D’un service de déménagement à l’autre, les tarifs affichés varient parfois du simple au triple. Des écarts de prix justifiés par la qualité (et la légalité) du travail proposé. Car dans le secteur, les «sociétés pirates», capitalisant sur l’impuissance et la vulnérabilité de leurs clients, foisonnent.
«La galère totale». A trois jours de l’expiration de son bail, Clara (1) a dû composer avec une annulation de dernière minute. Son service de déménagement, pourtant réservé plus de trois semaines à l’avance, l’a lâchée, prétextant un «conflit d’agenda». En panique, la trentenaire bruxelloise a alors écumé des dizaines de sites Internet, à la recherche d’une perle rare disponible le Jour J. Quel qu’en soit le prix…
Car dans le secteur, les écarts tarifaires ont de quoi surprendre. D’une société à l’autre, les devis passent parfois du simple au triple, voire au quintuple. Une fluctuation qui se justifie d’abord par le degré de complexité des opérations à réaliser. Un déménagement d’un rez-de-chaussée à l’autre, au sein d’une même commune rurale, impliquera logiquement moins de coûts qu’un déménagement en pleine ville. «Tout déménageur sérieux effectuera une visite préalable des lieux, pour vérifier les accès, évaluer le volume à déménager, les véhicules à prévoir (lift, camion…), la main d’oeuvre, le matériel de protection ainsi que les autorisations éventuelles (réservation de places de stationnement, etc), précise Philippe Patar, déménageur dans la capitale depuis 46 ans. C’est seulement sur base de ces informations qu’on pourra établir un devis réaliste.»
Hiver ou été?
La période de l’année peut également faire fluctuer les tarifs affichés. «Les fins de mois sont toujours les plus prisées, en raison de l’expiration des contrats de bail, indique Bertil Durieux, président de la Chambre belge des déménageurs (CBD). Mais le grand rush s’étale durant les vacances d’été, plus largement de la mi-juin à la fin septembre, car la majorité des familles veulent éviter un changement d’école à leurs enfants en cours d’année.»
Un déménagement en semaine sera en outre moins onéreux qu’un samedi, rappelle Testachats, qui conseille de se libérer un jour ouvrable. «Renseignez-vous auprès de votre employeur, car vous avez sans doute droit à un jour de congé pour votre déménagement», insiste l’association de défense des consommateurs. De nombreuses sociétés agréées appliquent en effet une majoration tarifaire le week-end, pour compenser le coût supplémentaire de la main d’oeuvre. A noter que déménager un dimanche est parfois strictement règlementé dans certaines communes (uniquement de 10 à 12h, par exemple), voire tout simplement proscrit.
Au-delà de ces variables tarifaires, c’est surtout la qualité du service qui va faire grimper (ou chuter) le montant du devis. Si la société est agréée, elle devra respecter un tas d’obligations légales, notamment sur le plan de la sécurité sociale. «Une main oeuvre qualifiée et déclarée est la première source de coûts pour les sociétés de déménagement», rappelle Bertil Durieux. Viennent ensuite les coûts du matériel et de son entretien. «Un lift doit par exemple être contrôlé tous les trois mois par un organisme agréé, car c’est un appareil de levage, indique Philippe Patar, qui siège également au sein de la CBD. Tout cela a évidemment un prix, dont les sociétés non-officielles ne s’acquittent pas. Et le jour où il y a un accident ou un contrôle, elles disparaissent subitement dans la nature.»
Suppléments et vols
En effet, ces dernières années ont été marquées par une explosion du nombre de déménageurs «cow-boys» ou «pirates», qui nuisent à la crédibilité du secteur. «Ce sont ces déménageurs qui travaillent en noir, qui roulent en camionnettes blanches non floquées, qui n’ont pas de numéro de TVA ni de siège social et engagent de la main d’oeuvre non qualifiée, précise Edouard Adrien, déménageur chez Adrien & Fils. Ce sont eux qui font le plus de mal à la profession, car ils affichent des prix défiant toute concurrence, à côté desquels les sociétés agréées passent parfois pour des « voleuses », car elles demandent le triple du tarif.»
Or, derrière ces prix à première vue alléchants se cache généralement un service médiocre. Voire de l’arnaque totale. «Le manque de préparation va faire gonfler la facture finale, alerte Bertil Durieux, car la taille de la camionnette se révèlera par exemple insuffisante pour transporter le volume à déménager, ce qui va finalement nécessiter beaucoup plus d’heures de travail.» Des suppléments que le client peut rarement contester, sans avoir signé de devis clair et transparent au préalable. Le non-respect de la règlementation communale (par exemple, des chaises ou des cônes placés sur la route au lieu de panneaux de signalisations) peut également valoir des amendes, toujours à charge du client.
«Une main oeuvre qualifiée et déclarée est la première source de coûts pour les sociétés de déménagement.»
La casse et les dégâts sont en outre fréquents. Or, ils sont rarement assurés dans le cas de sociétés «pirates». «Les clients doivent parfois faire une croix sur leur garantie locative car le déménageur a abîmé leur balcon ou a fait d’énormes coups dans le parquet ou la cage d’escaliers», illustre Philippe Patar. Sans compter les vols, partiels ou totaux. «Il arrive parfois que des clients aient fait confiance à des sites internet bien ficelés, puis se retrouvent face à des déménageurs qui ont embarqué tout le mobilier et ne se sont jamais présentés à la seconde adresse», note l’indépendant bruxellois.
«Du pain béni»
Or, sans numéro de TVA ni coordonnées téléphoniques vérifiées, difficile de retrouver la trace de ces arnaqueurs. «Ce sont parfois des déménageurs one-shot, qui ont créé un site internet de toutes pièces, qu’ils suppriment dès que le crime a été commis, regrette Philippe Patar. On voit également parfois des sociétés disparaître de la circulation après avoir reçu une flopée d’avis négatifs, puis réapparaître sous un nouveau nom un mois plus tard.»
Sans scrupule, ces pseudo-déménageurs capitalisent en outre sur la vulnérabilité de leurs clients, notamment ceux contraints d’agir dans l’urgence. «Déménager, c’est une source de stress importante, qui peut être décuplée en cas d’événements inopinés comme une séparation ou un décès, rappelle Bertil Durieux. Evidemment, ces gens malintentionnés en profitent.» Car, généralement, ils sont les seuls à être disponibles à si courte échéance. «Tous les déménageurs agréés qui ont un agenda un peu cohérent sont complets au minimum une semaine et demie, voire deux semaines à l’avance, rappelle Edouard Adrien. Si pas plus en été.»
Les «cow-boys» repèrent en outre habilement le public mal informé. «Les personnes âgées, c’est presque du pain béni pour eux, déplore le président de la CBD. Certains clients n’ont parfois aucune idée de l’importance du travail à réaliser et sont prêts à dépenser des sommes affolantes, car ils n’ont pas été informés des conditions générales de vente au prélable.»
2 à 3 plaintes par semaine
Bref, les sources d’ennui sont multiples et variées. Si bien que la Chambre des déménageurs belges reçoit en moyenne «deux à trois plaintes» par semaine, d’après son président. Face à cette multiplication d’arnaqueurs, la CBD a lancé, fin 2024, une plateforme recensant les déménageurs agrées en Belgique. Un contrepoids qui permet d’informer les particuliers et les entreprises en toute transparence, qui recense aujourd’hui plus d’une centaine de sociétés.
En février 2024, la CBD a également signé un Plan pour une concurrence loyale, avec les partenaires sociaux et les administrations concernées. «Nous continuons d’attirer l’attention auprès des ministres compétents pour rappeler que notre profession est envahie par tout un tas de sociétés malhonnêtes, insiste Philippe Patar. Nous devons défendre notre profession pour que le secteur ne soit pas décrédibilisé et que les particuliers continuent de faire appel à nous.»
Le secteur insiste en outre sur l’importance de sensibiliser le grand public au risque d’arnaques. Et de ne pas se laisser hameçonner par des prix ahurissants. «Bien sûr, il peut y avoir une différence de 10 à 15% entre deux déménageurs sérieux, reconnaît Philippe Patar. Mais s’il s’agit plutôt de 30 ou 40%, il faut se poser des questions et les feux clignotants doivent commencer à s’allumer.»
(1) Prénom d’emprunt