 272 millions d’économie rien qu’en 2026.

5. Qu’en pensent les syndicats?

La mesure passe mal auprès des représentants des travailleurs, qui rappellent que l’indexation automatique n’est pas «un mécanisme redistributif, mais une protection contre la perte de pouvoir d’achat». En réduire la portée revient donc à baisser les salaires réels, fustige la CGSLB. Les syndicats voient en outre en cette décision, imposée sans dialogue social, «une porte ouverte» au démantèlement du mécanisme d’indexation automatique. «Toucher à l’index, c’est toucher à la confiance», résume le syndicat libéral.

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