Le marché de l’électricité est en pleine mutation, poussant à penser davantage à la flexibilité de sa consommation. La batterie de stockage permet d’y parvenir, en permettant de décaler ses prélèvements aux moments opportuns financièrement. Même sans panneaux photovoltaïques, assurent certains. Rentable? Prudence.
Stocker l’électricité produite par ses panneaux photovoltaïques semble évident. La manœuvre permet de consommer l’énergie de manière plus flexible, en soirée notamment, lorsque la production électrique des panneaux est faible ou nulle. En maximisant son autoconsommation, il est possible de faire davantage d’économies. Ce sera d’autant plus vrai lorsque le système du «compteur qui tourne à l’envers» prendra fin, d’ici 2030, pour toutes les installations.
Certains vendeurs de batterie et sites spécialisés dans le marché de l’énergie renouvelable évoquent une autre solution étonnante: l’installation d’une batterie domestique sans avoir de panneaux solaires. Les critères mis en avant concernent la démocratisation des prix des batteries et les systèmes intelligents qui gèrent les moments opportuns pour recharger et décharger.
Il s’agit surtout de profiter des nouvelles opportunités qui arrivent sur le marché de l’électricité. Tout d’abord, les contrats dynamiques, proposant des prix fluctuant d’heure en heure, parfois même négatifs, pour l’électricité. A ces prix s’ajoute ensuite la modification des frais de réseau prévue pour 2026. Dès l’an prochain, le «tarif impact» incitera la consommation en dehors des périodes de pointe et pénalisera la consommation aux heures de forte demande.
Flexibiliser la consommation électrique
Ces deux modifications tarifaires interviennent à un moment où le réseau électrique est sous pression à certaines périodes. C’est le cas lors de pics de production d’électricité renouvelable, via le solaire et l’éolien. L’offre abondante doit être utilisée, afin de maintenir l’équilibre du réseau. Si ce n’est pas possible, des problèmes de surtension peuvent apparaître localement. Ce surplus peut mener au problème bien connu par certains détenteurs de panneaux solaires: le décrochage d’onduleur, soit l’arrêt de la production d’une installation photovoltaïque.
C’est précisément pour favoriser la consommation de ces surplus électriques et éviter les problèmes que les prix dynamiques sont apparus. «Ces nouvelles grilles de tarification ont été imaginées pour essayer de flexibiliser au maximum la consommation d’électricité et la déplacer aux moments utiles pour le réseau, précise Benjamin Wilkin, directeur d’Energie commune et expert en renouvelable. Cela engendre une situation nouvelle sur le marché: une combinaison d’un prix de l’énergie faible et d’un tarif de transport bas également, soit les deux composants principaux sur la facture d’électricité. A certains moments, il existera donc une opportunité de stocker l’énergie à bas prix, pour la consommer plus tard, depuis votre batterie, lorsque les tarifs remontent.»
Quelle rentabilité?
Ces prix bas, voire négatifs par moments, suffisent-ils à rendre la solution avantageuse? Rentabiliser une installation à plusieurs milliers d’euros pour un client résidentiel reste difficile. Le consommateur doit calculer sa consommation fixe, tout ce qui n’est pas programmable ou déplaçable. Ce volume pourrait profiter de la batterie pour utiliser l’énergie à bas coût qui a été stockée. En se basant sur les prix heure par heure de l’année précédente, faute de pouvoir prédire exactement l’avenir, et en calculant précisément le gain potentiel sur ce volume, la rentabilité potentielle apparaîtra… ou pas.
«Cela reste une possibilité, séduisante sur papier, mais qui reste à ce jour très théorique. Il y a effectivement un delta qui augmente entre les prix hauts et bas. Mais les calculs à faire sont complexes, pour finalement gagner de petits montants. A côté du prix de la batterie, il y a aussi l’entretien à prévoir, de l’administratif, des précautions à prendre. Cela ressemble à une usine à gaz pour un ménage lambda. Preuve qu’il est sans doute trop tôt pour juger de la rentabilité: cela ne s’est pas vraiment encore vu en Flandre, où les tarifs dynamiques sont en vigueur depuis plus longtemps», observe Arnaud Etienne, expert chez pluginfo.be, plateforme d’information dédiée aux équipements de production électrique.
Un calcul de rentabilité qui sonne également comme un pari sur l’avenir. «Ce qu’on ignore, c’est la pérennité des prix sur un marché devenu plus dynamique. Quelle sera la production solaire l’an prochain? Et éolien? On entre dans une forme de spéculation. Il faut aussi réaliser qu’un jour, ce nouveau marché de la flexibilité va se stabiliser. Nous aurons des capacités de stockage suffisantes pour mieux équilibrer le réseau. Nous atteindrons à un moment cette dernière batterie utile et rentable. Reste à savoir quand», analyse l’expert.
«Cette solution mise en effet beaucoup sur la volatilité des prix, prévient Pierre Henneaux, de l’unité de recherche en énergie électrique à l’école polytechnique de Bruxelles (ULB). Cette volatilité existera encore à l’avenir, c’est certain. Le nombre d’heures annuelles affichant des tarifs négatifs gagne encore du terrain, ce qui incite à penser au stockage de l’électricité. Mais au plus il y aura de batteries, au plus les prix vont se lisser, car la surproduction diminuera. Si vous investissez maintenant, vous posez en réalité l’hypothèse qu’il n’y aura pas de surinvestissement en batterie de la part des autres.»
Les parcs de batterie, la même idée, en grand
L’idée de vouloir stocker l’énergie à un niveau résidentiel apparaît donc comme risquée. Les grands parcs de batterie, eux, poursuivent leur développement. Ils fonctionnent sur la même idée, à un niveau macro, en profitant des surplus pour les conserver. Ces parcs offrent un service au réseau, en évitant les surcharges, avec compensations à la clé également.
«Il y a effectivement deux situations différentes à prendre en compte: d’un côté, les grands sites de batterie, qui sont connectés au niveau de tension supérieure, sur le réseau de transport d’électricité. L’idée est ici plus profitable, car vous n’avez pas à payer pour la partie distribution. De l’autre côté, pour les clients résidentiels, avoir une batterie domestique, c’est beaucoup plus facile à installer, en un temps beaucoup plus court et avec des budgets plus réduits. Mais vous payerez davantage de frais, car vous dépendrez du réseau de distribution, avec ses frais», détaille Pierre Henneaux.
«Plus les volumes sont petits, moins c’est intéressant pour la spéculation, complète Benjamin Wilkin. Certains gros parcs de stockage ont fait des paris il y a quelques années, qui aujourd’hui apportent une vraie rentabilité. Cela continue encore de se développer, jusqu’au jour où les objectifs ne seront plus atteints et le marché se calmera.»
Le développement du renouvelable continue donc d’apporter ses opportunités et ses pièges. Avec un message important, rappelle l’expert d’Energie-commune: «Le futur, c’est la flexibilité. Que vous ayez des panneaux photovoltaïques, une batterie, une voiture électrique, une pompe à chaleur ou rien de tout cela. Nous allons devoir repenser notre rapport à l’électricité et consommer différemment.»